7Le réveil a été dur, je ne me traîne jusqu’à la cafétéria qu’à une heure tardive. La matinée est si avancée que la plupart des Singuliers et autres membres du staff ont déjà pris leur petit-déjeuner. Les seules têtes connues restantes étant mon cher coéquipier et la rouquine, je décide de jouer une fois de plus les retranchées et m’installe en bout de table, à l’opposé de la salle. Mon ami invisible me suit comme mon ombre. Depuis nos confidences de cette nuit, je saisis mieux que jamais les expressions fugaces qui s’affichent sur son visage quand il pense que je ne l’observe pas: Maël s’inquiète pour moi.—Bonjour, Allyn, me dit-on alors que je me perds dans la contemplation de mon chocolat chaud.Je sursaute et lève les yeux vers celui qui se tient devant moi. Josias affiche un air réjoui. Il n’est pas difficile de deviner l’objet de sa présence, et ce, même lorsque notre ami fantomatique s’est fait une joie de nous spoiler quelques heures auparavan
8—Bienvenue, Allyn! Bienvenue, ma chère!La pièce est fidèle à mes souvenirs. En son centre, Loïc Fortin qui m’accueille à bras ouverts comme si j’étais l’enfant prodigue.—Vous êtes renversante, vraiment, ajoute-t-il en se déplaçant dans notre direction pour nous inviter à nous approcher de la Sphère.—Quand vous aurez fini de faire votre lèche-cul, déclare Lucas d’un ton cassant, on pourra peut-être commencer.À la surprise que le directeur adjoint affiche sur son visage, j’en déduis qu’Harper – loin d’être l’homme le plus charmant de ma connaissance – n’a tout de même pas l’habitude de se comporter aussi irrespectueusement envers ses supérieurs. Tout lui semble cependant pardonné aujourd’hui, puisque Fortin continue comme si de rien était.—Nous avons fait venir le médecin de garde en cas de gros pépin, m’annonce-t-il comme s’il s’agissait là d’une nouvelle rassurante. Mais avec Harper, vous ne devriez ri
9—Vous êtes une âme perdue?Telle est la première question qui me vient à l’esprit tandis que je me redresse sur mes jambes afin d’étudier l’étrange personnage qui est apparu à côté de moi. Je ne suis pas folle pourtant, j’ai bel et bien fouillé cette maison de fond en comble à la recherche d’une aide sans rien trouver d’utile et voilà que Monsieur «Je vous en prie, servez-vous de mon briquet, ça me fait plaisir!»débarque de nulle part! Puisque son briquet s’est refermé, je n’ai plus que le faisceau de ma lampe pour l’observer dans ce noir quasi complet; ce qui est loin d’être suffisant. Son sourire torve, qui ne m’échappe cependant pas, ne me met pas du tout à l’aise.—Une âme perdue? répète-t-il, secoué d’un rire inapproprié. Je ne crois pas, non.L’homme avance de quelques centimètres dans ma direction. Ses cheveux noirs frôlent ses épaules dans un style manga qui ne fait qu’augmenter le cocasse
10Maël enchaîne des paroles qui n’ont aucun sens pour moi. Le regard plongé dans le vide, je le devine gesticuler dans ma périphérie visuelle sans parvenir à me concentrer sur son monologue.Je ne saurais estimer combien de temps s’est écoulé depuis que Lucas et moi sommes revenus de notre excursion dans les Affres. Des bribes de souvenirs confus continuent d’affluer dans ma tête assommée. Ainsi, je crois me rappeler que l’on m’a conduite à l’infirmerie peu de temps après notre retour, quand les responsables de cette opération ont enfin réalisé que je me vidais dangereusement de mon sang au niveau de plusieurs coupures profondes.Mes yeux se portent sur les bandages qui entourent mes paumes, puis mes doigts effleurent doucement le pansement qui recouvre l’entaille la plus importante:celle qu’une pierre a causée au niveau de ma tempe droite lorsque je me suis précipitée pour sauver Harper. Dans le flot continu d’adrénaline, je ne m’en étais pas aperçu
