Deux jours plus tard.La foule s’amasse sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame. L’œuvre architecturale domine Paris par sa magnificence et sa solennité. Il n’y a pas meilleur endroit dans la capitale pour une déclaration à propos d’intégration et d’acceptation de l’autre.Sur le bas-côté, les roulottes des magiciennes et des diseuses de bonne aventure ont cédé la place au peuple, venu écouter le discours présidentiel sur l’avenir de leur cité. Octave se tient parmi eux, droit, dans une redingote neuve achetée pour l’occasion. Il ajuste son haut-de-forme dont il lisse le bord entre son pouce et son index. Il répète le geste dès que des regards se posent sur lui, trahissant ainsi sa nervosité. Personne ne connaît encore son nom, mais bientôt cela changera et l’attitude des gens aussi.—Ça va bien se passer.La voix chantante de Victorine le fait d’abord sursauter et sans même l’avoir vu, il sourit. Lorsqu’il se tourne v
Née en Bretagne, Camille Salomon est autrice de romans jeunesse, de romans de l’imaginaire, de nouvelles et de contes. C’est sur les falaises, au son des vagues qui s’écrasent contre les rochers qu’elle puise son inspiration. Fille du vent en proie aux monstres dissimulés dans les méandres de son esprit, elle voue son admiration sans bornes aux contrées fantasques, aux récits oniriques et horrifiques. Camille est également correctrice et se délecte des univers proposés par les autres auteurs, qu’elle prend plaisir à sublimer.« Ce sont là les secrets de la ville. Certains seront un jour dévoilés, d’autres jamais. Mais la ville garde toujours son visage impassible. Elle ne se soucie pas plus des œuvres du démon que de celles de Dieu ou de l’homme. La ville s’y connaît en ténèbres et les ténèbres lui suffisent. »Salem, Stephen KingAu cœur de la Ville Lumière, dans la pénombre d’une rue privée d’é
Son écharpe en laine remontée sur son nez, Octave longe la Seine d’un pas vif. Dans le froid mordant du mois d’avril, l’aube s’étire lentement au-dessus de la capitale, faisant miroiter ses rayons de lumière colorés à la surface des eaux sombres du fleuve.La ville s’éveille et la brume matinale se dissout avec paresse au gré des minutes écoulées. Octave a été prévenu aux aurores que sa présence était requise au plus tôt. Un coursier avait tambouriné à sa porte et, les paupières encore lourdes de sommeil, il avait parcouru la missive de son supérieur. Sa lecture avait eu tôt fait de le réveiller: un meurtre s’était déroulé durant la nuit, une prostituée. En temps normal, Octave aurait été surpris que la mort d’une catin interpelle ainsi son chef, dénué d’empathie et de pitié. Mais l’ouverture de l’Exposition universelle approchait à grands pas. Clotaire de Belleville, qui dirigeait d’une main de fer la Sûreté générale au sein des locaux de la préfecture de police, avait l’
À la préfecture, Octave descend au sous-sol, berceau de la Sûreté générale, pour y retrouver le calme relatif de son bureau. Malgré les dossiers qui s’entassent, malgré les enquêtes non résolues qui s’accumulent, les agents de ce service restent des parias. Leurs effectifs, trop modestes, ne sont pas près d’être revus à la hausse. Les petits meurtres de la capitale ne préoccupent personne. Seule la sécurité des bourgeois intéresse le gouvernement et les forces de police. Mais les enquêtes dont ils font l’objet ne sont souvent liées qu’à des affaires de vol ou d’escroquerie, des foutaises, pense Octave, alors que des malheureux terminent leurs jours dans la Seine et ne sont jamais repêchés. Il n’ose imaginer le jardin de cadavres qui doit tapisser le fond du fleuve.Lorsqu’il arrive, la voix tonitruante de Clotaire fait trembler les murs. Tête baissée, ses collègues font mine de crouler sous le travail pour éviter ses injures et sa colère. Octave soupire, las de cet affreux perso
