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Sous les chapeaux de roues

Le week-end passa à la vitesse de l’éclair ; Michelle eut à peine le temps de récupérer. Elle était quand même prête ce lundi matin ; très à l’heure et un peu en avance même, à 7h piles. La Société Camex-Co était située à l’avenue des banques, le quartier des affaires de la capitale. Ce grand bâtiment de dix étages avec ses baies vitrées dominait presque toute la zone. La compagnie n’occupait que les trois derniers, le reste était loué par d’autres structures. Mais toute la bâtisse et la société appartenaient à une seule et même personne, le PDG de Camex-Co, Monsieur Philippe Kezo.

Elle dut patienter pendant près de deux heures de temps dans cette salle d’attente où la réceptionniste l’avait conduite. Elle finit par s’assoupir un tout petit peu, ressentant encore les effluves de l’alcool, mais surtout la fatigue et sans oublier le petit incident du Coca Cola renversé sur son chemisier en lin tout blanc. Elle s’était particulièrement sentie ridicule lorsque ce type l’avait violemment heurtée au point de lui faire mal à l’épaule… elle piaffa et le maudit presque d’avoir foutu en l’air toute la soirée.

– Aiiiiie ! Mais… Aie !!! Faites attention !!! Regardez là où vous mettez les pieds !!!

Il se confondit maladroitement en excuses.

– Désolé mam’selle ! Pardon… je… je ne voulais pas vous faire du mal ! Je ne vous ai pas vue… ça va ? Vous sembliez aussi ne pas regarder droit devant vous !

– Pardon ??? C’est vous !!! Voilà… mon chemisier !!! Et mon épaule… Merde !!!

Michelle avait choisi un chemisier en lin blanc transparent et sans manches et très court sur le devant qui laissait entrevoir une partie de son abdomen, et un peu plus long sur le derrière. Elle portait un legging en cuir noir et des talons hauts.

– Ooooh !!! Je… je suis vraiment désolé mam’selle ! Faites-moi voir votre épaule !

Il lui passa la main dessus, comme s’il pouvait la guérir en quelques secondes. Son chemisier imbibé de cette boisson finit par lui coller sur la peau ; on pouvait y voir au travers le soutien noir qu’elle portait ; le mec ne fut pas si indifférent puisqu’il le remarqua malgré la faible lumière ; l’expression de son visage montrait bien qu’il avait deviné sans trop de peine les courbes généreuses de Michelle.

Celle-ci se dégagea brusquement de ses mains ; l’individu en question la dévisagea de haut en bas, et continua à se fondre en excuses.

– Si je peux faire quelque chose… je ne sais pas… votre chemisier…

– Non ça va ! Ça va ! Merci ! Et pour le chemisier tant pis ! (Quel loubard celui-là !!!) se dit-elle intérieurement.

Elle prit aussi le temps de voir à quoi ressemblait ce malhabile, juste par curiosité, rien de plus. Grand de taille, teint clair. Elle le toisa par la suite et lui tourna les talons assez rapidement. En allant s’assoir, elle marmonna entre les dents, essayant de dissimuler la grosse tâche très visible sur son chemisier. De toutes les façons le reste de la soirée était fichu.

Elle était retournée vivre chez ses parents ; son père le lui avait exigé ; il ne voyait plus aucun intérêt à ce qu’elle reste encore au campus dans cette chambre d’étudiant. L’année académique tirait presque à sa fin, il ne lui restait que son mémoire à boucler et ce fameux stage à commencer. Ce qui ne l’arrangeait pas vraiment ; elle voyait ses petites sorties, virées et escapades entre copines tomber à l’eau.

– Je ne vois aucune raison à ce que tu restes encore là- bas ! Tu ferais mieux de revenir ici ! Tu commences ton stage bientôt ! Exigea son père.

