Share

Chapitre 1 : "Je te soutiens"

Chapitre 1

"une fois partis, mon âme ne sait se reconstruire" Jaelly LaRose

Musique du chapitre : https://youtu.be/hqUby5slsj0

Je froisse et jette le dernier papier de commande dans la poubelle.

—          Alberto ! l'interpelé-je, le service est terminé ! Je m'en vais !

                  Avant qu'il ne puisse contester ma parole, je fais glisser mon corps par-dessus le comptoir, et file à l'anglaise. Le vent fouette mon visage et bientôt les lèvres de mon petit-ami, Jack, s'écrasent sur les miennes.

—          Alors bébé ? Ta journée ?

—          Arrête, tu sais que je n'aime pas ce surnom débile, sifflé-je, en mettant un casque de moto.

—          Peut-être, mais tu n'es pas du même avis au lit...

                  Je me tourne vers lui, et lève le viseur. En lui adressant un regard noir, il comprend que sa remarque m'a cassé les boules. Mes bras viennent entourer sa taille, et il me raccompagne chez moi à bord de son deux-roues.

                  Déjà un an a filé... une année que je n'ai plus mes parents et pourtant, j'espère illusoirement les revoir en rentrant à la maison. Je m'attends à ce que mon père m'appelle dans le garage pour assembler une nouvelle bagnole, et à ce que ma mère m'intime d'évaluer les expériences de ses élèves avec le meilleur raisonnement scientifique. Je préférais la première option la plupart du temps, mais maman était toute aussi douce avec une touche de sévérité bienveillante. 

                  J'enfouie ma tête sur le cuir de la veste de mon petit-ami, me ressassant cette période innocente, dépourvue d'angoisse. Je ne veux pas confronter le paysage si familier qui me donne la gerbe. Il y a-t-il un moyen plus atroce que de perdre des êtres chers sans avoir pu arranger, avouer ou même dénoncer les choses ? Personnellement, ça me brise... et aller sur leur tombe n'arrange rien. J'y suis allée tous les mois après leur décès, tant ma douleur était grande, mais je me faisais du mal.

                  Tout a été chamboulé. Ma vie scolaire est en déclin, je ne sais pas si mon rêve de devenir ingénieur en mécanique tient encore la route... je n'en sais rien.

                  Je pose un pied sur le sol, et ôte la protection de ma tête. Une brise en fête vient trancher mon humeur maussade. Ma grande maison se dresse devant moi, attendant que je vive un nouveau cauchemar, noyée dans la solitude. Depuis que je suis petite, je vis ici. Cette campagne est paisible, mais remplie de souvenirs inoubliables, parfois douloureux sur les bords... La façade blanche en bois moderne m'a séduite à l'achat de la baraque, et jusqu'aujourd'hui elle continue de me plaire. C'est un héritage que je voudrais jalousement conserver, car enterrer le passé, c'est se condamner à le revivre.

                  Jack me rejoint tout sourire. Je sens sa main se déposer sur ma joue, et la caresser délicatement... il cherche à plonger dans mes yeux bleus, mais je me détourne de lui. Un air de frustration se dessine sur ses sourcils.

—          Sully... qu'est-ce qui t'arrives ?

—          Qu'est-ce qui m'arrives ? T'es sérieux là ? lui reproché-je, amèrement.

                  Ce n'est pas ce que j'attendais de lui... Il sait très bien que c'est compliqué pour moi, alors pourquoi il me pose ce genre de questions sans queue ni tête ?

—          Sans commentaire... soufflé-je, en me retournant. Passe une bonne soirée, merci de m'avoir ramenée.

—          Non, attends !

                  Il me saisit le poignet et m'oblige cette fois-ci à le regarder. Ses mains tremblent, je devine que son cœur doit être en panique. Je l'observe, attendant qu'il parle. Jack touche mes longs cheveux roux, et je crois voir des larmes se coincer au bord de ses yeux. Une fissure vient craqueler mon cœur déjà en cours de reconstruction.

                  Pardonne-moi, Jack.

—          Je suis désolé... je sais que ce tu traverses n'est pas facile, je ferai tout pour que tu te rétablisses, mais je t'en prie Sully... pense à moi aussi... même si je fais tout pour toi, tu ne le reconnais jamais. Tu ne vois que mes défauts, et ça m'anéantis de faire des efforts en vain, avoue-t-il.

