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Chapitre 3

À la véranda de l'imposante villa qui supplantait tout le domaine, une silhouette se percevait dans l'obscurité de la nuit. En avançant de plus près, Xavier reconnu sans difficulté Eba, la fille du contremaître. De qui d'autre aurait-il pût s'agir ? Qui d'autre aurait-il pût perdre son temps à l'attendre jusqu'à une heure aussi tardive ? Seule la jeune fille avait cette patience. Elle seule également parmi tous les employés du domaine avait l'autorisation de se tenir sur le porche de la demeure. Elle seule avait également reçut son autorisation pour bien d'autres privilèges. A la jeune fille à laquelle il s'était pris d'affection, Xavier ne pouvait rien refuser. En l'observant se lever prestement et courir à sa rencontre, le jeune maître sourit. Il savait qu'elle allait s'enquérir du déroulement des évènements de la soirée. Elle le questionnerait en  désirant tout savoir. Lui, n'était pas sur de vouloir tout lui raconter. Comment revivre cette douloureuse soirée en expliquant à la jeune fille l'humiliation dont il avait été sujet ? Non, Xavier était résolut à ne rien lui dire. Il allait garder le silence. La laissant venir à lui, il s'immobilisa. Levant les yeux vers le ciel, il scruta la lune. Celle-ci était pleine. Un instant, Xavier ferma les yeux. En mémoire, les rires et les regards ironiques de ces bêfouê lui revinrent. Dans son esprit résonnaient encore les propos injurieux du dénommé Le Bourgeois. Avec précision, il revoyait encore le regard méprisant de l' infâme petit homme au crâne dégarnit.  Chassant ce souvenir, Xavier réouvrit les yeux. Il ne perdait rien pour attendre celui-là, résolut-il fermement. A cet impertinent ivrogne et même à son arrogante de grande fille, il allait leur faire payer leur affront. Il y comptait bien. Fermant résolument le poing, il se promit de leur apprendre qu'on ne se moquait pas à tort de lui. A moitié soulagé, Xavier osa enfin poser son regard sur Eba. La jeune fille se tenait proche à présent. A la clarté de la nuit, elle rayonnait de son charme juvénile. Comme elle avait mûri la petite Eba, constata t-il. Les yeux fixés sur elle, son regard se perdit un instant sur les formes généreuses qui se percevaient dans sa petite robe à fleurs.  De la jeune fille, il émanait une beauté enivrante, un charme naturelle qui ne laissait pas indifférent l'homme au coeur à prendre qu'il était. Depuis un moment déjà, Xavier avait remarqué la sensualité dérangeante de la jeune fille. Le corps d'une volupté étourdissante le perturbait. Son affection jusqu'alors toute fraternelle s'en trouvait mis à mal. A son grand dame, Xavier se surprenait à désirer la jeune fille. Contre ses pulsions honteuses, il luttait admirablement. En aucun cas, il ne souhaitait réitérer le mauvais exemple de son père. A la place, il préférait plutôt souffrir. Même s'il lui était possible d'obtenir les charmes d'Eba et de n'importe quelle autre de ses employées qui vivaient sur le domaine, jamais le jeune maître ne souhaitait commettre une telle bassesse. Xavier s'estimait trop noble pour cela. Cette petite, il  l'avait vu grandir sous ses yeux. Pour lui, elle était comme une soeur. Ezan, le père d'Eba, avait été au service de son père  avant de l'être au sien. Bien avant sa naissance, il avait toujours été  le contremaître de l'immense plantation du domaine. Ainsi, ce dernier avait été un fidèle employé de Jacques Bavière, son père. Mieux que lui d'ailleurs, Ezan  avait donc très bien connu ce dernier. Si lui Xavier avait finalement été reconnu par son géniteur ce n'était en partie que grâce à lui. C'était le vieux contremaître qui avait plaidé sa cause au près de ce maître blanc, longtemps exilé de sa terre natale. C'était Ezan également qui l'avait retrouvé après l'avoir recherché. Au vieux contremaître, Xavier devait donc tout. Du mieux qu'il le pouvait, le jeune maître de l'antre de l'éléphant tentait d'exprimer sa gratitude. Ainsi, c'était tout naturellement qu'il avait pris  sous son ail,  la petite  Eba, la dernière de la fratrie  de sept enfants. La considérant comme la soeur qu'il n'avait pas eût, Xavier s'était chargé lui même de son éducation. Avec une patience à toute épreuve, il lui avait appris à lire et à écrire. A présent, il en avait fait une jeune femme instruite. Comment, après avoir fait preuve de tant de vertus si louables pourrait-il du jour au lendemain commettre à son égard un écart ? Non, Xavier ne pouvait s'y résoudre. Entre lui et Eba, jamais il ne pourrait y avoir rien d'autre qu'une simple relation fraternelle.

