Share

Surnaturels #1Mystères Partie2
Surnaturels #1Mystères Partie2
Author: E.J. SWAN

L'Auteure + Chapitre 44 Jamais deux sans trois

 Née en 1999, E.J. Swan a vu le jour en région parisienne. D’abord une grande férue de lecture (inspirée par le talent de son auteure préférée ; Tahereh Mafi), elle se questionne sur l’envers du décor des livres qu’elle dévore, faisant ainsi naître sa passion pour l’écriture. Intéressée depuis toujours par la psychologie des méchants et l’évolution des personnages dans les films, les séries et les romans, elle décide–à l’âge de 14 ans–d’associer cet intérêt à ses écrits sur la plateforme W*****d. Surnaturels est son premier roman et s’inscrit en premier lieu dans l’univers de la fantasy, puis dans celui de la dark fantasy. Passionnée par l’idée que rien n’est tout blanc ni tout noir, elle aime retourner le cerveau de ses lecteurs dans le but de dépeindre la complexité de l’être humain et de faire passer des messages–et peut-être aussi parce qu’elle est sadique. Un peu. Surprise par l’engouement que prend son histoire, elle se met à rêver secrètement d’une publication papier et atteint le Graal à l’âge de 20 ans.

À Emmette,

ma commentatrice passionnée,

fidèle adoratrice de Zéphyr.

— Je vais la tuer ! hurle Apolline, les joues baignées de larmes, une rage nettement perceptible dans la voix.

Et je ne peux que la comprendre. Elle se débat, hurlant qu’elle veut sortir d’ici et monter le premier draf qui lui tombe sous la main pour se rendre à l’Imposant. Angie la retient entre ses bras, lui intimant l’ordre de se calmer. Apolline continue à crier, puis recommence à pleurer, la tête posée contre le torse du Leader. Personne n’arrive à la calmer. Sean s’avance vers sa sœur, les poings serrés pour tenter de contrôler sa colère. Mais en son for intérieur, il doit être dans le même état qu’Apolline. Il échange un regard avec Angie, et ce dernier s’écarte de la Talentueuse pour permettre à Sean de prendre sa place. Le rouquin referme ses bras musclés sur sa sœur, déposant plusieurs baisers sur ses cheveux, les yeux bleus ternis de gris.

— Je te jure que je vais la tuer, sanglote-t-elle à son frère. La prochaine fois que je la vois, je la tue.

Sean ne répond rien et continue à la serrer dans ses bras, partageant sa douleur et sa peine. Je n’ai jamais vu Apolline aussi mal. La voir ainsi me brise le cœur. Tous les Surnaturels, ainsi qu’Isaac, sont regroupés dans la pièce. Un silence de mort plane dans cette infirmerie, où seuls les pleurs déchirants de la Talentueuse viennent troubler l’atmosphère pesante.

— On n’est pas sûr qu’il s’agisse d’elle, intervient Angie, les bras croisés.

Apolline renifle contre l’épaule de son frère et essuie les larmes qui perlent sur ses joues, laissant apercevoir des yeux sombres, presque noirs.

— Qui veux-tu que ce soit d’autre ? Il n’y a que la Démone pour être capable d’une telle monstruosité !

Sean hoche la tête, visiblement d’accord avec sa sœur. Le reste des Surnaturels semblent également lui donner raison. Excepté le Leader. Il ne réplique rien. Il se contente de braquer son regard sur le seul lit occupé de l’infirmerie. Pense-t-il, tout comme moi, qu’il existe une menace extérieure, autre que la Démone ? Parce que si c’est le cas, j’aimerais beaucoup connaître sa théorie.

Cela pourrait sûrement paraître inconcevable aux autres, mais la différence entre eux et moi, c’est qu’ils n’ont pas atterri dans des effractions de rêves et qu’il ne leur a pas été proposé de mystérieux marché de la part de la Démone pouvant les faire douter quant à un possible danger extérieur à Mélodie. J’ai d’ailleurs hâte d’être à cette nuit. J’espère qu’elle respectera aussi bien que moi sa part du contrat.

