Elyna E.C. est née à Paris en 1991. Les Arcanes d’Hemera est son premier roman, elle a consacré plus de quatre ans à son écriture.
Pour mon loup, Hugo,
le seul à savoir m’apaiser lorsque je vire en mode « Ouragan Harper »,
et pour ma kkouette,
mon Axel,
Kévin.
J’essaie de ne pas laisser mon imagination divaguer face à l’inconnu, convaincue que les hypothétiques poissons carnivores seront le cadet de mes soucis si je n’arrive pas à reprendre mon souffle rapidement. Je sens ma volonté diminuer à mesure que l’oxygène me manque, si bien que je remarque à peine la vague plus violente que les autres, suivie d’une forte pression autour de ma taille. Sans comprendre comment nous en arrivons là, je me fais alors éjecter de l’aquarium et atterris sans douceur sur le ventre, ou plutôt sur Lucas.
Avachie sur mon équipier étendu sur le sol, je reprends mon souffle de manière fort disgracieuse, crachant et toussant comme une noyée revenue d’entre les morts. Des larmes de soulagement se mélangent à l’eau de l’aquarium qui dégouline de mes cheveux. De l’air ! Je n’arrive pas à croire que je respire de nouveau. Harper m’accorde quelques secondes avant de me serrer contre lui pour s’assurer que je suis bel et bien vivante. C’est alors que je réalise que ses cheveux mi-longs sont tout aussi trempés que les miens.— Seigneur, Allyn, ne me refais plus jamais ça ! soupire-t-il à mon oreille tout en plaquant sa main derrière ma nuque pour m’empêcher de bouger.J’ai l’impression qu’il va m’étouffer à force de me serrer de la sorte, mais son contact est trop réconfortant pour oser protester. J’ignore combien de temps nous demeurons dans cette position, mais cette attention improbable est la goutte qui fait déborder le vase. Ainsi, se rajoutant aux larmes de soulagement, apparaissent des sanglots bien moins évidents à contrôler. De toute évidence, je craque.— Chut, Allyn, ce n’est pas grave, c’est fini, me console-t-il en resserrant sa poigne autour de mon corps pour calmer mes tremblements.J’attribue les événements qui suivent à un stress post-traumatique et à ma faiblesse passagère. Je me connais assez pour savoir qu’en temps normal, je n’aurais jamais réagi de la sorte ; et encore moins après la promesse que je me suis faite quelques jours plus tôt. Passer si près de la mort semble néanmoins avoir temporairement balayé toute rationalité de mon esprit confus. C’est pour cela que je perds tout contrôle lorsque je croise les yeux de Lucas.Étendue contre celui qui m’a sauvé la vie, je m’oublie dans la chaleur de ses iris. Le soulagement, nuancé d’inquiétude, qui se devine dans son regard, me ramène à l’époque pas si lointaine où nous avions réussi à développer une confiance et une affection mutuelles. Il ne m’en faut pas plus pour occulter mes résolutions et la perfidie de ses anciens agissements. Le visage constellé de larmes salées et de cette matière visqueuse qui recouvre en partie celui de mon équipier, je me penche sans réfléchir et pose mes lèvres sur celles d’Harper pour y déverser toute ma frustration.Si pendant un court instant j’ai l’espoir qu’il va répondre à mon geste comme dans tous les films d’action où les deux héros se laissent emporter après avoir risqué leur vie de la façon la plus tragique qui soit, j’ai l’horreur de constater qu’il n’en est rien dans la réalité. En effet, si Lucas consacre ses premiers instants à répondre à mes avances – ce que j’attribuerai plus tard à un manque de réactivité secondaire à l’adrénaline qui nous a épuisés – il ne tarde pas à reprendre le contrôle de la situation et à me rejeter en arrière comme si mes lèvres le brûlaient.— Ne refais jamais ça, répète-t-il, bien plus sèchement cette fois-ci.Sa raideur me glace le sang. Malgré ma baignade récente, c’est la réaction de Lucas qui m’offre la douche froide de ma journée.— Nous sommes en mission, bordel ! Qu’est-ce qui t’est passé par la tête ? s’exclame-t-il avant d’inspecter les horizons comme s’il s’attendait à tomber sur une bande de voyeurs.Je suis incapable de lui répondre. Assise sur les fesses suite à son emportement, mes paumes sont placées de part et d’autre de mon corps, plaquées sur le sol afin de m’empêcher de basculer en arrière. Ma tête pivote sur la droite pour porter mon regard le plus loin possible de celui qui me foudroie toujours comme si je venais de tenter de l’étrangler.