—Bon sang, Octave ! Il est bientôt midi ! Midi, vous entendez ! C’est la dernière fois que je tolère un retard pareil ! Que votre père ait été célèbre, je m’en contrefiche ! Vos obligations sont ici, dans ce service, à la Sûreté de Paris ! Le président va défiler, nous devons nous rendre immédiatement à la galerie des machines pour assurer la protection des civils !—Clotaire, attendez !La voix d’Octave est ferme, il ne courbe pas l’échine devant son supérieur, déstabilisé par cette volonté nouvelle.—J’ai à vous parler d’une piste, Clotaire. C’est très important.—À voir votre tête, je doute que vous ayez beaucoup dormi, vos propos méritent-ils que je vous écoute ?—Oui.—Bien, entrez dans mon bureau.Octave s’assoit, mais peine à commencer son monologue savamment préparé, alors en vrac, il avoue tout de ses activités de ces dernières semaines. Ses passages au Moulin Rouge, l’aura oppressante que dég
Dans la bicoque de Griselda, Anastase prend ses quartiers dans une extension magique créée par la sorcière. Les buveurs supportent difficilement les plantes, sensibles à leurs propriétés et leurs enchantements, aussi ne s’attarde-t-il pas dans la pièce principale où règne un joyeux enchevêtrement de pots remplis de monstruosités et de fleurs gémissantes suspendues aux poutres. Lorsqu’il dépasse le feu qui crépite dans l’âtre et le chaudron bouillonnant, le chat bionique de Griselda feule de frayeur et de colère. Il l’observe avec méfiance et dédain sous le regard amusé de sa maîtresse.—Il n’aime pas trop les visiteurs...—Je n’en veux pas à ton familier, je dois certainement avoir une odeur de goule en plus d’une odeur de mort, grimace Anastase.—Suis-moi, j’ai aménagé l’endroit dont tu as besoin.Ils traversent un long corridor démesurément grand pour Anastase, en comparaison de sa maison dans les bois.—Tu vis donc vraiment
Reclus dans sa cage comme un animal, taché du sang et des sécrétions des deux cadavres à ses côtés, Octave sent son cerveau s’embrumer. Les contours de la goule deviennent flous et ses grognements de rage semblent provenir de loin. Octave se maudit, maugrée, et s’évertue à recouvrer ses esprits, mais le choc, l’effroi et sa blessure à la main le font glisser dans l’inconscience. Il perçoit vaguement les silhouettes qui envahissent la maison et le combat qui fait rage sous ses yeux voilés. Avant qu’il ne perde connaissance, il distingue une jeune femme, une guerrière. Elle est dotée de longs cheveux couleur de rouille et d’une armure recouverte de feuilles. Elle paraît si loin de sa réalité… Elle décoche des flèches avec une rapidité effrayante et l’observe à la dérobée avec un sourire confiant. Puis tout devient noir et il s’effondre.Le lendemain, il se réveille, paniqué. Il constate avec stupeur qu’il se trouve dans son lit, propre et dans son pyjama. Il rougit un instant se d
À la nuit tombée, Octave se rend au Moulin. Il reste assis de longues heures, espérant l’apercevoir dès que le rideau s’entrouvre, mais elle ne danse pas ce soir-là et Octave pressent qu’il ne la verra plus sur scène. Elle doit se douter qu’elle est devenue une cible pour la police. Alors que la nuit s’étire et que la fatigue le gagne, il décide de rejoindre les consommateurs d’opium, dépravés, au pied de l’éléphant. Il en fume peu, seulement de quoi se fondre parmi les autres, et accoste deux jeunes hommes occupés à reluquer les courtisanes avec avidité.—Hé ! Pas vu la danseuse orientale ?—Nan…, se lamente l’un des deux. La rumeur court qu’elle ne travaille plus ici. Elle aurait quitté le cabaret pour de bon… dommage hein ! un sacré morceau !—Oui, dommage…Il ne s’attarde pas davantage, il possède la réponse qu’il recherchait. Il a également la certitude que Raïzel est mêlée à toute cette histoire macabre. Ne reste plus qu’à comprendre