– Mais papa… ça fait quatre ans que je suis partie de la maison pour…

– Non non non !!! Je te vois venir… Tu rappliques ici et dès ce soir… Je n’aime pas te savoir dans cette situation ! Tu sais très bien que lorsque la fin des classes est si proche tu reviens toujours à la maison. Tu es sans doute entrain de l’oublier ! Ne fais pas comme si ce n’est pas le cas ! De plus, Camex-Co est à deux pas d’ici ! Au moins avec ça tes petites sorties anodines cesseront !

Monsieur Boum Nicolas, un homme assez autoritaire et rigoureux, il était en même temps très protecteur envers ses enfants. Des garçons éduqués à la dure, comme au service militaire. Michelle, sa fille unique, était la prunelle de ses yeux ; il n’appréciait guère ses sorties nocturnes qui s’éternisaient parfois jusqu’à l’aube. Michelle trouvait souvent une bonne excuse : « Je suis avec Clara, on sort ensemble… » Ou bien « Je dors chez Clara aujourd’hui… » Il ne se sentait rassuré qu’après confirmation de Clara. Sa mère, par contre, une femme très douce et gentille, avait une oreille facile ; très compréhensive sur les bords. Mais il ne fallait pas trop compter sur elle ; elle ne savait pas prendre parti, pire lorsque son mari s’en mêlait.

– Mlle Boum Michelle ? C’est à vous ! Le Directeur vous attend dans son bureau ! Lui annonça la secrétaire du Dg.

Ce qui la tira brusquement de sa rêverie. On venait de l’affecter au département de la comptabilité ; elle tombait à pic, car le service était en manque d’effectifs. Il fallait préparer les travaux du bilan pour clôturer l’exercice de l’année précédente. Elle avait reçu toutes les directives et semblait bien apprécier les tâches qui lui étaient attribuées ; c’était sa force à elle Michelle, savoir s’imprégner davantage dans un milieu et se donner à fond.

Au bout de deux semaines, elle avait déjà trouvé ses marques et elle s’en sortait très bien ; elle apporta de nouvelles idées, un nouveau concept et une méthode de travail assez efficace. Les autres ne purent qu’apprécier ses efforts dans le service. Samuel et Paul, les deux comptables l’aimaient bien et l’encadraient sans cesse mais ce ne fut pas le cas de la dame du même service qui, au fil du temps montrait des signes d’agacement et de frustrations à certaines occasions. Michelle l’avait senti et avait feint l’indifférence face à cette petite jalousie que lui manifestait ouvertement cette femme. Michelle se contentait d’être juste polie, sans plus.

On le lui avait dit, que c’était ça le monde du travail. Il n’y avait pas d’amis en tant que tel ; ce n’était que la recherche des intérêts, la concurrence, les jalousies, les frustrations… Elle l’apprenait à ses dépens et se contentait de ne se focaliser que sur ses objectifs. Elle pouvait quand même compter sur la présence des deux autres, Samuel et Paul. Avec eux, l’ambiance était quand même

bon enfant ; ils passaient leur temps à la taquiner et à rigoler.

Il est leur est arrivé de souvent inviter Michelle à passer la pause de midi dans un des petits restaurants pas très chers qui sillonnaient les environs. Quant aux autres employés de la boite, leur air si guindé et hautain ne firent que confirmer ses appréhensions ; elle avait compris que tout ce beau petit monde ne se frottait pas aux petites gens, à ceux de sa trempe, les stagiaires. Mais Samuel et Paul faisaient bien la différence.

– Michelle dis-moi ?

– Je t’écoute Samy !

– Tu as un copain ?

– Pourquoi tu me demandes ça ?

– Oh ! Juste comme ça ! Mais sache que dans ce milieu si tu es célibataire, tout le monde risque te courir après !

– Même toi Samy ? Tu es marié !

– Et ça fait quoi ? Tu n’es pas mal comme fille ! Non mais sérieux ! Ahahah !!! Je rigole ! T’as pas à t’inquiéter ! O ne va pas t’embêter !