—Tu es déjà rentré du banquet ? S'exclama la jeune fille en prélude à l'interrogatoire qu'elle allait lui faire subir.

—En effet ! Se contenta de lui répondre Xavier en fixant un point invisible à l'horizon.

Obstinément, il gardait les yeux loin de ceux  de la jeune fille. Il savait trop bien combien ceux-ci lui étaient bouleversants. Sentir la caresse de ce regard sur lui, réussissait à le dérouter. En lui, il réveillait  des émotions troublantes que Xavier avait peur de ne pas pouvoir refouler. Seul avec l'innocente jeune fille à une heure aussi tardive, il ne savait pas de quoi il était capable, surtout après l'affreuse soirée qu'il venait de passer. Sentant le danger poindre, Xavier préféra prendre la fuite. A grandes enjambées, il prit la direction de sa villa. Sur ses pas, la jeune fille ne le lâchait toujours pas.

—Comment s'est passé la soirée, raconte moi, s'empressa t-elle de lui demander  comme il l'avait prévu.

— Mal, se contenta de lui répondre Xavier, sans s'arrêter.

—Mais.... ensuite ? S'enquit la jeune fille dont l'impatiente curiosité éclairait le regard.

— Ensuite, rien ! Trancha Xavier. Il n'y a pas de détails à donner.

Sans un mot de plus, Xavier monta les marches de sa demeure. A sa suite,  la petite Eba posait toujours des questions.

— La soirée c'est si mal passée que cela ? Tu ne dis rien mais je sais que j'ai vu juste.

Le dos tourné, Xavier se taisait. Pour Eba qui le connaissait si bien, il n'avait pas besoin d'en dire plus. Elle avait deviné. Elle avait deviné que le mutisme du jeune maître traduisait une profonde amertume.  

— Ce sont ces blancs hein ! Conclut la jeune fille qui n'était pas résolut à lâcher l'affaire. Ils t'ont encore ridiculisé, n'est-ce pas ?  Ceux là, ils ne s'arrêteront jamais ....

Soudain exaspéré, Xavier se retourna vivement pour faire face à la jeune fille. Dans ses beaux yeux bleu, l'expression d'un agacement semblait les animer. 

—Il se faire tard Eba, marmonna Xavier d'une voix qu'il s'efforçait de garder neutre. Tu devrais rentrer.

Déroutée, la jeune fille sembla prise de court. Elle ne s'y attendait pas la petite Eba. Se faire ainsi renvoyée alors qu'elle avait longtemps patienté rien que dans l'espérance de ce moment était tout simplement inconcevable.

—Mais...

—Rentre chez toi, répéta fermement Xavier. Il doit se faire tard et ton père...Xavier se massa les tempes l'air las, je ne veux pas avoir de problème avec lui.

—Mais papa n'y verra aucun inconvénient ...