Mon regard dévie vers le lit où repose la Surnaturelle. Celui-là même où presque tous les yeux sont rivés, un rictus d’horreur accroché sur chaque visage. Le mien y compris. Je suis choquée. C’est le mot. Jusqu’à maintenant, je n’imaginais pas l’ampleur du danger qui planait sur Réturis. Je ne sais pas si Mélodie est à l’origine de tout ça, mais si c’est le cas, je perds tout espoir qu’un jour elle soit capable de redevenir ce qu’elle était. Parce qu’être capable d’une chose pareille, c’est inhumain. Il n’y a pas de mots pour décrire cela.

J’observe Cassie, allongée sur ce lit blanc, des machines reliées à son corps qui ne cessent de biper pour indiquer la constante de son pouls. J’observe son visage, encadré par de jolies boucles rousses qui, autrefois, lui donnaient un air espiègle. Dorénavant, elles ne peuvent rien faire pour rattraper les dégâts. Si je fais abstraction de toute la partie droite, Cassie me paraîtrait presque normale. Mais il est impossible de passer à côté. On ne voit que ça. Cette partie est entièrement brûlée. De grosses cloques et marques rouges y ont élu domicile. Des cicatrices qu’elle gardera sûrement à vie balafrent tout le côté droit de son visage, partant de la naissance de son cou jusqu’à son sourcil, désormais inexistant. Heureusement, je crois que son œil est intact. Les cicatrices sinueuses s’arrêtent à l’extrémité de sa narine et débordent quelque peu sur la commissure de ses lèvres. Son visage est déformé à vie.

Même les pouvoirs de guérison de Zéphyr n’ont rien pu faire pour arranger ça. Ses blessures sont bien trop importantes. Le responsable de ce carnage aurait pu s’arrêter là, mais il ne l’a pas fait. Je baisse les yeux sur le bras droit de Cassie, enveloppé dans un garrot. Ma gorge se serre lorsque j’imagine la douleur qu’elle a dû ressentir au moment du coup fatal. Elle y a perdu sa main droite.

C’est l’Aimant qui, en revenant du Jardin Abyssal, est tombé sur Cassie qui coulissait la porte du hall. Elle est rentrée d’elle-même. Pour l’instant, personne ne sait comment. D’après Zéphyr, elle s’est évanouie à la seconde même où ses pieds ont touché le sol du Majestueux. Il n’a pas eu le temps de lui poser la moindre question. Depuis, nous attendons tous ensemble qu’elle se réveille. La reine a été mise au courant, mais pour une raison qui m’est inconnue, elle n’est pas passée voir sa fille. Et moi, j’ai tout un tas de choses qui me traverse l’esprit en ce moment. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est de savoir que la personne responsable de cet acte cruel est également celle qui détient ma sœur. Tessia est entre les mains d’un ou d’une psychopathe. J’ai très vite compris qu’elle n’était pas revenue. Maximilien et Edden sont allés vérifier à l’extérieur du château, mais je ne me suis pas bercée d’illusions. Je savais que si Zéphyr n’avait pas prononcé le nom de ma sœur, c’est qu’elle n’était pas là.

J’ai tellement de questions à poser à Cassie lorsqu’elle se réveillera, mais j’ai conscience qu’il ne va pas falloir la brusquer. J’ignore comment je vais pouvoir me contenir. Je suis déjà fatiguée de toute cette attente. Je me sens tellement impuissante. Tout ce que je peux faire, c’est la regarder dormir. Mon cœur se serre d’angoisse et de douleur lorsque j’imagine Tessia dans le même état que Cassie. Peut-être a-t-elle le visage déformé ? Une main en moins ? Rien que d’y penser, ça me rend malade. Un frisson d’horreur parcourt ma colonne vertébrale. Il faut que Cassie se réveille. Si je dois prier tous les dieux de Réturis quels qu’ils soient afin qu’elle ouvre enfin les yeux, alors soit, je le ferai. Tessia ne peut pas rester une journée de plus prisonnière de cet individu fou à lier.

Je jette un coup d’œil en direction d’Angie. Il est occupé à observer minutieusement l’Optimiste, comme s’il y avait le moindre indice sur elle qui pourrait nous indiquer d’où elle revient. Ses mains effleurent les cicatrices de Cassie et je ne peux m’empêcher de penser au moment où, un peu plus tôt, ses mains effleuraient ma peau.

