De part et d’autre du hangar pendaient chaînes et crochets; c’était un entrepôt métallique, un abattoir désaffecté au plafond haut et percé de lanterneaux pyramidaux, où les gémissements de Matthieu résonnaient comme le fantôme de ceux des milliers d’animaux passés ici avant lui.Lucas s’affairait autour de Matthieu, déchirant les vêtements autour de sa jambe blessée, pansant comme il pouvait le trou sanguinolent. Vincent était agenouillé près d’eux, inutile. Les choses s’étaient toutes déroulées tellement vite qu’il avait toujours du mal à réaliser ce qui arrivait. Matthieu hurlait par moments. La balle semblait être ressortie, mais ni Lucas ni Vincent ne savaient si c’était une bonne chose. Dans les films, c’en était une, mais bon Dieu, tout ce sang, tout ce sang qui coulait.Mélanie se tenait près d’eux, soucieuse. Bien qu’elle n’intervint pas sur Matthieu, elle semblait impliquée, torturée de ne pouvoir l’aider. Il en avait ouvertement besoin, et pourtant, elle
Vincent referma en vitesse la porte de l’abattoir.C’était, pour le moins, impromptu. Dans le groupe de révolutionnaires qui lui faisait face, tous le regardaient. Ils étaient encerclés, ils n’avaient aucun moyen de sortir. Ils s’étaient fait prendre.—Qu’est-ce qu’on va faire? demanda Vincent.—OK, posons-nous, dit Mélanie. Réfléchissons. Il doit y avoir un moyen de sortir d’ici.—Il y a le toit, dit Lucas en se levant et courant vers la porte.Il bouscula les meubles devant les deux battants. C’était cependant, et tout le monde le savait, désespéré. Quand bien même le groupe se réfugierait sur le toit, ils ne pourraient tenir un siège de la milice: ils n’avaient ni nourriture ni armes. Enfin, si, une arme. Celle de Lucas. Il courut vers l’échelle, et grimpa les échelons. Il commençait à ouvrir l’une des fenêtres, lorsque retentit une voix au travers de la porte:—Je ne vous veux aucun mal, dit le Duc
Vincent était sonné. Le bruit l’avait assourdi, et la peur avait paralysé ses muscles. Il ne ressentait plus rien. Il était au sol, c’était sa certitude. Une part de lui aurait aimé garder cette ataraxie, cette absence totale de ressenti qui lui laissait espérer un chemin, entre la vie et la mort.Mais peu à peu, son corps reprit le dessus. Il sentit une douleur, sur les flancs. Une douleur répartie. Un poids. Quelqu’un sur lui. Une douleur de chute.Ambre était allongée sur lui. Merde. Pas de sang au sol. Pas de sang sur lui. Pas de sang visible sur elle.—Am… Ambre? murmura-t-il.—On ne s’est pas engagés pour ça, susurra-elle.Elle se releva, péniblement, et fit face à Lucas. La balle avait percé le mur derrière eux d’un petit cratère, duquel avait volé des fragments de métal encore chauds.—ON S’EST PAS ENGAGÉS POUR ÇA! répéta-t-elle en hurlant.Dans
Dramatiquement mis au monde une nuit d’été où les loups rôdaient autour de l’hôpital de Saint Claude, Geoffrey Marchand passe son enfance à chasser le bouquetin des montagnes haut-jurassiennes sans pour autant faire mouche. À l’âge de dix-huit ans, son sac à dos plein et les idées en ébullition, il part pour des études d’ingénierie et d’architecture entre la tempétueuse Dijon et l’imprévisible Strasbourg. Inspiré par de longues périodes d’expatriation au Japon et en Suisse, il s’installe finalement à Montreux, où il travaille aujourd’hui comme architecte en parallèle à ses études doctorales en sémiotique spatiale.