Du reste de sa journée, Octave écume les hôpitaux susceptibles de posséder des poches de sang. Grâce à l’appui du gouvernement, personne ne lui oppose de refus. Maintenir captifs des buveurs assoiffés est une folie et tous les habitants semblent en avoir conscience. Seul Clotaire s’en fiche royalement. Les véhicules se succèdent devant le Vélodrome et les poches sont distribuées par les Féeriques, éprouvant des difficultés à maintenir une séparation solide entre la piste et les gradins.—Octave !Clotaire s’avance droit vers lui et l’auxiliaire s’apprête à encaisser remarques et insultes, mais son chef lui ordonne seulement de rentrer chez lui. Les interrogatoires n’ont pour l’instant rien donné de concluant, mais même ceux qui disposent d’un alibi solide ne sont pas relâchés. Bientôt, songe Octave, la rébellion naîtra dans les gradins. Une alliance entre buveurs peut défaire un sort magique.Octave quitte l’endroit, désemparé. Il hèle un fiacre qui le condui
Dans un nuage de vapeur, Octave quitte la chaude humidité de sa modeste salle de bains. La serviette nouée autour de la taille et les cheveux encore mouillés, il se dirige vers le salon pour se préparer un café avant d’aller s’habiller. Son cœur manque un battement et il pousse un cri de surprise lorsqu’il la voit, tranquillement installée sur une chaise.—Morwenna ? Mais… que faites-vous là ? Comment êtes-vous entrée ?—J’avais à vous parler. Et la porte n’était pas verrouillée.Octave devient cramoisi, gêné de se montrer ainsi dénudé. La jeune elfe ne rougit même pas, amusée de la honte de ce beau garçon. Elle est fascinée par ses yeux. Sa timidité couplée à une détermination naissante, cette envie de lutter malgré la peur qui le tiraille. Elle aime ses cheveux couleur noisette aux mèches un peu folles, et le voir ainsi lui prouve qu’il possède l’endurance nécessaire pour mener à bien cette mission. Sa peau blanche et imberbe lui paraît douce et Morwe
—Un rat ? couine Octave, elle nous a vraiment transformés en rat ?—C’est notre meilleure chance. Dans un château, personne ne se soucie des rongeurs ! rétorque Griselda.—Vous y êtes déjà entrée ? Cet endroit est d’un blanc immaculé, je ne crois pas que beaucoup de souris s’y trouvent, hormis pour servir de cobayes !—Taisez-vous ! s’impatiente Morwenna, en tête du cortège. Suivons le renard, il nous guidera jusqu’à la galerie qui mène aux sous-sols du château.Les trois comparses ont été transformés en rats facilement reconnaissables. Morwenna est une rate souple et rapide au poil ambré, Octave un peu plus frêle, mais tout aussi vif avec un poil couleur noisette, comme ses cheveux. Quant à Griselda, qui ferme la marche, elle est plus costaude que ses compagnons, le poil noir comme la nuit.Ils déambulent dans les galeries terreuses, découvrant un monde nouveau: celui de ces créatures discrètes et peu appréciées. Octave
Dans les gradins du Vélodrome, la fureur des buveurs est à son paroxysme. Les poches de sang ne suffisent pas et des mouvements de révolte et de colère éclatent au nom de la Liberté, de la Justice. Rarement Mélisaine a été si terrifiée.—Clotaire ! cette folie doit cesser ! Nous ne tiendrons pas longtemps !—Il le faut ! Demain a lieu l’un des événements les plus attendus de l’Exposition ! Si nous relâchons maintenant ces monstres, nous risquons de déclencher une panique générale dans la ville. L’ordre doit venir du Président Loubet, pas de moi !—Clotaire, je vous en supplie, envoyez une missive urgente au Président !Mélisaine, responsable des fées et des Féeriques, fait son maximum pour endiguer la colère des buveurs. Mais elle doute. Contrairement à Clotaire, elle ne ressent aucune certitude quant à la nature du criminel qu’ils recherchent. Il n’est pas impossible que tous les buveurs enfermés là soient innocents. S’ils continuent ainsi