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Chapitre 2

Après avoir donné mon nom et prouvé mon identité avec des papiers, on m'a donné un sac contenant tout ce dont j'allais avoir besoin et j'ai pu monter sur le bateau. Je me suis retrouvée assise dans une cabine vide à l'arrière et j'ai posé mes affaires avant de m'asseoir près de la fenêtre. C'était la première fois que j'allais prendre le bateau. J'étais excitée et à la fois totalement calme. C'était très étrange de sentir le sol bouger sous mes pieds.

La vue était magnifique. La plage m'avait toujours rassurée. Son immensité et sa liberté m'ont rappelée qu'un jour j'allais m'en sortir. Je m'étais promis quand j'étais petite que quand j'aurais 18 ans j'allais me porter volontaire pour la garde et que j'allais quitter cet endroit par la mer.

Mes parents ont protesté en me disant que j'étais inconsciente et que j'allais me faire repérer mais je ne voyais pas ce que je pouvais faire d'autre de ma vie. Je ne pouvais pas rester dans ce village, dans une famille maudite par ma naissance. 

Et tu te plains encore. Arrêtez de dire que tu maudis les gens. Je finirai par mal le prendre. Mais c'était la vérité. C'est à cause de moi que mes parents avaient dû se cacher pendant des années. C'est à cause de moi qu'ils ont dû mettre fin à la vie du médecin. Et est-ce à cause de toi que ton père a frappé ta mère ? Mes épaules sont tombées. Je ne voulais pas y penser.

J'ai redirigé mon attention vers la vue. Au loin, je pouvais voir les énormes tours de fer entre lesquelles passait le courant électrique. Il allait être coupé pendant quelques secondes le temps que nous passions. Il fallait faire vite car sans cela les démons pouvaient entrer dans le village sans problème.

Je me demandais ce que cela me ferait de franchir ce barrage. Le corps humain ne pouvait pas supporter de trop gros chocs et nous pouvions en mourir, mais un petit choc garde nos esprits enfermés dans nos corps. La perte de cette charge pourrait signifier la perte de l'âme et peu de temps après la mort du corps. C'est là que les âmes étaient différentes des démons. Ils peuvent résister à de faibles décharges. La plupart des démons étaient capables de nous « hanter ». Cela signifiait entrer dans notre corps et prendre la place de notre âme. Dans ce cas l'âme du corps hôte protégerait le démon de la faible décharge mais serait réduite au silence par le démon qui prendrait possession de notre corps. Les possédés devaient être exécutés ou emprisonnés. Nous avions le devoir de les dénoncer si nous les rencontrions. Mais je n'en avais jamais vu ou alors je ne m’en étais pas rendue compte.

Et les aurais-tu dénoncés ? Je secouai la tête pour faire taire la voix. La loi était la loi. Je ne pouvais pas faire autrement. Tu te mens et le pire est que tu le sais très bien. J'ai ignoré la voix et j'ai continué à admirer l'eau brillante. Arrête de m'ignorer. Tu sais que j'ai raison. Admets-le. Je soupirai mais n'eus pas le temps de faire autre chose. La porte de ma cabine s'ouvrit sur la fille blonde que j'avais sauvée plus tôt apparut. Elle me sourit timidement et resta dans l'embrasure de la porte en se tordant les doigts. 

« Les autres cabines sont toutes pleines… Ça te dérange si je m'assois ici ?

-Pas du tout. » 

Ne pense pas que tu vas échapper à cette conversation si facilement. La jeune fille s'assit devant moi. 

« Au fait, merci encore pour tout à l'heure.

-Ce n'est rien.- Je n'ai pas eu le temps de me présenter. Je m'appelle Agatha.

-Ravie de te rencontrer. Je m'appelle Laula. » 

Je me sentais légèrement mal à l'aise. J’avais peut-être reproché à Estevan de n'avoir jamais eu d'amis, mais je n’en avais jamais eu non plus. Je n'avais pas le droit de m’en faire donc je ne savais pas comment m’y prendre à présent. Tu te plains toujours... Oh tais-toi. 

« Franchement, tu m'as fascinée, tu es mon héroïne ! La façon dont tu as tenu tête à Estevan était incroyable ! » 

Je souris amusée. Cette fille avait l'air beaucoup plus énergique et vivante loin de la foule. Son front n'était plus pâle comme celui d'un cadavre ayant l'air beaucoup plus vivante avec ses joues colorées.

 « Quelqu'un devait le remettre à sa place un jour ou l'autre. Je dois avouer que ça m'a fait du bien.

-Je te crois. Je suis sûre que tout le village t’admirera maintenant.

-Je m’en fiche. Je n'irais plus jamais là-bas.

-Vraiment ?

-Oui. » 

La jeune fille baissa son regard sombre pendant quelques instants, sentant qu'elle touchait une corde sensible. 

« Ca ne va pas te manquer ? »  

La meilleure blague. J'ai souri. 

