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UNE BELLE AMITIÉ

Senam rentre chez elle. Elle voit son fils Mawugnon assis devant ses cahiers dans la chambre en train d'apprendre à la lueur de leur lampion. L'enfant est tout ravi de son retour enfin.

-Bonne arrivée, n'da ! Tu as trop tardé et je me faisais de soucis pour toi.

-Excuse-moi pour tout le retard accusé avant de rentrer, mon fils.

-Tu n'as pas à t'excuser, nõ nyé. L'essentiel est que tu sois là maintenant, et j'en suis satisfait.

-Merci, mon fils ! Tu apprends tes cours ?

-Oui. Je suis parti retirer les cours que j'ai ratés aujourd'hui chez mon amie Akofa. J'ai fini de les recopier. Maintenant, j'apprends les cours de demain.

-Merci beaucoup, mon fils ! Quand je te vois ainsi, tu n'imagines pas quelle est cette joie qui m'anime du plus profond de moi. Tu es ma fierté, chéri !

-Toi aussi, quand je te vois, ñ'da. Je t'aime tellement. Mais dis, d'où viens-tu avec tout ceci ? Comment as-tu pu payer tout ça encore ?

-Mon fils, [soupir...] je n'ai pas payé. Après avoir réglé la dette de maman Sodji, sur le chemin de retour, j'ai décidé d'aller remercier papa Séménya et sa femme pour ce qu'ils nous ont fait aujourd'hui en aidant à calmer maman Sodji. C'est là je suis restée jusqu'à cette heure, et c'est eux qui nous ont remis tout ça.

-Tu veux dire qu'ils te les ont donnés ?

-Bien sûr ; ils nous les ont donnés, toi et moi !

Mawugnon, un ton plutôt méfiant et nerveux.

-Non, n'da, tu ne devrais pas accepter ! Je ne veux pas que quelqu'un vienne nous insulter ici encore pour ce que nous aurons mangé et t'humilier. C'en est assez comme ça !

Senam, d'une voix rassurante et amène de mère, d'un regard doux et apaisant, pose la main droite sur l'épaule gauche de son fils et lui dit.

-Ne t'en fais pas, mon chéri ! Tu me connais assez. Ces gens sont des gens bien qui ont un bon cœur. Ils connaissent aussi ce qu'est l'humiliation. Ils m'ont conté leur triste histoire aussi, et je t'assure qu'ils ne feront rien de ce que tu penses. Et tu sais quoi, demain, tu vas à l'école avec la totalité de ta scolarité.

-Quoi ! Tu as gagné à la loterie ou quoi ? demande-t-il, tout émerveillé.

-Loto quoi ! Mon fils, tu m'as vue jouer une fois à la loterie où ?

Mawugnon perd du coup son enthousiasme et redevient morne.

-Et comment vais-je pouvoir aller à l'école demain et payer mon écolage alors que nous n'avons rien pour le moment ?

-Papa Séménya a payé ton écolage, mon trésor, quand il a appris que tu as été renvoyé aujourd'hui.

Mawugnon étonné.

-Quoi !

-Oui, mon Amour !

-Décidément, je ne sais quoi dire. On dirait que Dieu ne dort pas. Et cet homme, il serait si généreux.

-Évidemment, les Dieux de nos ancêtres ne nous oublient pas.

Mawugnon fixe sa maman des yeux sans plus rien dire. Cette dernière lui demande :

-Wodou nou võa (as-tu déjà mangé) ?

-Non, pas encore ! Je t'attendais, énõ nyé (ma maman).

-Voilà ce que je disais. Viens, nous allons manger. Après je prends un bain et nous nous couchons. Demain tu as cours.

-Ényõ, merci beaucoup !

 Le matin. Senam va réveiller son fils pour qu'il se lave et parte pour l'école. Elle autre s'est levée depuis pour lui chauffer de l'eau et aller à ses petits travaux matinaux. Pendant ce temps, à l'intérieur, Mawugnon s'est levé déjà et jette de coups d'œil à ses cours. Une fois dans la chambre, elle le voit devant les cahiers.

-Tu es déjà debout, chéri ?

-Oui n'da, il fallait que je révise mes cours. Je n'ai pas su bien les assimiler hier avant de dormir. J'étais tellement fatigué.

La maman s'assied près de son fils sur la natte et lui caresse la tête, de cet amour de nos douces mamans.