J’avais tellement peur qu’il refuse de me pardonner. Et finalement, c’est lui qui m’a présenté ses excuses. Encore une fois. Cela m’a surprise, tout comme ses yeux. À chaque pas qui le rapprochait un peu plus de moi, son regard se perdait dans une magnifique couleur rouge. Il n’aspirait qu’à une seule chose, m’embrasser. J’ai essayé de résister. Lorsqu’il s’est jeté sur mes lèvres, je l’ai repoussé. Je ne voulais pas qu’il pense que je suis à sa merci, qu’il puisse m’embrasser comme bon lui semble, que cela efface la façon dont il se comporte en ma présence lorsqu’il s’énerve. Mais quand sa bouche a de nouveau fondu sur la mienne, j’ai succombé. Telle une débutante. Chaque sensation qu’il m’a procurée est encore présente. Il m’en a offert plus en un seul baiser que je n’en ai eu dans toute ma vie. Et il avait l’air tellement frustré que j’y mette fin...

— Angie, je t’en supplie ! Laisse-moi y aller ! Tu ne peux pas me l’interdire ! s’écrie la voix d’Apolline, me sortant brusquement de mes pensées.

Je cligne des yeux pour revenir à la réalité, furieuse de penser à ce genre de choses alors que ce n’est vraiment pas le moment. La Talentueuse et le Leader sont maintenant face à face. Apolline serre les poings de colère. Sean pose une main sur son épaule pour tenter de la calmer, mais elle la retire d’un geste brusque et braque un regard incendiaire sur Angie.

— Comment peux-tu me faire une chose pareille ? Ça ne sert à rien d’attendre qu’elle se réveille ! On sait tous ici que la Démone est responsable ! C’est elle qui lui a fait ça !

— Nous n’avons aucune preuve, rétorque Angie. Nous sommes déjà en conflit avec la Démone, je ne veux pas davantage envenimer la situation en lui faisant payer l’état de Cassie alors que nous ne savons pas si elle en est responsable.

— Mais évidemment qu’elle l’est ! hurle Apolline, des larmes dévalant son joli visage. Qui veux-tu que ce soit d’autre !?

— Pour le moment, je n’en ai aucune idée. Nous attendrons que Cassie se réveille et je t’interdis de partir à l’Imposant. Est-ce que c’est clair ? demande Angie d’une voix autoritaire, la mine impassible, les bras fermement croisés sur son torse.

Apolline essuie rageusement les larmes qui coulent sur ses joues et tourne le dos à Angie, le regard noir. Elle a l’air très en colère. Son frère l’attire une fois de plus entre ses bras protecteurs. Après avoir hésité, elle finit par s’y blottir, ses mains s’accrochant au tee-shirt de Sean. Elle n’a rien répondu au Leader. Elle est visiblement en désaccord avec lui, mais elle ne veut pas prendre le risque de contester sa décision. Donner un ordre pareil n’a pas non plus l’air de faire plaisir à Angie. Malgré tout, il reste impassible. Sûr de lui. Après tout, il ne fait que son travail de Leader. Prendre cette décision doit lui faire autant de mal qu’à Apolline. Je ne sais pas au juste depuis combien de temps ils se connaissent, ou quelle est la relation qu’ils entretiennent tous les deux, mais il a l’air de tenir à elle autant qu’elle tient à lui. D’ailleurs, Sean non plus ne conteste pas l’ordre d’Angie. Peut-être est-il d’accord avec le Leader ? Quoi qu’il en soit, je suis impressionnée par son sang-froid. Il se contente de garder sa sœur contre lui, caressant ses cheveux afin de la calmer. J’aimerais tellement être là pour ma sœur, moi aussi.

— Tu la reverras, murmure une voix à mon oreille.

Je sursaute. Ce n’est pas Angie qui vient de me sortir cette phrase. C’est Isaac. Et venant de lui, qui est incapable de lire dans mes pensées, ça me surprend et m’intrigue fortement. Je fronce les sourcils.