– Nous sommes tes gardes du corps ma belle ! Renchérit Paul. Tu ne risques rien avec nous !

– Je vois ça ! Vous êtes vraiment cool ! C’est gentil à vous, parce que j’ai remarqué qu’ici les gens sont plutôt…

– Snob ? Tu veux dire ! Intervient Paul.

– Oui voilà !

- Ce n’est pas ça ! Répondit Samy. En fait pour nous, les stagiaires sont souvent considérés comme des élèves, des étudiants ! Et c’est rare de voir un enseignant et son élève faire ami-ami n’est-ce pas ?

- – T’as pas tort quand même ! Rétorqua Michelle. Vraiment ! C’est comme avec Madame Ndoumbe ! Je ne sais pas ce que je lui ai fait… Elle est si froide !

– Oooh laisse ! Ça va lui passer ! Ahhhh !!! Vous les femmes…

Le Directeur Général l’avait faite appeler dans son bureau. De retour d’une mission de plusieurs semaines à l’étranger, il voulait respecter la procédure. Il les faisait toujours appeler, les nouvelles recrues ou stagiaires pour faire le point, c’était comme une sorte de première rencontre, un premier contact. Elle s’y était rendue dans l’après-midi comme convenu. Le Dg avait rendez-vous au même moment avec un groupe de personnes qu’elle venait de croiser devant la salle d’attente ; on aurait dit des partenaires ; ils travaillaient dans le domaine informatique, à les entendre parler.

La secrétaire du Dg lui demanda de patienter un petit moment, le temps que ces personnes terminent avec le Dg. Il avait tout un étage à lui, une vraie suite majestueuse composée d’une grande salle d’attente, une salle de réunion, le bureau de la secrétaire, et enfin le sien.

Ces personnes étaient au nombre de six, les partenaires du boss. Ils discutaient âprement. Elle passa juste à côté et leur lança un timide Bonjour. Assise en face d’eux, et un peu gênée, elle sortit de sa poche son téléphone qu’elle tripatouillait maladroitement. Dès ce moment-là elle n’eut plus la force de relever les yeux parce qu’à chaque fois qu’elle le faisait, son regard croisait celui d’une personne en particulier.

Elle venait de remarquer cet homme grand et clair de teint, qui la dévisageait sans cesse et naturellement. Elle n’avait qu’une seule envie, se lever et s’en aller ; il la mettait très mal à l’aise. Tout ce qu’elle put remarquer, c’est l’élégance avec laquelle il se tenait et la façon dont il était vêtu, assez relax mais chic. Il avait un accent neutre.

Il avait l’air de s’y connaître dans son domaine, rien qu’à l’entendre parler ; il donnait des directives, des recommandations, et son point de vue était tout aussi clair et limpide ; il ne tâtonnait pas et avait une parfaite éloquence et assurance de lui-même. Le Dg les fit appeler par la secrétaire, mais il déclina poliment.

– Non ! Laissez plutôt la demoiselle y aller ! Nous on en aura pour longtemps avec lui ! Allez – y mam’selle ! On a tout notre temps !

– Merci monsieur ! Répondit-elle timidement.

– Je vous en prie !

« Mam’selle ». Ce mot non seulement lui sembla si familier à Michelle, mais aussi, la voix de cet homme. Intriguée, elle tenta de se remémorer où et dans quelles circonstances elle avait déjà entendu ce mot et cette voix ! Ça trottait dans sa tête… un instant. ! Mais ouiiiii !!! Ça y est, elle se souvint ; c’était le type qui l’avait bousculée en boîte et qui lui avait versé tout le Coca Cola sur le chemisier.

Avant d’ouvrir et d’entrer dans le bureau du Dg, elle se retourna, et son regard croisa le sien. Elle vit qu’il affichait un petit sourire du coin des lèvres… il l'avait aussi reconnue.

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