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Réinvente le désir

Parfois je me dis que l'amour c'est comme les fleurs, c'est tout beau au début et au fil du temps, cette beauté laisse place à la décadence. L'amour peut parfois se travestir et on ne le reconnaît plus. C'est un peu comme s'il n'avait jamais existé. Je ne sais pas si Paul a remarqué que ses mains ne produisaient plus le même effet sur moi, que mon corps ne s'électrisait plus à la moindre seconde. Parfois, je me dis qu'on devrait prendre le temps de s'installer autour d'une table tous les deux, quitte à y mettre un vase débordant de roses fraîches comme à notre début de flamme, pour nous encourager, nous dire que tout peut repartir mais...En ai-je vraiment envie ?

J'ai rencontré Paul à une soirée. C'est un lieu assez banal. Je tenais un cocktail de mes mains frêles et il m'a bousculée. Il me soutient encore aujourd'hui que tout cela n'était qu'un heureux accident. Heureux car j'ai changé sa vie. Lui aussi a changé la mienne. Si seulement, mes pensées pouvaient l'éclairer, le mettre sur la voie. Dans 'Paul' j'entends un peu la douceur du mot 'épaule' et je trouve ça aussi réconfortant qu'un bain chaud lorsque tout est gris et pluvieux dehors et que le bus est absent de la circulation. Oui, Paul rassure. Il est cette peluche douce qu'on a peine à quitter. Alors pourquoi ai-je envie de prendre la fuite ?

Quand je l'ai rencontré, j'ai compris. Je sais c'est affreusement cliché mais mon cerveau a vu clair. La fraîcheur de cette sensation m'a énivrée et je me suis laissée piéger. A nouveau. Comme hier. Je m'en veux comme une femme au régime qui aurait croqué dans deux éclairs au café en cachette. Ils m'ont procuré une extrême satisfaction sur le moment. J'en demanderais même bien un troisième si mes poches ne souffraient pas autant mais, je dois me tempérer.

Le temps y arrive. Pourquoi, pas moi ? Le temps nous offre une palette de couleurs et d'émotions alors pourquoi lui serais-je inférieure ? J'ai soudain envie d'attraper une cigarette et de me mettre à la fenêtre pour regarder les passants en répandant ma fumée car dans mon esprit, c'est le brouillard. Plusieurs cartes se jouent et je ne connais pas les règles. Bon sang, je n' ai pas demandé à jouer !

Je suis planquée derrière les rideaux de la cuisine et j'observe le spectacle et j'aime ce que je vois. Une belle femme que la beauté n'a pas laissée sur le bord de la route. Elle porte une robe jaune. Excès de coquetterie ? Besoin d'être vue et revue ? Pari réussi, je la vois. Elle m'évoque la féminité et des frissons me parcourent sans pouvoir les calmer. Ils vont trop vite pour moi, tout comme mes pensées. J'ai du mal à me concentrer sur autre chose que sur cette femme. Je ne la connais pas. Elle ne me voit pas du haut du troisième étage et pourtant, je l'épie tel un ado observerait une camarade de classe du coin de l'iris. La timidité l'emporte sur moi. Le désir la recouvre. Deux sentiments se retrouvent en duel. Je l'imagine s'appeler Isabelle. Isabelle c'est doux et c'est léger. Si j'observe l'élégance de son pas, j'y vois de la légereté, celle de quelqu'un qui a laissé ses soucis au bureau. Une pensée sauvage me vient. Isabelle pourrait-elle faire une infidélité à son homme ? Une petite, rien qu'une mini infidélité de rien du tout. Elle serait agréable mais vite oubliée car son homme l'attend à la maison. Est-ce qu'elle culpabiliserait comme ces remords qui me rongent ? Mais dans le fond, si j'analyse : pourquoi avoir des remords ? Ils servent à quoi ? C'était bien moi la veille. Je ne crois pas avoir rêvé. C'était bien mes mains qui étaient agrippées à ses hanches. Je n'ai pas pu rêvé à pareille fusion. Ou si c'est le cas, appelez-moi une ambulance car la démence à 38 ans me paraît inconcevable ! Non, je ne suis pas folle.

Il y avait tes mains aussi. Elles avaient l'habitude de caresser. Moi, je n'ai rien d'une masseuse et je pense que tu l'as remarqué. J'en suis désolée et un peu honteuse mais, est-ce qu'on peut reprendre le cours des choses et les tourner à notre avantage ? Je n'aime pas entretenir le sentiment de déception chez l'autre. Personne ne mérite de connaître la désillusion. Je n'ai pas été parfaite. Mes gestes n'avaient rien de ceux d'un architecte qui maîtrise bien les plans. Je me suis sentie perdue et même temps, j'ai aimé me perdre et hurler dans cet oreiller. C'était un peu comme s'il m'attendait. Dailleurs, dis-moi, c'était intentionnel de ta part ? J'ai senti ta volonté de me dominer et je crois que ça m'a tenue en haleine. Je me suis sentie prisonnière de mes désirs sauvages et en même temps, j'ai aimé cette prison. Tu crois que le terme « prison dorée » vient de là ?

Isabelle et sa belle robe jaune sont parties. Elles ont fait le tour du parc. Elle ne sait pas que je l'ai observée pendant sa descente de l'avenue. Elle marchait si lentement que j'ai eu le temps de me griller deux cigarettes. Sale habitude, je sais mais pour le moment, je n'ai pas trouvé d'issue. Regarder Isabelle m'a requinquée mais tout cela, c'est comme la passion dévorante, ça ne dure qu'un temps. Il faudrait des contrats sentimentaux à durée indéterminée. Ce serait bien, non ? Avec un préavis aussi, comme ça l'autre partie pourrait se préparer à la séparation.

Le mot «  séparation », ça y est ! Je l'ai prononcé à voix haute mais Paul ne m'a pas entendue. Il est dans le salon à trier des dossiers. Un couple plein de chichis le harcèle pour trouver un quatre pièces avec balcon pour un loyer modique. Et moi ? Je harcèle mon esprit pour qu'il me laisse en paix et tire un trait sur toi, comme cet instant où ta langue a semblé vagabonder sur mon papillon rosé. C'est comme ça qu'avec Paul on l'appelait. Tu trouves ça ridicule? 

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