— J’ai senti ta peine et ton inquiétude, alors je me suis douté de ce qui pouvait bien te tracasser, s’empresse-t-il de m’expliquer. Tu reverras ta sœur, il faut simplement que Cassie se réveille. Ce n’est qu’une question de temps.

J’observe ses yeux marron, plus foncés que d’habitude. Comment a-t-il fait pour sentir ma peine et mon inquiétude ? Je crois que même lui ne le sait pas. Son regard est anxieux. Il s’inquiète pour moi.

— J’espère que tu as raison, me contenté-je de répondre, haussant les épaules.

En réalité, j’en doute fort. Parce qu’à chaque fois que nous sommes sur le point de retrouver Tessia, tous mes espoirs tombent à l’eau.

— Tu n’y crois pas toi-même, n’est-ce pas ? me demande-t-il, davantage sur le ton d’une remarque que d’une question.

Je hoche la tête. Il me connaît bien. Je ne sais pas quand notre relation a commencé à devenir aussi forte, mais je sais qu’aujourd’hui, il compte sincèrement pour moi.

— Je ne sais pas quoi en penser, avoué-je. À chaque fois que je suis sur le point de retrouver ma sœur, il y a toujours quelque chose qui se met en travers de ma route. Alors, je préfère ne pas commencer à espérer inutilement.

— Tu ne devrais pas. Sans espoir, il n’y a pas de vie. Si j’ai tenu bon à l’Isolement durant toutes ces années, c’est bien grâce à ça. L’espoir de sortir de cette prison de malheur, de retrouver ma liberté, de revoir des visages familiers. Ça m’a aidé à tenir ! Tu ne devrais pas t’interdire d’espérer. Tu as le droit au bonheur, Evalina ! Comme tout le monde ici présent, conclut-il, le regard dérivant jusqu’au lit où repose Cassie.

J’observe tristement le visage défiguré de la rouquine. Tout le monde a droit au bonheur. Ce n’est pas ce que je vois lorsque je regarde l’Optimiste. Quoi qu’il puisse dire, depuis que j’ai atterri à Réturis, j’ai appris à me méfier bien plus qu’à espérer.

— Est-ce que tu penses que la Démone est derrière tout ça ? l’interrogé-je, changeant de sujet par la même occasion.

Isaac prend quelques secondes de réflexion, avant de me répondre :

— Venant d’elle, ça ne m’étonnerait pas.

— Donc... c’est un oui, ou un non ?

Isaac se passe une main dans ses cheveux bruns décoiffés et finit par secouer la tête.

— Disons que je ne sais pas vraiment quoi en penser.

C’est bien ce qu’il me semblait. Même lui n’est pas sûr qu’il s’agisse de la Démone, alors qu’il la connaît pourtant mieux que nous. Mais s’il ne s’agit pas d’elle, alors de qui ? Les autres vivent à Réturis depuis qu’ils sont nés, et pourtant, ils ne sont pas plus avancés que moi. S’il existe une réelle menace à l’extérieur, autre que la Démone, elle se faisait bien discrète jusqu’à maintenant.

Zéphyr, resté jusque-là silencieux, se décolle du mur contre lequel il s’était adossé et me jette un coup d’œil. Il observe Cassie puis me regarde à nouveau. Il semble avoir quelque chose derrière la tête. Ses yeux bleus se mettent à pétiller et il n’attend pas plus longtemps pour nous exposer l’idée qui vient de germer dans son esprit.

— Evalina, tu peux faire quelque chose pour Cassie.

Toutes les paires d’yeux présentes dans la pièce se posent sur moi. Je ne sais pas vraiment comment prendre la remarque de Zéphyr. Était-ce une question ou plutôt une affirmation ? Il a l’air plutôt sûr de lui. Il s’approche du lit où repose l’Optimiste, puis me fait signe de le rejoindre. J’obtempère, aussi curieuse que les autres.

— Quand Isaac était dans le coma, tu l’as guéri en absorbant mes pouvoirs, me rappelle-t-il. Ça l’avait réveillé quelques minutes plus tard. Je pense que si tu fais de même avec Cassie, cela accélérera le processus de guérison interne, ce qui la réveillera sûrement.

— Ça peut marcher, affirme Edden.