11L’eau de la douche est d’un si grand réconfort que j’ai dans un premier temps l’impression d’être retournée dans mon ancien appartement. Maël est étendu sur mon lit, les mains rassemblées derrière sa tête. Il m’a laissée dormir et désire à présent que je lui fasse part de ma décision concernant la suite de nos aventures. Hélas, une tâche plus ingrate m’attend, une tâche que je ne peux me permettre de repousser plus longtemps.—Ils peuvent te voir, lui révélé-je dans un murmure presque inaudible.Adossée à la porte de ma salle de bain, je scrute ses réactions, m’attendant au pire. J’ai beau avoir remué cette confession dans tous les sens, aucune manière ne s’est avérée préférable à une autre, alors je me suis lancée sans cérémonie. J’en ai la gorge nouée. Je n’en reviens pas de culpabiliser pour une chose qui n’est même pas de mon fait. Mais Maël est mon meilleur ami, mon seul allié, il est normal que ce qui l’atteint me blesse aussi.—Hein&nbs
12—C’est le pied, murmuré-je en calant mes omoplates sur la pierre tiède qui me rafraîchit. Comment se fait-il que je ne sois jamais venue ici auparavant?—Ah, c’est le privilège des warriors, ronronne Alice en s’éventant inutilement avec sa main. Rien ne vaut un bon petit hammam pour évacuer toutes les toxines emmagasinées dans les Affres.—Mais toi, ça fait un petit moment déjà que tu n’y es pas retournée, la taquiné-je.—Ce privilège m’est tout de même accordé afin de me permettre d’évacuer toute la contrariété que j’engrange en demeurant cloîtrée à l’Organisation, réplique-t-elle, maligne. Et puis, comment résister quand personne n’est là pour nous ennuyer?Je dois admettre qu’elle a raison. L’Organisation est suffisamment grande pour que nous puissions tous vivre en parfaite harmonie sans nous marcher les uns sur les autres, mais il n’existe pas un moment dans la journée où j’ai pu trouver la salle de sport, l
13—Toujours prête?—Toujours prête.Ma gorge se serre, mais mon regard est déterminé. Je saisis la main de mon binôme qui m’entraîne avec lui dans les profondeurs des Affres.—Ça va? me demande Lucas, tandis que je titube dangereusement vers le sol.—Tête qui tourne, marmonné-je, une main sur la bouche.Je crois que je vais gerber.—Tu t’y habitueras avec le temps.Profitant du fait qu’il sonde les horizons, je m’assieds lourdement sur l’herbe dans laquelle nous avons atterri.—Un peu de verdure, enfin, déclaré-je en glissant mes doigts sur la rosée humide.—Ne te réjouis pas trop vite: ici rien n’est agréable et reposant par hasard.Je grimace, puis essuie mes paumes sur ma combinaison, avant de porter attention aux mèches de cheveux blonds qui tombent sur mes clavicules.Ah oui, c’est vrai, j’avais oublié ce détail.Lucas a la courtoi
14Je reste sans voix, tandis qu’Harper attend patiemment que ma langue se délie. Traverser la route désertique s’est passé sans mal jusque-là et j’ai même réussi à enjamber les cadavres de volatiles dispersés à l’entrée du parc sans difficulté particulière, mais je ne m’attendais vraiment pas à la vision d’horreur qui patiente près de la Sphère.—Je ne pense pas qu’ils soient offensifs, tente vainement de me rassurer Lucas. Il faudrait qu’un Ange Noir soit là pour les contrôler, ce qui n’a pas l’air d’être le cas.Mais je n’écoute plus les mots qui sortent de la bouche de mon équipier. Mes mains sont si moites, ma gorge si sèche et mon cœur si emballé, que je suis à deux doigts de repartir dans l’autre direction ou de supplier Lucas de me porter pour ne pas avoir à regarder où marcher. À moins d’une dizaine de mètres, entre nous et notre précieux billet de retour, se tient en effet une vingtaine de ce que je peux appeler sans hésiter le pire de tous mes cauc