-Mon fils, tu as raison. Avec tout ce que tu as fait hier, je ne te croyais même pas déjà debout. Comment tu vas ? Tu sens des douleurs ?

-Non, n'da, ça va, je me sens bien. Et toi, comment tu vas ?

-Je vais bien, chéri. J'ai chauffé de l'eau pour toi. Lève-toi pour te laver et aller à l'école. Il se fait tard. Il ne faut pas que tu sois en retard.

-D'accord, d'accord, j'y vais. Merci beaucoup pour l'eau !

-De rien, mon amour. Viens je vais te faire du bisou !

Mawugnon s'approche de sa maman qui le couvre de bisous sur les joues, et le serre fort contre soi tendrement.

-Je t'aime, nõ nyé, je t'aime tellement ! Tu es la meilleure maman que tout le monde puisse chercher à avoir mais en vain, car, tu es unique et tu n'es pas pour tout le monde.

-Je t'aime aussi, mon fils ! Il n'y a pas ton deux. Tu es le plus beau trésor. Maintenant, va te laver, mon chéri !

Mawugnon range ses effets dans son sac. Il se lève et va chercher la serviette et le contenant du savon. Il sort, rentre dans la salle de bain en claies où sa maman s'est permis de lui laisser l'eau. Quelques temps après, il ressort, rentre dans la chambre. Il se met dans sa tenue scolaire kaki, met son sac au dos et vient vers sa maman en train d'arranger des bois dehors.

-Je suis prêt, n'da ; il faut que j'y aille !

-Ah mon fils ! Viens prendre ton argent à remettre au directeur.

Senam détache un nœud d'un bout de son pagne pour lui remettre sept mille cinq cents francs : « voici ton écolage. » Elle lui remet encore mille cinq cents francs (1 500 frs) : « voici aussi pour ton livre que tu as demandé la fois passée. Papa Séménya m'a remis dix mille francs (10 000 frs) hier. Donc, nous en profitons pour ton livre en même temps. Et aussi, tu vas manger toi aussi pour une fois encore à l'école aujourd'hui. Tu prends cent cinquante francs. On prend ce qui reste de cet argent pour moudre le maïs et préparer une sauce. »

Mawugnon tout heureux :

-Waouh ! N’da ! Moi aussi je vais pouvoir payer le livre aujourd'hui même ? Je suis très content, Akofa aussi va en profiter chez moi.

-Oui mon fils, tu vas payer ton livre aujourd'hui. Toi et ton Akofa-là, mon fils, je ne veux pas encore d'un petit fils einh !

-N'da, otchan loo ! (toi aussi hein, maman !) Akofa est mon amie et je l'aime beaucoup. Elle m'aide tellement. Elle partage ses nourritures avec moi, les jours où nous n'avons rien pour que je puisse manger pendant les récréations. Puis, moi aussi, je l'aide en lui expliquant les mathématiques et physiques dans lesquelles elle a un peu du mal à comprendre des choses. Dans notre classe, c'est nous deux et personne ne nous égale dans les devoirs. Nous sommes plus que des jumeaux. Hier, elle pleurait quand je sortais de la classe. Elle sera très contente aujourd'hui. Mais nous sommes juste amis, et plus, nous sommes frère et sœur. Nous ne savons rien de ce que tu t'imagines. C'est ma sœur et amie, et ça sera toujours ainsi.

Mawugnon affiche une telle fierté, et une certaine sensibilité en parlant de son amie de classe Akofa ; ce qui éblouit sa maman.

-Ah, Mawugnon ! Petite chose j'ai dite et tu cancanes tant ? De plus, je vois tes yeux luire hein ! En tout cas, soyez toujours ainsi et ne vous faites pas de mal. Maintenant cours vite pour l'école, je ne veux plus te voir devant moi !

Il embrasse la main de sa maman avant de filer en disant : « je m'en vais déjà, ne me brise pas la tête avec tes bois, maman Kpaloñgo. » Puis il lui lance en plus : « je t'aime, nõ nyé ! »

Senam est toute ravie. Levant ses mains vers le Ciel, elle l'implore avant de retourner à son travail : « Dzi ñku si, protège mon fils pour moi ! Couvre-le de tes bontés, ainsi que son amie Akofa. Donne-leur, plus de sagesse et d'intelligence à l'école... ! »

Sur le chemin de l'école, Mawugnon rencontre un camarade de classe qu'il salue et ils se séparent. Il va passer chez Akofa à la maison. Arrivé dans la cour de la maison, il voit le daron de son amie, monsieur Fiadougbe, en train d'aiguiser sa machette sur une pierre sous un arbre. La mère aussi revient juste de la fontaine, et renverse son eau dans un vase en terre cuite au pied du mur de leur concession. Il va saluer le père avant d'aller saluer sa maman en se rabaissant poliment à chaque salutation. Puis, demande d'après Akofa chez sa maman :

-Maman, Akofa est là, s'il te plaît ?