« Pas du tout. Et toi ?

-Moi ?

- Est-ce que ça va te manquer ?-Oui... C'était dur de dire au revoir à ma famille. »

Je pouvais voir dans les yeux d'Agatha combien elle avait d'amour pour sa famille. Pendant une seconde, je me suis sentie mal de ne pas avoir le même amour sur mon visage. 

« Alors pourquoi pars-tu ? Je ne veux pas t’offenser mais tu n'es pas vraiment le genre de personne que j'imaginais en m’inscrivant à la formation.

-Tu ne me vexe pas, ne t'inquiète pas. Je sais que je n'ai pas le mental d'un membre de la garde. D'ailleurs, la scène de tout à l'heure n'a pas dû jouer à mon avantage... »

 Nous avons ri. 

« Mais j'avais besoin de le faire pour moi-même. Pour me prouver que je faire quelque chose de bien. Que je suis capable de plus que les autres ne le pensent. » 

J'ai hoché la tête doucement. 

« Je vois très bien et je t'admire pour cela.

-Merci. Et puis... » 

Agatha tourna vers la mer son regard devenu d'un triste profond. 

« Ma famille a besoin d'argent. Si je suis en formation, ils reçoivent une prime importante. Surtout avec cinq enfants… »

Je me suis reconcentrée sur les vagues moi-même. Agatha n'était pas la seule dans cette situation. En fait, tous les habitants du village, à l'exception des Delcart, étaient relativement pauvres. J'avais moi-même été en partie motivé par l'argent qui allait être envoyé à mes parents. Arrête de penser aux autres. Ils ne le méritent pas. Je me tournai à nouveau vers Agatha qui croisa enfin mon regard. 

« Dans ce cas, je te souhaite de réussir.

-Je ferai de mon mieux. »

Agatha me sourit doucement. Je lui retournais son sourire. Soudain, nous avons entendu quelqu'un crier des ordres sur le pont, puis le bateau a légèrement tangué avant de se mettre en mouvement. Le navire a commencé à glisser en douceur sur les vagues et la barrière électrique s'approchait progressivement. Agatha et moi avons retenu notre souffle alors que nous franchissions la barrière. Puis une fois la barrière réactivée derrière nous, nous avons expiré bruyamment. Je ne savais pas que j'étais resté en apnée.

J'ai jeté un coup d'œil en arrière pour essayer de distinguer ma maison au loin, mais je ne l'ai pas vue. C'était fini. Mon avenir était lancé. Je ne pouvais pas revenir en arrière maintenant. Je n'avais pas prévu de le faire, mais c'est maintenant que j'ai vraiment compris ce que cela signifiait. Je me sentais à la fois libre et nauséeuse. En fait, les nausées étaient principalement dues au sol qui ne cessait de bouger sous mes pieds. Je devenais de plus en plus verte, alors je me suis excusée auprès d'Agatha et je me suis levée pour prendre l'air.

Agatha m'avait proposée de venir avec moi mais j'ai décliné son offre. J'ai donc laissé mes sacs et quitté la cabine en me tenant le ventre. J'ai marché en m'agrippant aux murs pour ne pas tomber, en priant pour que le bateau s'arrête. Qui aurait pensé que voyager pouvait être si désagréable ? Quelle gardienne... Je secouai la tête pour la énième fois pour ne pas entendre la voix. Je n'avais pas la force de l'écouter en ce moment. Mais ce n’était pas mon idée la plus brillante. Mon ventre tanguait déjà assez. Je n’aurais pas dû en ajouter.

J'ai fini par trouver un endroit vide et me suis accrochée à la balustrade pour ne pas tomber à l'eau. J'ai fermé les yeux et levé le menton pour sentir le vent sur mon visage. Cela a fonctionné immédiatement. Le grondement sourd de l'eau calma mon estomac et l'air salé me berçait le cœur. J'ai souris. Depuis que j’étais petite je courrais sur la plage chaque fois que j'avais besoin de m'évader. C'était la seule âme qui pouvait me calmer. J'avais l'impression qu'elle me comprenait. Arrête d'en parler comme si c'était vivant. J'ouvrais les yeux. C'était vraiment le cas. J'avais peut-être l'air folle, mais je pouvais sentir quelque chose. Je pouvais sentir une âme près de moi. 

« Encore toi ? » 

Je sursautai et me tournai vers la source du son. La voix dans ma tête rit. Voici ton âme. Estevan… Je soupirai bruyamment sans prendre la peine de cacher mon agacement puis me retournai vers la mer qui était bien plus intéressante. Estevan se posta à côté de moi et posa ses coudes sur la balustrade.

« Alors ? On a le mal de mer ? »  

J'aime bien celui-là. Je roulais des yeux. Je n'avais pas besoin de ça pour le moment. De quoi ? Il peut être ennuyeux, mais c'est toujours amusant. J'ai pincé les lèvres. 

