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PROLOGUE

Maman tresse mes cheveux en fredonnant d’un air absent. J’ai envie de lui poser des questions, mais j’ai peur de ternir son humeur. Depuis quelques jours, elle paraît préoccupée. Elle ne mange presque plus, ne sourit pas souvent et elle a arrêté de danser. Quelques fois, je la surprends à me regarder avec tristesse, des larmes faisant briller ses yeux dorés, mais quand je lui demande ce qu’elle a, elle affirme que tout va bien et me prend dans ses bras pour me serrer fort contre elle. Pourtant, je sais qu’elle ment. Je connais ma mère et ces derniers temps, elle n’est plus la sorcière joyeuse qu’elle était. De plus, elle s’enferme souvent avec Elena, Ethéa, Olérine, Marlène et Naélia, chose qu’elle ne faisait jamais auparavant. Les sorcières du clan n’ont pas de secrets les unes pour les autres, notre connexion nous en empêche. Mais il semble que maman fasse quand même des cachotteries à ses sœurs. J’ai essayé une fois d’écouter à la porte, mais tout ce que j’ai entendu avant que maman ne me surprenne et me dissuade de recommencer, ce sont les mots : vision, futur, petite et Barral. Je ne sais pas qui est ce Barral, mais je suis certaine qu’il ne fait pas partie du clan. Je demanderai à mon amie Aurina si elle en a déjà entendu parler.

— Pourquoi fronces-tu les sourcils, Elena ? N’aimes-tu pas ta coiffure ?

Je tressaille, n’ayant pas remarqué que maman avait fini ma tresse.

— Si, c’est très joli.

— Alors, que se passe-t-il ?

Je me mords les lèvres, ne sachant pas quoi lui répondre. Je cherche une excuse même si je sais que cela ne sert à rien : maman saura si je lui mens.

— En effet, ma chérie. Il est donc préférable que tu me dises la vérité.

Je tente de fermer mon esprit comme elle me l’a appris. Devant mon mutisme, maman soupire avant de s’accroupir devant moi. Elle prend mon menton dans sa main et m’oblige à la regarder dans les yeux.

— Tu sais que tu peux tout me dire, chuchote-t-elle. Tu ne dois rien me cacher.

— Tu me caches bien des choses !

— Pour ton bien.

— Je ne suis plus une petite fille !

— Bien sûr que si ! Tu n’as que cinq ans, Elena. Tu es encore un bébé.

— Je ne suis pas…

— Pour moi, tu seras toujours mon bébé, peu importe ton âge.

Je boude, mais devant son air triste et ses yeux pleins de larmes, ma colère fond.

— Dis-moi, Elena. Dis-moi ce qui te tracasse.

Sa voix tremble, comme si elle se retenait difficilement de pleurer. Alors j’abdique. J’ouvre mon esprit et la laisse voir mes craintes, mes interrogations. Son visage devient livide et ses traits se creusent. Ses joues se mouillent et je les essuie de mes mains. Je ne voulais pas la faire pleurer.

— Il y a tant de choses que j’aimerais te dire, chuchote-t-elle. Tant de choses que tu dois savoir.

— Alors, dis-moi.

— Je ne le peux pas, pas encore. Tu ne peux rien y faire. Notre avenir est immuable. Tout ce que je veux, c’est que tu vives.

— Tu parles comme si nous étions en danger.

— C’est le cas, ma chérie. Des temps sombres nous attendent, mais ni toi ni moi n’avons le pouvoir de les éviter.

— Et la Saëcerin ? Elle le peut, c’est la plus forte d’entre nous.

Maman grimace avant de secouer la tête.

— Elle a trop peur. Elle refuse de remplir son devoir.

— Alors elle ne mérite pas d’être…

— Chut, me coupe maman en posant son doigt sur mes lèvres. Ne dis rien de plus.

— Mais maman…

— Elena t’expliquera tout quand tu seras en âge de comprendre.

— Pourquoi Elena ? Pourquoi pas toi ?

Maman ferme les yeux et prend une grande inspiration. Lorsqu’elle la relâche, son souffle chaud parcourt mon visage et fait voler quelques mèches de mes cheveux. Elle ouvre la bouche puis la referme, comme si elle hésitait à m’avouer quelque chose. Finalement, elle secoue la tête.

— Tu le comprendras plus tard.

— Pourquoi pas maintenant ?

— Parce que la seule chose qui importe aujourd’hui, c’est que nous soyons encore ensemble. La seule chose qui compte, c’est que je t’aime plus que tout au monde. Et même quand je ne serai plus là, notre chanson nous liera à jamais.

Ces paroles me rendent folle d’inquiétude. Maman parle comme si elle savait sa fin proche. Je panique, cherchant les mots pour la forcer à répondre à mes questions.

— Tu vas me quitter ?

— N’oublie jamais les paroles, Elena, dit maman sans répondre à ma question. Elles sont d’une importance capitale pour l’avenir. Elles te donneront la clé de ta victoire et du retour de l’équilibre.

Je ne comprends rien à son charabia. Pour moi, ce n’est qu’une berceuse qu’elle me chante pour m’endormir.

— Maman, réponds-moi, tenté-je encore.

— Chante pour moi !

Sans succès.

— Mais dis-moi pourquoi…

— Chante, Elena. Fais-moi ce plaisir, je t’en prie.

Je ne comprends pas pourquoi elle tient tant à ce que je lui obéisse. Je ne sais pas pourquoi elle refuse de répondre à mes questions. Mais, persuadée que nous avons la vie devant nous, je hoche la tête. Ma voix aiguë et frêle de petite fille s’élève, bientôt rejointe par celle plus grave et assurée de maman :

Petite fille aux rêves éternels,

Écoute le chant des immortels,

Lève les yeux vers le ciel…

Je ne le savais pas encore, mais c’était la dernière fois que maman la chantait.

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