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Prologue

Etienne Laland traversait à pas rapides les couloirs sombres de l’ancienne ambassade. Il regarda sa montre et son pouls s’accéléra. Il allait être en retard… Et ceux qu’il devait rejoindre étaient tout sauf patients. Son costume noir, mal coupé, le démangeait. Sa cravate était trop serrée, lui donnant l’impression d’étouffer. Il se fraya finalement un chemin dans la salle de réception. Heureusement, il n’avait pas commencé à parler.

Une perle de sueur orna immédiatement le front d’Etienne lorsqu’il vit les regards converger vers lui. La vaste pièce rassemblait, sous la lumière de son immense chandelier de cristal, les membres les plus éminents des Survivants. D’antiques tentures de rouge et d’or tapissaient les murs, quelque peu défraîchies par les ans sans que leur superbe en soit entamée.

Etienne regarda les autres invités. Tous portaient des habits somptueux. Les tenues des hommes, aux teintes sombres, étaient parfaitement taillées. Les femmes, au contraire, se démarquaient par de longues robes de soie, de couleurs vives et variées. Ils riaient, savourant du champagne. Les dernières bouteilles de l’Humanité. Il se demandait encore comment il avait eu la chance d’être convié à cette soirée.

Il jeta un coup d’œil à la fenêtre. Les rideaux étaient fermés. Rester dans leur confort illusoire était bien plus aisé que d’affronter la réalité. Etienne les comprenait, il n’aimait pas ce qu’il entrevoyait non plus. S’il avait pu, il serait resté lire sous les doux rayons du soleil. Mais cette époque était révolue… À travers l’embrasure des draperies, il aperçut les rues grises et ternes. La végétation morte, les routes désertées autant par l’Homme que par la vie…

Il s’avança enfin, et monta sur l’estrade, une coupe de champagne à la main. C’était celui qui portait le costume le plus élégant. D’un gris anthracite, parfaitement coordonné à la couleur de sa barbe et de ses cheveux, qu’il portait mi-longs. Son visage émacié à l’air sévère semblait bien noble, comparé à celui d’Etienne. Il leva une main et tout le monde se tut immédiatement. Deux yeux vairons, l’un bleu, l’autre vert, fixèrent chaque personne de l’assemblée.

— Après avoir périclité jusqu’à atteindre le point de non-retour, je peux vous le dire, l’Humanité est condamnée. Je ne parle pas seulement de l’événement qui nous a rassemblés ici ce soir. Celui qui est déjà nommé par la plèbe comme le Cataclysme.

Sa voix grave s’éleva, parfait équilibre entre un fracas assourdissant et un chuchotement ténu.

— Mesdames et messieurs, je vous parle d’un monde dévoré par la cupidité. Un monde, dont la simple mention suffit à me donner envie de vomir. Des cendres tombent du ciel pour nous étouffer. Le sang coule et inonde les rues. Et quelle est leur réaction ? Ils se vautrent dans la paresse ou la violence.

L’orateur regarda sa femme dans les yeux. Elle était superbe, ses longs cheveux blonds cascadant sur sa taille fine. Elle respirait autant l’élégance que l’intelligence et le pouvoir. Eléonore Lark lui adressa un petit signe de tête encourageant.

— Il est temps que cela cesse. L’Humanité a eu une deuxième chance, à nous de ne pas la gâcher. Est-ce une franche réussite ?

Une moue déforma ses traits tandis qu’il secouait la tête, imité par plusieurs de ses invités.

— Je ne crois pas. Mais, aujourd’hui, je vous propose une alternative. Une vision.

Le tribun continuait de parler, envoûtant par son message les hommes et les femmes autour d’Etienne. Plus le discours avançait, plus il était saisi d’horreur. Il ne pouvait pas prendre part à une telle infamie… Il se dirigea à pas feutrés vers la porte de sortie, grande ouverte. L’homme aux yeux vairons claqua des doigts et les battants se refermèrent juste devant Etienne.

Il souriait.

— Ah, M. Laland ! Vous nous quittez déjà ?

— Non, bafouilla Etienne, je voulais simplement aller me rafraîchir…

— Voyez, gronda l’orateur en s’adressant à la foule qui buvait chacune de ses paroles, M. Laland est le parfait exemple de la gangrène qui ronge notre société. Il serait prêt à sacrifier le futur de l’Humanité par simple couardise. Mais, ce soir, au contraire, il va nous aider. Il sera notre premier sujet. Emmenez-le.

Deux gardes solidement bâtis apparurent et saisirent Etienne. La porte se referma, coupant ses cris. Il se tourna vers son auditoire, conquis.

— Très bien. À présent, laissez-moi vous poser une question…

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