-Mon fils, je reviens du marigot comme ça. Je ne sais pas si elle est déjà partie. Attends, je l'appelle voir.

La maman se met à appeler sa fille quand son mari leur fait savoir qu'elle est déjà partie, à peine cinq minutes.

-Ok merci papa, merci maman ; je vais aller aussi ! Je la croyais à la maison pour que nous cheminions ensemble, et lui remettre aussi dans le même temps, ses cahiers que je suis venu chercher hier.

-Vas-y mon fils, le temps est même déjà contre toi. Ne commettez pas de bêtises surtout et prenez soins de vous et de vos études.

-Compris, maman, nous n'allons pas vous décevoir. Merci beaucoup ! Il va remercier Fiadougbe aussi, avant de partir.

Monsieur Fiadougbe, après le départ de Mawugnon, s’adresse à sa femme en l'appelant par son nom : « Adjowa, j'aime bien le comportement de ce jeune garçon. Il est tellement innocent et respectueux que je ne puisse lui reprocher quoi que ce soit pour lui interdire de s'approcher de notre fille ! »

-Ah ! Moi-même je le savais ; que tu admires quelque chose chez cet enfant, ce pourquoi tu ne dis jamais rien lorsqu'il vient ici. Sinon, te connaissant, quel garçon laisserais-tu mettre pieds dans cette cour qu'il cherchait notre fille parce qu'ils sont camarades de classe ?

-Ah ça, tu l'as dit ! Il faut que je reste aux aguets pour protéger mes ressources contre les envahisseurs non ? Mais lui, c'est un investisseur. Il investit dans l'éducation et la bonne compagnie de notre fille, donc ici lui est toujours un accueil.

-Toi et tes histoires !

-Cette assertion populaire : qui s'est préparé contre la guerre et pour la guerre, n'est point surpris par la guerre ; son toit vit ombragé sous la quiétude, ne t’échappe pas j’espère, ma chère ! Donc, apprenons à être toujours sentinelle, énonce-t-il, une fois de plus en riant, à sa femme qui le regarde, les yeux amoureux et ébahis. Il se lève pour avoir fini d'aiguiser sa machette et lui redit : « je vais au champ ramener les noix de palme que j'ai cueillies la fois passée. Je ne saurais tarder. »

-Je finis de puiser l'eau pour te préparer quelque chose à manger à ton retour.

-Toi-même tu sais, et tu as intérêt..., dit-il encore tout hilare.

Il dépose le coupe-coupe à l'entrée et rentre dans la chambre. Adjowa reprend son chemin de fontaine, sa cuvette en aluminium sur la tête après quelques taquineries aussi à son mari.

Mawugnon arrive dans la cour de l'école. Il voit Akofa assise tristement sous un neem. Il passe par derrière elle et lui bande les yeux avec ses mains. Akofa sait tout de suite que ça ne pourrait qu'être son ami. Elle lui tient aussi les mains et d'une voix joviale, l'appelle :

-Je sais que c'est toi, Mawugnon !

Mawugnon enlève ses mains de ses yeux, tout hilare à son tour.

-Comment se fait-il que tu sois seule ici, et privée de vie, Akofa ?

-Tu me demandes ? Voudras-tu que je sois heureuse pendant que toi, tu es à la maison ? Je suis allée chez toi ce matin pour voir si tu venais à l'école et je n'y ai vu personne. Alors, je me suis dit que tu serais à l'école. Arrivée, je ne voyais nulle part, tes traces.

-Je suis là maintenant, t'inquiète. Je crois que nous nous étions échangé de route. Je viens de chez toi aussi comme ça pour que nous cheminions ensemble. J'ai vu papa et maman, et papa m'a dit que tu étais déjà partie.

-C'est vrai ? J'ai dû quitter tôt pour venir chez toi. Tu as apporté une partie de l’écolage ? Ou on va te renvoyer encore aujourd’hui ?