— Dans ce cas c'est moi qui en voit un. Aller, file, lui ordonna fermement le jeune maître avant de s'engouffrer derrière la porte de son immense villa. Bruyamment, il referma aussitôt celle-ci . A la petite Eba qui rayonnait de sa beauté à la clarté de la lune, il avait ainsi claqué la porte au nez. Perplexe, la jeune fille demeura un moment immobile. Elle n'en revenait toujours pas. Qu'est-ce qu'il lui prenait à Xavier ? Se demanda t-elle. Habituée tout à coup par une profonde tristesse, la jeune fille consentit enfin à rebrousser chemin. En silence, elle descendit lentement les marches des escaliers. Pensive, mille et une questions agitaient son esprit si jeune et pourtant si vif. La petite Eba ne comprenait pas son jeune maître. Elle ne comprenait pas le changement d'attitude qu'il avait depuis peu à son égard. Si chaleureux et si tendre jadis, il était à présent froid et distant. En lui claquant ainsi la porte au nez ce soir, il s'était surpassé dans sa brusquerie. Certainement, le mauvais déroulement de la soirée justifiait sa goujaterie. De lassitude, la petite Eba soupira. Dire qu'il avait fait tant d'efforts pour être admis à ce fameux banquet. Pendant des jours la perspective de côtoyer les sommités de la colonie avait tenu le jeune maître en haleine. Le besoin obsessionnelle qu'avait ce dernier pour  se faire accepter était difficile à comprendre pour Eba. Riche, intelligent et bien éduqué, Xavier avec son physique avantageux avait tout pour plaire. Avec elle, il y était parvenir sans difficulté. Il avait sut lui plaire. Il avait sut la charmer. Eba depuis son plus jeune âge en était tombée amoureuse. La dernière fille du contremaître aimait passionnément le jeune propriétaire du domaine. Cet amour qu'elle savait depuis toujours impossible, Eba le gardait pour elle. A personne, elle n'osait ni le dire ni l'avouer.  Et pourtant, il lui devenait impossible maintenant qu'elle s'épanouissait dans la fleur de l'âge de contenir ses sentiments. Ils semblaient de plus en plus trop intenses. D'ailleurs, quelques uns des habitants du domaine avaient fini par le deviner. Discrètement, ceux-ci l' avaient  fait remarqué à son père. Incrédule, Ezan avait rit. Vite, il avait écarté cette absurde hypothèse. Son innocente Eba ne pouvait pas être amoureuse du jeune maître. Âgée d'à peine 18 ans, elle ne connaissait encore rien à la vie. Elle ne savait même pas ce qu'était que l'amour. Mais le vieux Ezan était loin du compte. S'il savait que sa cadette, sa fille qu'il voyait toujours comme une enfant avait  ses nuits agités par la seule pensée du jeune maître , il tomberait certainement des nus. Assurément, il lui dirait ce qu'elle avait finit par comprendre par elle-même depuis fort longtemps. Il lui dirait qu'un métis aussi puissant tel que Xavier Bavière ne pourrait jamais s'intéresser à elle, la fille du pauvre contremaître. Le jeune maître était à moitié blanc. Elle, Eba était entièrement noire. Contrairement à la plupart des indigènes de la colonie, la présence de Xavier était tolérée dans des endroits où la sienne ne serait même pas envisageable. Même s'il se faisait souvent rabaisser, le mulâtre d'Assinie restait indéniablement mieux traité qu'eux qu'on assimilait souvent à pas moins qu'à des animaux. Pourtant, les animaux, c'étaient bel et bien eux ces bêfouê. C'étaient eux en effet, sous le prétexte d'une soit disant civilisation qu'ils souhaitaient absolument leur apporter et qu'eux les indigènes n'en avaient pourtant rien à faire qu'ils avaient envahit impunément leurs terres. C'étaient eux, qui pour soit disant justifier le financement de l'exploitation de la colonie, s'accaparaient de leur richesse comme des voleurs. Sans scrupules, ils taxaient les fermiers. Aux populations, partout dans les cercles, les villages, ils avaient imposé le travail forcé. Pour engraisser la métropole, tous devaient mettre la main à l'ouvrage. Enfants, jeunes et vieux, personnes n'étaient épargnées.

Devant la porte de la petite maison en bois qui constituait sa demeure, Eba se fit  l'effort de  chasser ces pensées  révoltantes. Troquant son air sombre pour une mine qu'elle espérait plus joyeuse, elle consentit à rentrer chez elle.

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