Vincent et ses camarades étaient assis sur des chaises rouge-vif, assis en rang d’oignon devant la télévision où leur était diffusé un programme sans saveur. L’histoire racontait la vie d’une jeune femme de ménage aux difficultés familiales, présentement malade. Clouée au lit pour avoir mangé une pomme indigeste. La futilité de l’histoire avait dû sauter aux yeux des réalisateurs, tant et si bien qu’après quelques minutes de film, à peine, ceux-ci avaient cru judicieux d’ajouter à la narration une bande de sept trapézistes éclopés dont Vincent aurait juré avoir déjà vu le numéro dans le programme de l’après-midi d’une chaîne du câble. La joyeuse bande ne parvenant pas à faire se sentir la belle plus en forme, et l’intérêt du spectateur n’étant toujours pas au rendez-vous, Vincent vit apparaître devant les yeux ébahis de ses camarades un toubib à cheval aux méthodes somme toute douteuses, mais qui s’avérèrent curer la jolie Blanche-Neige de ses maux. Purement incompréhensible. Invraisem
Le réveil sonna sur une dure matinée de fin de printemps. La lumière, encore faible, éclairait un lit battu par la brume de la nuit. L’aube mourait doucement, et alors que s’évaporaient de l’esprit de Vincent les dernières bribes de ses rêves, durcissaient les chassies sur ses yeux. Il poussa les couvertures et des touffes de poils roux s’envolèrent dans les rayons matinaux. Ils flottèrent un instant, puis amorcèrent une chute lente où dansant avec la gravité, elles se riaient du jeune homme.Laborieusement, il se redressa sur son lit et coupa la radio, tapotant machinalement sur la couverture pour attirer Jack. Le réflexe ne l’avait jamais quitté. Il poussa les couvertures, et dans les frémissements des timides températures d’avril, il enfila ses chaussons.Toutes lumières allumées, il laissa ses jambes le porter jusqu’à la salle de bain. Le carrelage, froid comme une glace réchauffée, chatouillait ses orteils. Une douche. Un caleçon enfilé. Un café préparé. Un café bu.
—Vincent, bienvenue! Je suis Jacob, milicien titulaire, numéro d’immatriculation 5632. J’ai été chargé de la gestion administrative de votre dossier. Comment allez-vous?La voix, apparue de nulle part, l’avait un peu surpris. Vincent avait perdu l’habitude d’entendre le son d’une voix humaine entre les murs de son appartement. Le silence qu’avaient créé chez lui la tranquillité sociale et l’absence de contacts forcés l’avait enterré dans un quotidien à la fois rassurant et névrosé.—Bien, merci, répondit-il avec un ton faussement naturel.—Un peu triste, j’imagine? La disparition d’un membre de sa famille, c’est toujours dramatique.Vincent répondit évasivement par un « oui » trempé d’indifférence. La seule chose qui lui importait, c’était de sortir de la zone blanche. La clarté maladive du fond d’écran blanc donnait à l’officialité de sa présence un ressenti … effarouchant.La zone blanche tirait son nom de la coul
Le silence visuel s’était établi depuis plusieurs minutes. La disparition de son cousin avait laissé Vincent dans un vent de réflexions. Le milicien ne parlait plus non plus, résultant pour toute action sur l’écran de l’ordinateur un « accès à la chambre funéraire en cours… ».Qu’avait-il bien pu lui arriver? Était-il parti volontairement? Avait-il été enlevé? Le duché était pourtant une zone furieusement sûre, libérée des crimes de rue. Le dernier cambriolage devait remonter à plusieurs mois, et le cambrioleur avait été arrêté dans l’heure. La milice du Duc possédait une puissance considérable, du gel de comptes au blocage des serrures domotiques. Vincent ne comprenait simplement pas, et cette perspective l’inquiétait légèrement.—Tu crois qu’il est mort comment? demanda Léon.—Je n’en ai aucune idée…, répondit Vincent.—Et on n’a pas retrouvé de corps? Si tu veux mon avis, c’est une histoire louche.Vi