Les autres hochent la tête tour à tour, en accord avec l’Aimant. Seulement la dernière fois, je l’avais fait sans réfléchir, je n’avais pas conscience de ce que j’accomplissais. J’avais même appris que si j’étais allée trop loin, cela aurait pu me tuer ! Je ne suis donc pas très confiante, mais lorsque mon regard croise celui d’Apolline – qui a relevé la tête du torse de son frère et m’observe maintenant avec une lueur d’espoir au fond des yeux –, je sais que je ne peux pas refuser. Je dois essayer.

— Je veux bien tenter, mais je ne vous promets rien, m’empressé-je de les avertir. La dernière fois, je ne sais même pas comment j’ai fait... Je voulais juste sauver Isaac et le reste est venu sans que je comprenne comment.

— Ne réfléchis pas, me conseille Angie. Il n’y a que comme ça que tu réussiras.

Je déglutis, prends une grande inspiration, puis place mes mains comme il le faut sur le visage de Cassie. Une sur son front, l’autre sous son menton. Je ne sais pas si je vais réussir à me concentrer. Toutes les paires d’yeux qui me scrutent m’en font grandement douter. J’essaie de les ignorer et je fais comme Angie m’a conseillé. Je ne réfléchis pas. Zéphyr se place à mes côtés et pose une main sur mon épaule afin de me faire parvenir son pouvoir de guérison. Je ferme les yeux et essaie de ressentir son énergie, de me l’imaginer traverser mon corps, redoubler de puissance pour aller se déverser dans les veines de Cassie.

Mais c’est peine perdue. Je ne ressens rien. Et de savoir que tous les Surnaturels trépignent d’impatience ne fait qu’empirer les choses. Je deviens soudain nerveuse. Comment me suis-je débrouillée la dernière fois ? Pourquoi suis-je incapable de reproduire ce que j’ai réussi à faire pour Isaac ? Pourquoi, lorsque tout le monde compte sur moi, je ne fais qu’échouer ? Mon cœur s’accélère face à toutes ces questions sans réponses. Je tente de ralentir ses battements, de me concentrer, à l’affût du moindre effluve du pouvoir de Zéphyr. Je serre les paupières, comme si cela allait m’aider à ressentir quoi que ce soit. Je me sens totalement impuissante.

— Concentre-toi, me glisse soudainement une voix à mon oreille.

Je me fige en reconnaissant d’emblée ce timbre grave et ce léger parfum mentholé. Son torse frôle mon dos. Je rouvre les yeux quand il dégage les cheveux qui me tombent sur le visage et me les place délicatement d’un côté, de façon à ce que ses lèvres puissent frôler mon oreille.

— Tu es meilleure quand tu ne réfléchis pas, me murmure-t-il, posant une main sur ma taille. Arrête de penser et fais-le.

Ses paroles et son contact ont le don de me faire oublier ce qui me faisait paniquer. Mon esprit s’est vidé de toute question. Je ferme à nouveau les paupières, ma tête libérée de toute préoccupation. Je ne fais même plus attention aux paires d’yeux qui me fixent. Je me concentre uniquement sur la main de Zéphyr, toujours posée sur mon épaule. Une vague de chaleur familière se déverse alors dans mes veines, bientôt suivie par une dizaine d’autres, de plus en plus fortes à mesure que je les absorbe. J’effectue une légère pression sur le front et le menton de Cassie, lui transmettant l’énergie qui me parcourt le corps.

Je suis focalisée sur sa guérison. Le pouvoir de Zéphyr est désormais en moi. Je crois qu’il n’a même plus besoin de poser sa main sur mon épaule pour me le transmettre. Je le sens. Je me sens plus forte. J’ai l’impression que la puissance de mon pouvoir a été décuplée en une fraction de seconde. Et je transmets le tout à Cassie, n’ayant pas la moindre envie de m’arrêter. Je suis bien. Je me sens magnifiquement bien. Je pourrais continuer encore et encore… Malheureusement, quelqu’un n’est pas de cet avis. Une deuxième main se pose sur ma taille et me tire en arrière. Mon contact avec Cassie se brise. Je me retrouve prisonnière entre les bras d’Angie, son cœur battant un peu plus vite que la normale.