« Ne me dis pas que tu vas abandonner la promenade en bateau. Même ton père tiendrait plus longtemps. »  

Ne me dis pas que tu vas te fâcher parce qu'il critique ton père. Il le mérite parfaitement. Ce n'est qu'un point faible.

« Moi qui ai cru en toi... Je suis déçu. » 

Je me suis redressée et je l'ai planté là sans un mot. J’avais déjà une voix dans ma tête qui critiquait toutes mes pensées, je n’avais pas de place pour une tierce personne. Rien qu’à l’entendre ma nausée revenait. J’allais le remettre à sa place à un autre moment quand mon repas ne menaçait pas de remonter par ma gorge à chaque instant. Estevan n'était pas très satisfait de mon comportement. Il attrapa mon poignet avec force. 

« Qui t'a donné le droit de me tourner le dos ? » 

J’ai arraché mon poignet de son emprise. 

« Qui t'a donné le droit de me toucher ? » 

Estevan eut un rire méprisant.

« Allez chérie, tout le monde rêverait d'être touché par moi. » 

Sur ces mots je me penchais au-dessus de la balustrade et vomis dans la mer. Je ne vomis pas bien longtemps et m’essuyais la bouche me sentant beaucoup mieux.

« Je dois avouer que cette réaction m’a fait mal. »

En repensant à sa remarque avant que je vomisse, j’eus mal au cœur. Je pouvais sentir à quel point ses mots sonnaient mal. Je pouvais sentir l'appel à l'aide derrière. Et alors que je me tournais vers lui je l'ai vue. J'ai vu son âme briller. Moi qui n'y avais jamais fait attention jusque-là, j'étais en colère contre moi-même. L'âme d'Estevan m'avait toujours parue bleu foncé jusqu'à présent, mais elle est soudain devenue beaucoup plus pâle et attirante. Estevan fronça les sourcils en me voyant le fixer sans rien dire. 

« Qu'est-ce que tu regardes encore ?

- Je comprends que c'est dur. Mais tu n’es personne ici. Saisis l'opportunité pour devenir quelqu’un de bien. Quelqu’un dont tu pourras être fière. Tu seras nettement plus heureux que si tu te mentez. » 

Estevan ne s'était pas du tout attendu à cela. Il se figea et j'en ai profité pour partir. Je l'ai entendu me crier après : 

« Tu as un problème mental ma pauvre ! Ta famille te monte à la tête ! » 

Je ne me suis pas retournée et j'ai continué mon chemin jusqu'à la cabine. Qu’est-ce qui t’arrive ? Je croyais que tu le méprisais. En effet je ne pouvais supporter sa façon de se comporter et ce depuis toujours. Mais... Tu viens de lui donner des conseils. Tout le monde mérite une seconde chance. Même lui. Je n’arrive pas à te suivre... Tu t'énerves quand je te dis que je l'aime bien et ensuite tu lui dis qu'il peut être quelqu'un de bien. Tu n’as pas à comprendre. Tout le monde a du bon comme du mauvais en lui. Estevan a passé trop de temps dans l'ombre de sa famille. Il s'y est habitué comme moi. Je ne dis pas qu'il n'a rien fait de mal ou que ce n'était pas sa faute. Il aurait dû réagir mais je n'ai pas réagi non plus. Je ne peux pas le blâmer pour quelque chose que je n'ai pas fait moi-même. D'une certaine manière, je me vois en lui. C'est un nouveau départ et il mérite d'avoir des amis. Wow... Tu peux être si ennuyeuse quand tu t’y mets… Agatha a souri en me voyant revenir.

« Tu vas mieux ?

-Oui, bien mieux. Tu n’as pas le mal de mer ?

-Non, je tiens bon.

-Tu as de la chance. Moi qui rêvais de voyager, ça risque d'être compromis. » 

Agathe éclata de rire. 

« Où irais-tu ? m'a-t-elle demandée. » 

Je réfléchis quelques instants. 

« Je ne me suis jamais posée la question. Je veux aller partout. N'importe où.-Oui j'imagine que quand on n'a jamais voyagé toutes les destinations nous conviennent.

-Et toi ? Si tu pouvais aller n’importe où, où irais-tu ?

-J'ai toujours rêvé de visiter les îles Shaman. Ma mère y a vécu longtemps. Elle est tombée amoureuse de mon père qui habitait le village alors elle n'est jamais partie. Mais elle nous en parle souvent. Je donnerais n'importe quoi pour voir la maison où elle a grandi ou pour me promener dans la forêt où elle est allée cueillir des fruits sauvages avec ses parents. » 

Contrairement à quand elle souriait, l'âme d'Agatha devint plus pâle. Plus triste. Je me suis concentré sur cette âme et pendant une seconde j'ai été bouleversé. Je ne pouvais plus sentir mon corps et je ne savais pas où j'étais, ni pourquoi.

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