                  Cette fois, mes sourcils se froncent, et mon cœur se met à valser me donnant le tournis.

—          Q...quoi ? De quoi tu parles ? balbutié-je, en déglutissant.

—          Je veux savoir si tu m'aimes vraiment, voilà de quoi je parle.

                  Je plisse les yeux, perdue. C'est une sorte d'ultimatum ? Mes yeux descendent jusqu'au sol, comme si la réponse y est gravée. C'est évident, non ? Je dois pouvoir répondre du tac au tac. Une goutte de sueur déferle sur mon dos, je joue avec la fermeture de ma veste en la descendant puis la remontant, et inversement.

—          Eh bien... commencé-je.

                  Pourquoi suis-je crispée à ce point ?

—          Sully... marmonne-t-il, la voix se brisant à la fin de sa plainte.

—          Jack, je... oui, oui... je t'aime.

—          Tu ne m'as pas l'air sûre, pourquoi ? Oh non, merde...

                  Il se met à faire les cent pas.

—          Ça fait presqu'un an que je te supporte ardemment sur les deux ans passés ensemble. Une année que tu m'ignores et me traite comme tous les autres garçons ! Et c'est comme ça que tu me remercie ?

—          Jack, non, je t'en serai pour toujours reconnaissante, je suis juste un peu bouleversée et-

—          Un peu ?! s'exclame-t-il en affichant un sourire mauvais. Tu te fous de ma putain de gueule là, non ?

                  Je garde le silence car sa défense est solide comparée à la mienne. C'est vrai, je l'ai purement délaissé, mais je ne pensais pas en arriver jusque-là... je ne voulais faire de mal à personne. Je baisse les yeux, déçue de moi-même.

—          Comprends-moi, j'ai perdu mes deux parents sans que je sache ce qui les a tués, riposté-je.

—          Comprends-moi par-ci, comprends-moi par-là ! Tu crois que je fous quoi depuis le temps ? JE TE SOUTIENS !

                  Je sursaute à sa dernière phrase. Normalement, c'est moi qui prends le dessus, mais toute mon énergie a été puisée dans le service du soir, et dans les émotions négatives que je génère à chaque fois.

—          Je me réveille à quatre heures du mat', alors qu'on a cours le lendemain pour venir essuyer tes larmes ! Je vais te chercher dans tes putains de pubs où tu vas te bourrer la gueule jusqu'à six heures ! Et n'en parlons pas des maintes et maintes fois où je suis venu te chercher alors que t'étais dans des quartiers de drogués ! hurle-t-il. Pourtant, comme un con, je te souriais, et je te donnais tout ce que ton cœur désirait quand tu le souhaitais ! Mais tu trouvais toujours le petit truc pour me dénigrer ou m'envoyer balader... tu te rends compte ?

Il me pointe du doigt avec un air accusateur. J'ai l'impression qu'il ne respire pas, chaque mot est une flèche que je dois encaisser... les reproches sont les moyens extérieurs qui nous permettent de s'améliorer, non ? C'est ce que mon père dirait.

—          Donc... la question, Sully, est-ce tu m'aimes encore pour ce que je suis ? Ou tu m'aimes pour ce que je peux t'apporter à titre personnel ?

                  Un éclair d'impuissance perce mon âme. Il faisait tout ça ? Et je ne voyais que mon propre intérêt ? Même si je suis dure parfois, mon côté humain me rappelle toujours à ne jamais faire souffrir l'autre... mes muscles se tendent à l'extrême. Son cœur a parlé pour lui, et je sens que je l'ai blessé... profondément.

Je viens l'étreindre et embrasse sa joue, mais il ne réagit pas. C'est sûr que Jack ne s'attendait pas à cette réaction de ma part.

—          Je t'aime pour tout ce que tu es... lui chuchoté-je dans le creux de son cou.

                  Ma main passe dans ses cheveux corbeau, pendant que l'autre glisse sur son dos. Il me détache de lui, et me regarde avec un petit sourire.

—          OK. Je te promets de faire plus d'efforts, annonce-t-il.

—          Non petit con, reste comme tu es, d'accord ?

                  Nous échangeons un baiser, et je regagne ma maison vide, remplie de hantise.

Related chapter

Latest chapter

DMCA.com Protection Status