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Chapitre 5

Dans son boudoir, Xavier était installé confortablement. Ses longues jambes posées l'une sur l'autre sur le guéridon centrale, il fumait en silence un cigare, un verre de cognac à la main. Perdu dans ses pensées, il savourait le doux nectar lorsque N'wozan , son domestique signala sa présence.

—Tu peux entrer N'wozan , fit-il à l'intention du domestique.

—Pardonnez de vous déranger mais, monsieur a de la visite, annonça poliment le serviteur.

Intrigué, Xavier haussa un sourcil interrogateur avant de se redresser. Qui cela pouvait-il bien être ? Qui pouvait oser le déranger à une heure pareille ? pensa t-il en reposant son verre sur la petite table.

—Kouamé votre frère il est arrivé dans la soirée, crut bon d'ajouter N'wozan

face au regard interrogateur du jeune maître, il vous attend en bas.

A l'annonce de la nouvelle inattendue Xavier ouvrit  grand les yeux.

—Dois-je le faire monter ? S'enquit prudemment N'wozan.

L'air absent, Xavier  leva des yeux pensifs vers le vieux domestique. Ce dernier qui attendait toujours les instructions se tenait droit, les mains jointes l'une dans l'autre. Patient, il observa son jeune maître revenir de sa surprise  avant de consentir à s'exprimer enfin.

— Non, lui répondit enfin Xavier, c'est moi qui  descend.

Sans pour autant avoir l'air de vouloir faire le moindre mouvement, le jeune maître regarda le domestique s'éclipser.

Resté seul, Xavier réfléchit encore à la nouvelle qu'il venait d'apprendre.  Ainsi, Kouamé était  rentré, pensa t-il l'air grave. Trop surpris par la nouvelle, il avait besoin d'encore assez de temps pour digérer celle-ci. Il ne s'y attendait tellement pas. Il ne s'attendait pas à revoir son demi frère. Du retour imminent de ce dernier, Xavier se rappelait pourtant en avoir été informé . Par une missive datant de quelques mois, Kouamé lui avait donné la date de son départ de la métropole et celle de son arrivée probable à la colonie. Ces dates  là, Xavier  se souvenait les avoir mentalement notées. Mais entretemps, il les avait oublié. Trop occupé par la gestion de la plantation et dans ses efforts à vouloir s'incruster à la fête donnée par le gouverneur Dieudonné François Reste, il avait omis cette information cruciale. A présent, mit devant le fait accompli, il n'avait d'autre choix que d'y faire face. En trouvant la force de se lever enfin, Xavier saisit  le verre de cognac qu'il avait posé quelques minutes plus tôt sur la table. D'une traite, il  vida celui-ci. Pour garder ses nerfs calmes, il en avait grand besoin.  Il avait besoin surtout d'aplomb. Revoir Kouamé après toutes ces années passées  ne serait pas une partie de plaisir, il s'en doutait. Quelque peu nerveux, il appréhendait déjà leur échange. Lui et son demi frère ne s'était jamais vraiment bien entendu. Le départ de celui-ci pour la métropole lui avait été salutaire. Volontiers, il aurait préféré qu'il y reste et ce, pour le restant de ses jours. Mais Kouamé était revenu. Il était revenu lui pourrir la vie. A nouveau ! Contrarié, Xavier qui résolut de faire l'effort de ne rien  laisser paraître de son mécontentement descendit au salon. Dans la vaste pièce luxueusement meublé, Kouamé attendait. Ce dernier à son entrée se retourna pour lui face.

—Bonsoir petit frère, le salua t-il.

En silence, Xavier le considéra un moment. Non,  Kouamé n'avait pas changé. Les huit années passées à Toulouse n'avaient pas eut raison de son assurance ni de son air déterminé. 

—Heureux de te revoir Kouamé, lui répondit-il à son tour.

A son flagrant mensonge, ce dernier masqua difficilement sa  surprise.

—Vraiment ? Lui demanda t-il sceptique.

En plus de n'avoir pas changé physiquement, Xavier constata qu'il  semblait toujours aussi peu dupe. Dépité, le mulâtre se força à sourire.

—Vraiment. Tu es mon frère aîné, le seul que j'ai, le seul parent proche qui me reste.

A la chaude déclaration, Kouamé parut y réfléchir un moment. Pensif, il hocha la tête avant de confronter directement l'odieux hypocrite.

—Dans un tel cas, pourquoi n'as tu jamais pris la peine de répondre à mes lettres ?

—J'y ai répondu, se défendit aussitôt Xavier avec ferveur. 

—Non, rétorqua de plus bel Kouamé en secouant gravement la tête en signe de négation.

—Si, répliqua vivement Xavier. Tu l'as peut être oublié, mais je t'ai répondu, plusieurs fois même.

—Tu n'as seulement  répondu qu'à quelques unes de mes lettres et ce, quand tu jugeais nécessaire de m'informer des nouvelles importantes comme le décès de maman.