— Nous ferions mieux de poursuivre notre route, ajoute-t-il en se relevant. Allyn ?Je me mords si vigoureusement la lèvre inférieure que je ressens un goût ferreux sur ma langue. Me relever me demande un effort considérable, mais ce n’est rien face à celui que je dois déployer pour regarder mon équipier dans les yeux, ou encore lui répondre. D’ailleurs il n’en est rien. Harper tente à plusieurs reprises au cours du reste de notre expédition de m’arracher un son, mais mes lèvres abîmées restent closes sous peine de laisser jaillir un flot d’injures et de reproches que je garde vaillamment enfouis au fond de moi.Le reste de la mission se passe sans encombre. Nous ne croisons ni Marion, ni Anges Noirs, ni le moindre obstacle. Quand nous rentrons à l’Organisation, je quitte la salle de la Sphère sans prononcer un mot. Décidée à oublier la honte qui incendie mes joues depuis presque une heure, je me jette avec une rage inédite dans la lecture de nouveaux chapitres de la vie de notre âme perdue. Ne trouvant plus rien d’intéressant pour notre mission sur plusieurs dizaines de pages, Lucas et moi ne nous adressons pas la parole pendant plus d’une semaine. Et c’est très bien comme ça.—Bon ça suffit, dis-moi ce qui te perturbe.Ne m’attendant pas à me faire attaquer de front à une heure aussi matinale, je délaisse mon chocolat chaud et ma tartine beurrée pour plonger mon regard fatigué dans celui de ma meilleure amie attitrée.—Je vais bien, affirmé-je avec une telle conviction que je m’en serais persuadée moi-même si l’image révoltante de Lucius et la rouquine torturant une pauvre âme perdue ne revenait pas sans cesse me hanter depuis mon réveil.—À d’autres, répond Alice qui balaye sa crinière blonde en arrière pour éviter qu’elle ne tombe dans son Moka. Tu sais que je parviens toujours à mes fins, alors évitons la partie du « je vais bien / tu es sûre? / oui / je n’y crois pas un instant / bon d’accord / alors raconte! » et passons direct au plus intéressant: Hugo va bientôt arriver et je ne veux pas qu’il interrompe notre session commérage.—Il n’y a pas de session commérage qui tienne.
Lorsque Lucas s’avachit sur la chaise vide en face de la mienne ce matin-là, il le fait avec si peu de délicatesse que j’en manque de renverser mon petit déjeuner sur mon plateau-repas.—Toi, on peut dire que tu as le chic pour choisir tes âmes perdues, lance-t-il en guise de préambule.Bien le bonjour à toi aussi.—Je présume que tu as fait connaissance avec Marion.—Cette femme est horrible.—Ravie que pour une fois on soit capable de s’entendre sur un point.Lucas fronce les sourcils et m’examine longuement avant de continuer:—Bref, j’ai tout autant envie de reprendre la lecture que de me couper une main, mais de toute manière ce n’est pas important pour le moment, car je pense avoir trouvé un souvenir intéressant.—Vraiment? Déjà?—Je lis vite, assure-t-il.Harper penche la tête sur le côté, sûrement dans l’espoir de déchiffrer mon expression blasée. Dé
Je lâche la main d’Harper dès notre arrivée. À notre grand soulagement, nous sommes cette fois-ci parvenus à bon port, ou du moins dans la Sphère. Je ne cherche pas à vérifier si mon équipier affiche son petit air supérieur face à cette constatation et lui emboîte le pas. S’il y a bien une chose que je dois admettre, c’est que c’est un soulagement de voir Lucas reprendre les rênes. Toute cette tension commençait à avoir raison de moi et le « cas Marion » n’est définitivement pas idéal pour débuter en tant que guide.La Sphère se trouve aujourd’hui dans la cour intérieure d’un énorme jardin décoré de buissons en forme de cygnes, de fontaines resplendissantes de propreté et de colonnes blanches entretenues avec soin, formant un péristyle autour d’une baie vitrée encadrée de rideaux pourpres. J’en serais restée bouche bée d’admiration si un détail particulièrement dérangeant n’avait pas attiré mon attention.—Sont-ils vivants? chuchoté-je en me penchant vers Luca