Le fiacre le dépose boulevard de Clichy, au pied de la butte Montmartre, devant le Moulin Rouge. Premier bâtiment électrifié de la capitale, le cabaret en est devenu un emblème. Plaisir et Beauté s’y côtoient, regroupant les personnalités aisées et d’autres, plus modestes. Les soirées y sont arrosées de champagne et les spectacles sont des plus divertissants et affriolants. Octave a toujours refusé d’y mettre un pied. C’est pour lui le lieu de débauche le plus sournois de la ville, et la cause d’un grand nombre d’affaires criminelles. Le cabaret a contribué à la renommée de Paris comme «Capitale de l’opium». L’éléphant qui trône dans ses jardins renferme sur un pied d’égalité la luxure et la maladie. Autrefois sculpture de plâtre, c’est dorénavant une création faite d’un métal solide et cuivré, rutilant sous les reflets des lumières artificielles.Octave a toujours fui ce monde-là, peut-être parce que l’hyper sexualisation le terrifie, lui qui n’a jamais connu la ten
Au cœur du bois de Boulogne, la nature est figée. Nul oiseau ne niche en ce début de printemps, nul animal ne chasse. Les feuilles mortes tapissent encore le sol, le vent lui-même semble éviter de souffler. Les arbres ploient sous le poids d’une souffrance mystérieuse. L’endroit est désolé et évité. Seuls les Maléfiques osent pénétrer dans cette partie de la forêt.Se faufilent entre des bouleaux verruqueux parfaitement alignés, de petites lumières parcourant le bois à vive allure. Les feux follets peuvent se montrer espiègles, ils n’hésitent pas à profiter de la faiblesse des humains pour les conduire malgré eux dans ce triste lieu. Ils délaissent ensuite ces pauvres bougres, paniqués, dès lors qu’ils retrouvent leurs esprits.Au loin, à la frontière nord de la forêt, existe une modeste maison, une chaumière peu chaleureuse aux volets fermés chaque jour de l’année. Son toit recouvert de chaume et ses extérieurs délabrés laissent à penser que la demeure est abandonnée dep
Durant l’Exposition universelle de 1889, le quartier de Grenelle avait connu un essor considérable grâce à la construction de la galerie des Machines. L’édifice, haut d’une cinquantaine de mètres pour une superficie avoisinant les cinq hectares, symbolise encore en 1900, la richesse de la capitale. C’est une immense nef de verre et d’acier, qui accueille à présent le pavillon français de l’Agriculture et de l’Alimentation. Situé près de la Grande Roue, il promet d’être de nouveau, le lieu le plus visité de ces prochains mois.Tandis que la nuit enveloppe la ville de son manteau noir, alors que les ouvriers se reposent de leurs longues heures de labeur, les élégants se montrent, arpentant ce beau quartier pour collecter les ultimes faits d’actualité de la journée. Il s’agit là de se tenir informé sur des sujets aussi ennuyeux que l’économie et épineux que la politique. Les rues y sont réputées sûres et pourtant, dans l’ombre des immeubles, Il attend. Les rouages de sa pensée méca
Le majordome précède Octave à l’intérieur d’une vaste entrée de marbre blanc au sol zébré de lignes noires. L’endroit est lumineux, surmonté d’immenses verrières où se déversent les rayons du soleil. Les murs sont ornés de grands tableaux d’illustres scientifiques, jouxtant des peintures colorées, véritable éloge à Mère Nature. Cela contraste fortement avec la sobriété du lieu. D’impressionnants plafonniers d’or et de diamants pendent au-dessus de leurs têtes, scintillant sous les rayons du soleil. Ils doivent briller tout autant sous les rayons de la lune, pense Octave. La richesse et la noblesse suintent sur chaque mur, ce qui le met mal à l’aise, peu habitué qu’il est, à évoluer au cœur de pareille démesure dans Paris. Des colonnes supportent la charpente du bâtiment, dignes des demeures grecques qu’il a déjà eu l’occasion de visiter. Au centre de la pièce se trouve un large escalier d’un blanc aveuglant, aux rambardes cuivrées et étincelantes. À plusieurs endroits, Octave a aperçu