A cette vérité, Xavier ne sût quoi répondre. Saisit par l'air grave de son demi frère, il préféra capituler. Mais il se gardait bien de lui cracher ses vérités qui lui remontaient pourtant de l'estomac. Il se gardait bien de lui dire qu'il ne manquait pas de toupet, lui qui l'avait menacé de le tuer après qu'ils se soient sauvagement battu. Ça avait été ses derniers mots: « Je jure que je te ferais la peau ». Ces mots tragiques, Xavier n'avait jamais réussit à les oublier. Il n'avait pas eût cette force pour en faire fi même après le départ de Kouamé, même après toutes ses lettres. Dans celles-ci, son frère qui avait tenu à lui donner des nouvelles de sa  vie à Toulouse avait également tenu à s'excuser pour leur différend. Xavier l'avait rassuré. Il avait sentit le besoin de faire miroiter à Kouamé l'illusion de la paix. « tout est oublié » avait écrit Xavier. Mais il n'en était rien. Cette vérité, Xavier venait de constater que Kouamé avait pût l'attester par lui-même. En effet, Xavier n'avait pas eut le courage de continuer à faire semblant. Aux nombreuses autres missives de son frère, il n'y avait répondu que très brièvement. Kouamé avait raison bien évidemment. Il avait toujours raison. C'était en partie pour cela que Xavier le détestait. Pourquoi diable était-il donc revenu ?

— C'est pour ça que tu es revenu ? Tenta de deviner Xavier. C'est pour te recueillir sur sa tombe et t'assurer qu'elle a été enterré dignement...

—Qu'est ce que tu raconte ? s'enquit Kouamé qui avait du mal à le suivre.

—Ne fais pas l'innocent, répliqua Xavier avec véhémence. 

Marquant un temps de pose, Xavier  détourna la tête. Profondément, le mulâtre inspira. Déjà, il avait besoin de se calmer. Déjà, il se sentait perdre tous moyens. En aussi peu de temps, son demi frère avait réussit à le mettre hors de lui. Mais bravement, il fit l'effort de se reprendre.  D'une voix qui se voulait plus calme, il continua:

— De son vivant, tu m'as toujours accusé de ne pas assez prendre soin d'elle...

—Et ça a été la stricte vérité, l'interrompit aussitôt Kouamé avec conviction. Tu as toujours eût honte d'elle. Tu as toujours méprisé cette mère noire de qui tu tiens les origines dont tu aurais bien voulu te passer.

—Balivernes ! Lui cria Xavier hors de lui. Menteur, tu n'ai qu'un menteur...

—Tu n'as jamais vraiment accepté maman.

— Ma mère, je l'ai toujours aimé, répliqua Xavier avec force. J'en ai toujours pris soin contrairement à toi qui t'en ai allé en l'abandonnant pendant huit longues années. 

—Je n'avais pas le choix, se justifia Kouamé impuissant. Tu le sais très bien.

Incrédule, Xavier esquissa une moue de mépris.

—Au contraire, partir a toujours été ton souhait, répliqua t-il. Tu as toujours voulu t'évader d'ici. Tu as toujours voulu prouver que tu pouvais faire mieux que tout le monde.

—J'ai toujours voulu partir étudier, nuance, crut bon de lui rappeler Kouamé. Contrairement à toi, je n'ai pas eut la chance d'hériter d'un domaine. La médecine, c'est toute ma vie.

— Dans ce cas, pourquoi n'es tu donc pas resté là bas ? Tu m'avais écrit que tu y avais eut un poste. Pourquoi a t-il fallu que tu lâche tous ces avantages pour débarquer à nouveau ici ?

Cette question qui lui brûlait les lèvres, Xavier n'avait pas pût la patience de la retenir plus longtemps. Il voulait savoir. Droit dans les yeux, il fixa son frère en dans l'attente d'un éclaircissement. Mais Kouamé qui s'était bizarrement enfermé dans un mutisme semblait ne pas être encore près à se livrer. Mystérieux, il préféra changer radicalement de sujet.

—A ton accueil si chaleureux, je devine que je ne suis pas le bien venu ici. Moi qui espérais pouvoir profiter du charme paisible de l'antre de l'éléphant au moins quelques temps, je devrais certainement penser à remballer mes valises. 

A contrecœur, Xavier fit l'effort de protester. Même s'il n'était pas emballé par l'idée d'avoir Kouamé dans les parages, il se força à lui proposer son hospitalité.

—Tu es ici chez toi, lui affirma t-il sans le penser le moins du monde. Tu peux rester au domaine autant de temps qu'il te faudra.

Loin d'en croire un mot, Kouamé pour une sombre raison  n'en laissa rien paraître. Au contraire, lui aussi donna le change en feignant le ravissement.

— Merci petit frère. Mais rassure toi, je ne compte pas rester longtemps. Vois tu, j'ai été affecté à l'hôpital d' Abidjan. D'ici à ce que j'y trouve un logement confortable, je serais déjà parti. 

Xavier qui l'espérait bien, se décrispa. Enfin, il consentit à tendre la main à son frère qui la lui serra fermement. Contre toute attente ce dernier fut plus que surpris quand il le prit chaleureusement dans ses bras.

— Bonne arrivée, Kouamé.

—Merci Ezoua.

Dans les bras de son demi frère, Xavier se raidit. S'entendre être appelé par son ancien prénom, celui de son autre vie, cette vie de bâtard qu'il voulait par dessus tout oublier lui fit l'effet d'une gifle.  Encore une fois, son aîné lui cherchait ouvertement des poux. Le coeur bouillonnant d'une rage sourde, Xavier devinait aisément que ces quelques jours en compagnie de Kouamé qui était plus un rival qu'un frère n'allaient pas être une partie de plaisir. Déjà, il trépignait d'impatience de voir partir ce gros serpent.

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