-[Ricanements...] me renvoyer ! Je viens tout payer en même temps ce matin. J'ai apporté la totalité de ma scolarité.

Akofa toute heureuse lui saute au cou avec toute sa fierté avec laquelle il lui a parlé de la paye de sa scolarité complète.

-Enfin, aujourd'hui, je vais pouvoir être présente d'esprit en classe, parce que tu y seras aussi !

-Je t'ai vue en train de pleurer hier quand je sortais. Merci beaucoup Akofa. Tu es une amie. Et plus que ça, tu es une sœur. Je t'aime beaucoup !

-Moi aussi je t'aime beaucoup, mon frère. Quand je te vois, je me sens rassurée.

-Maintenant, tu veux bien m'accompagner chez le directeur pour payer l'écolage avant que nous n'allions en classe ? Après, j'ai une autre bonne nouvelle pour toi, et c'est une surprise.

-Une surprise ! Allons-y vite ! Toi-même tu sais que je n'aime pas entendre parler de surprise. Ça me stresse et fait battre mon cœur.

Les deux enfants s'en vont pour la direction, se taquinant. Arrivés, Akofa attend à l'entrée, Mawugnon entre. Quelques instants après, il sort et se fait accueillir par son amie qui l'agresse sereinement :

-Êhin, n'souvi (jeune homme), où est la surprise ? Fais vite, je ne vais pas trop parler.

-Quoi ? Quelle surprise ? Je suis le père Noël tu vois ? Laisse-moi hein !

-Donc, tu t'es permis de te moquer de moi ce matin ? Je vais te le faire payer, crois-moi !

Elle lui attribue un coup de sa paume au dos.

-Aïe, déviyéa (l'enfant-ci) m'a tué ! J'ai une surprise pour toi mais je ne vais plus rien te dire pour m'avoir frappé, à moins que tu me fasses un bisou sur la joue.

-Tchoooooo monsieur le capricieux ! C'est moi qui ai ton temps ce matin comme ça ! Tu n'auras rien.

Mawugnon fait semblant d'être en colère et s'en va. Akofa le rattrape, et le prend par la main. « Voilà ta bise », dit-elle en l'embrassant sur la joue.

-Tu as chance sinon, humm...

-Sinon quoi ? Tu as ton bisou. C'est quoi la surprise ?

-Ferme tes yeux.

-C'est une affaire de fermer les yeux ?

Elle les ferme légèrement.

-Tu triches, ferme bien tes yeux !

-Ok, c'est fini maintenant. Fais vite, on va bientôt siffler.

-Maintenant, ouvre tes yeux jolis-là !

Akofa ouvre les yeux. Elle le voit tenir un livre en main, et qu'il brandit avec fierté. Elle s'exclame, le lui ravit, puis le met dans son sac.

-Woaou ! Où tu as vu ça ?

-Je viens de le prendre aussi à la direction. J'ai payé l'argent du livre aussi.

Akofa est toute heureuse, comme un singe domestiqué furieux qui vient de s'échapper et regagne affranchi, sa brousse natale, les champs et les bananeraies, libre de l'esclavage, libre de la soumission, libre d'une vie qui n'est pas sienne et que l'on lui imposait.

-Le livre de mathématiques que nous cherchons tant à avoir aussi depuis, pour être comme les autres ! C'est demain tu vas le prendre. Lui et moi, nous allons nous coucher cette nuit. C'est à moi de le posséder en premier, parce c'est moi qui suis du sexe qui prime.

-[Rires...] Toi, tu ne vas jamais changer, jamais cesser de délirer et de me faire rire. Ce livre nous appartient tous les deux. Chacun de nous peut le garder. Maintenant, nous allons pouvoir faire nos exercices sans nous stresser.

-Tu n'imagines même pas ma joie ! Ouf ! Et enfin ! On est désormais libres dans nos têtes pour nos devoirs. Comme je me sens affranchie de ce stress !

-Éééh, Akofa, un simple livre pour nos devoirs et cette euphorie, à parler d’affranchissement ! Qu'en serait-il si l'on parlait vraiment de l'indépendance de l’Afrique ?

-Quand ce moment aussi viendra, nous en parlerons. Arrête de me compliquer toujours la vie, et, laisse-moi savourer au moins ce bonheur. Tu n'es pas du tout différent de mon père.

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