— Se sentir bien n’est pas une bonne chose lorsque tu utilises ce pouvoir, m’explique-t-il. Tu entrais en état de transe, qui conduit à la mort. Si je t’avais laissé continuer, ce serait devenu beaucoup trop dangereux.

Il retire ses bras de ma taille et me fait signe de regarder devant moi. Je pose mes yeux sur le lit où repose Cassie. Les paupières de cette dernière papillonnent. Elle est en train de se réveiller ! Zéphyr et moi avons réussi. L’Aimant me décoche un sourire laissant apercevoir ses deux adorables fossettes. Sean et Apolline se précipitent jusqu’au lit de leur petite sœur, Bastian les suivant de près, une profonde expression de soulagement au fond des yeux. La Talentueuse replace ses longs cheveux noir de jais derrière ses oreilles et me remercie du regard. L’Hilarant m’offre un sourire de gratitude puis attrape la main de Cassie, dans le but de la rassurer. Les autres se sont rapprochés, mais gardent tout de même une distance respectable afin de laisser à l’Optimiste le soin de respirer. Cette dernière finit enfin par ouvrir ses yeux bleus. Du moins, celui de gauche. Sa peau brûlée tombe en quelques plis disgracieux sur celui de droite. Elle prend le temps de s’habituer à la lumière blanche de l’infirmerie, puis elle se redresse à l’aide de ses coudes et réussit à se mettre en position assise, la tête tournée vers nous, le regard nous scrutant tour à tour.

— Cassie ? prononce la voix d’Apolline, chargée d’émotion.

L’Optimiste ne relève pas la tête vers sa sœur. Son regard dévie et se baisse sur le lit où elle se trouve. Elle semble observer le moindre détail qui l’entoure. Lorsque ses yeux passent sur son bras, elle se fige. D’une main tremblante, elle vient frôler le garrot à la base de son poignet. Elle reste de longues secondes ainsi, dubitative, à observer son bras droit dépourvu de sa finalité. Les bips-bips incessants des machines s’assurant de la régularité de son pouls se font plus rapides. Elle commence à paniquer. Apolline s’empresse de reprendre la parole afin de la rassurer.

— Ne t’inquiète pas, tout va bien ! Tu es en sécurité avec nous, tu n’as aucune raison de t’affoler. Tout va bien... Tu es de retour au Majestueux.

Malheureusement, cette phrase ne semble pas avoir l’effet escompté. Les bips s’accélèrent. Ses yeux furètent dans tous les sens. Elle va faire une crise de panique !

— Cassie, tout va bien ! intervient son frère. Apolline a raison, tu n’as aucune raison de t’inquiéter ! Nous sommes là, maintenant.

Il pose sa main sur celle de Cassie et lui sourit.

— Tu nous as manqués, petite sœur.

Les bips ne ralentissent toujours pas. Je regarde Angie du coin de l’œil, mais ce dernier secoue la tête lorsqu’il devine ce que j’ai en tête. Non, il n’ira pas s’incruster dans la conversation. C’est à Sean et à Apolline de s’en charger. Cassie retire brusquement la main de son frère et recule autant qu’elle le peut. Sean cherche à l’apaiser une fois de plus par son contact, mais elle recule encore, jusqu’à se retrouver à l’extrémité de son lit, le dos plaqué contre le mur. Sa poitrine se soulève et s’abaisse bien trop vite. Elle est complètement affolée !

— Cassie...

— Arrêtez avec ce prénom ! hurle-t-elle soudainement, coupant la parole à son frère. Où est-ce que je suis ? Qu’est-ce que je fais ici ? Pou… pourquoi est-ce qu’il me manque une main ? Pourquoi est-ce que j’ai mal ? Qui...

— Cassie, calme-toi ! s’écrie la Talentueuse. Tu es au Majestueux, tu n’as rien à craindre !

L’Optimiste secoue la tête nerveusement. Quelques boucles rousses tombent en travers de son visage défiguré par la panique. Apolline s’assied sur le bord du lit, cherchant le contact avec sa petite sœur, mais cette dernière fait de grands mouvements des bras pour la repousser.

— Ne me touche pas ! hurle-t-elle de nouveau, sa main agrippant le drap de toutes ses forces. Va-t’en ! Allez-vous-en, tous autant que vous êtes !