—Comment ça tu n’en gardes aucun souvenir? s’étonne Alice.—Je ne suis pas amnésique, la corrigé-je face au buffet à desserts, hésitant entre une mousse au chocolat faite maison et une tarte sablée framboise pistache. Je dis seulement que les images de cette mission sont encore trop chaotiques pour que je puisse en faire un résumé précis.—Mais tu n’as même pas été droguée! D’ailleurs Lucas ne s’est pas gêné pour me le faire savoir. Quel pauvre type.—Je te rejoins sur ce dernier point, approuvé-je dans un sourire. Mais je ne saurais t’éclairer davantage sur le sujet. J’étais tellement… inutile. Une vraie demoiselle en détresse avec tout le stéréotype du boulet. Je crois que même lors de ma première mission, je n’ai pas été aussi inefficace.—Curieux…Nous prenons tout le temps qu’il nous faut devant les plateaux de fruits, car nous savons très bien que notre petit tête-à-tête prendra fin lorsqu’il nous faudra
Je me réveille ce matin avec une atroce boule au ventre qui ne me quitte pas du saut du lit jusqu’à la fin du petit déjeuner. Plusieurs éléments peuvent être en cause: je ne parviens pas à déterminer ce qui me ronge à ce point les nerfs. Serait-ce l’apparition prévisible de l’Ange Noir au crâne rasé dans un de mes ravissants cauchemars? Une mauvaise digestion suite au gratin extrêmement calorique d’hier soir, ou encore savoir que Lucas et moi nous apprêtons à entamer notre quatrième aventure dans le monde merveilleux des souvenirs de Marion?Ma main tremblote au-dessus de mon bol. Je suis obligée de poser ma cuillère sur mon plateau de peur d’en renverser à côté. Ce malaise persistant me paraît de très mauvais augure et pourtant j’essaie par-dessus tout de sourire bêtement lorsque Guillaume et Juliette me rejoignent à table, vêtus tout comme moi de leur combinaison de Singulier.—C’est reparti pour un tour? lance-t-il allègrement.De t
J’émerge à une heure tardive. Ayant dans un premier temps envie de satisfaire mon estomac affamé, j’enfile les premiers vêtements qui me tombent sous la main à la suite d’une douche express, puis enchaîne directement avec la cafétéria. L’heure avancée de la matinée me permet de manger dans le calme. Mieux encore, l’absence de mes compagnons est un avantage, car je suis plus que disposée à compléter mon petit bout de papier concernant les souvenirs de Marion.« Quatrième souvenir: chalets de Noël / dédale infernal. Choisi par Harper. Moi: »Je mordille mon stylo avant d’ajouter quoi que ce soit. Je ne sais pas quoi penser de cette dernière mission. C’était angoissant, effectivement, mais d’une manière bien plus complexe que les fois précédentes. Quant à cet épisode avec le double de Lucas… Non mais, même dans mes cauchemars les plus tordus je n’ai jamais songé à un truc pareil.« Moi: trompée par sa duplicité? »Après tout, le jumeau d
Lucas n’est pas à l’infirmerie quand je m’y présente à la fraîche le lendemain. Supposant à juste titre qu’il n’a pas désiré passer une seconde nuit dans ces locaux déprimants, je le retrouve à la cafétéria, à l’heure du déjeuner, assis entre Alice et Lily et faisant face à Juliette et Guillaume. J’ai beau savoir qu’il n’est pas à l’article de la mort, une fatigue intense se lit sur ses traits et chaque mouvement pour saisir un aliment semble solliciter toutes ses forces. Rien de bien extraordinaire, toutefois, quand on se souvient de la brutalité avec laquelle il s’est battu contre son jumeau. J’ai si peu l’habitude de l’admirer aussi diminué que cela ne fait qu’accroître ma compassion à son égard.Enzo et Roxanne nous rejoignent et la conversation dérive de la nouvelle coupe de cheveux de Zacchari, notre prof de yoga, à la mission de Juliette et Guillaume qui les a retenus jusqu’à une heure avancée de la nuit. Quand Enzo s’enquiert de l’état de santé de mon équipier – ce dont
Tout se passe excessivement vite. Harper referme si rapidement la porte que le premier chien à avoir bondi s’y écrase violemment. Nous apprécions le bruit causé par l’impact et le couinement qui en résulte; toutefois nous sommes déjà loin et ne nous retournons pas quand la porte cède dans un vacarme ahurissant. Les couloirs se révèlent très peu pratiques pour une course poursuite. La largeur ne permettant pas à Harper et moi de courir au même niveau sans nous rentrer dedans, mon équipier se contente de me tenir de sa main libre – et de m’arracher la peau par la même occasion – pour me faire garder le rythme.Les grognements de chiens furieux et le martèlement de leurs pattes sur le sol résonnent dans l’espace restreint, alimentant la panique qui nous anime. Pour la première fois depuis le début de cette mission, je suis contente d’apercevoir une de ces fameuses portes. Nous l’avons cependant à peine refermée derrière nous que des griffes trop puissantes pour être réalistes