— Mais... Cassie...

— Non ! Je t’ai demandé d’arrêter avec ce prénom ! Va-t’en ! Fichez-moi la paix ! Je ne sais pas qui vous êtes, mais fichez-moi la paix ! Allez-vous-en !

De grosses larmes commencent à dévaler les joues de Cassie. Elle nous regarde, totalement effrayée, sans avoir conscience de l’impact que viennent d’avoir ses paroles sur l’ensemble du groupe. Sean et Apolline échangent un long regard. Les yeux bleus de la Talentueuse virent au gris. Son frère déglutit. Lentement, usant de la plus grande des précautions pour ne pas l’effrayer davantage, il s’approche de Cassie. Cette dernière se recroqueville tout au fond du lit, tremblante, les genoux repliés sous son menton. Sean l’observe silencieusement. Il veut parler, mais les mots peinent à franchir le seuil de ses lèvres. Personne n’ose prononcer à voix haute ce que tout le monde pense tout bas. Finalement, il se risque à poser la question fatale :

— Sais-tu comment je m’appelle ?

Cassie se cache derrière ses boucles rousses et sanglote :

— Non…

Apolline s’effondre en larmes. Sean reste planté là, à côté du lit, incapable d’avoir une quelconque réaction. Les autres sont tétanisés sur place. Dubitatifs. Même Angie ne sait pas quoi dire. Quant à moi, j’ai envie de tout lâcher et de craquer comme Apolline en ce moment. Je le savais. Je le savais qu’il ne fallait pas espérer. Alors pourquoi avais-je une petite lueur d’espoir au fond de moi quand Cassie a ouvert les yeux ? En plus d’être défigurée et d’avoir perdu une main, il fallait qu’elle perde la mémoire ! Je n’ai plus aucune chance de retrouver Tessia.

Je lève les yeux sur Isaac, sentant les siens m’observer silencieusement. Je hausse les sourcils, lui faisant ainsi comprendre qu’il avait tort. Je ne la retrouverai pas. Je tourne les talons et quitte cette infirmerie bien trop chargée en émotions négatives. Il faut que je sorte d’ici. Je coulisse la porte et m’aventure à l’extérieur, mes pieds foulant le tapis de velours rouge sans savoir où aller. Je n’ai aucune destination spécifique en tête. J’avais seulement besoin de fuir cet endroit. Mais même ici, à l’extérieur, je n’arrive pas à reprendre mes esprits. Le visage de Cassie reste ancré dans ma mémoire. Défiguré, paniqué, perdu. La rouquine ne se souvient même plus de son propre frère ! Et si Tessia m’avait oublié ? Une larme roule le long de ma joue. Puis une deuxième. Je ne prends même pas la peine de les essuyer, les laissant glisser en emportant avec elles tous mes espoirs.

— Evalina ! m’interpelle une voix grave.

L’individu me contourne pour se mettre face à mon visage baigné par les larmes. Ses yeux chocolat me fixent d’un air empathique, exprimant toute la tristesse qu’il ressent pour moi. Je ne veux pas qu’il ait pitié. Il ouvre la bouche, mais je le devance :

— Si tu es venu uniquement dans le but de me sortir un vieux « Je suis désolé pour toi et ta sœur, je te promets qu’on la retrouvera », tu peux repartir ! Je te l’avais dit, Isaac, il y a toujours quelque chose qui se met en travers de ma route ! Et j’en ai marre ! explosé-je. Tu vois à quoi sert l’espoir ? À te faire mal ! Il ne sert qu’à amplifier la douleur que tu ressens et qui te tue de l’intérieur ! Cassie est complètement amnésique ! Jamais je ne retrouverai ma sœur, elle doit probablement être dans le même état ! hoqueté-je, plongeant la tête entre mes mains.

Isaac me passe alors une main derrière la tête et me tire jusqu’à lui. Je suis surprise par son geste soudain, mais je ne le repousse pas. Parce que j’en ai affreusement besoin. Je m’agrippe à ses épaules, puis laisse les larmes s’évader de leur prison.

Related chapters

Latest chapter

DMCA.com Protection Status