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4 - "Je ne suis pas là pour t'agresser."

Je suis sortie en trombe de la salle d’allemand. J’avais trois minutes chrono avant de devoir me présenter au bureau du psy. Ça me laissait tout juste le temps de passer au petit coin.

Au moment de tourner à l’angle d’un couloir, j’ai percuté quelqu’un, me retrouvant propulsée au sol, mon sac disparaissant de mon champ de vision. Je me suis redressée péniblement en pestant. La personne avec laquelle je venais d’entrer en collision s’est accroupie devant moi.

— Ça va ?

J’ai relevé les yeux et me suis retrouvée nez à nez avec Jim Clayne. Il me regardait d’un air un peu inquiet, comme si comment j’allais lui importait vraiment.

— Euh, on va dire ça.

Il m’a tendu la main en souriant. Je m’en suis emparée et il m’a tirée en avant.

— Je suis désolé, s’est-il excusé en se dirigeant vers mon sac à main, qui s’était envolé à quelques mètres.

— Non, tu n’y es pour rien, ai-je répliqué alors qu’il revenait vers moi.

Il a souri encore une fois en me tendant mon sac. Je ne m’en suis pas tout de suite saisie, un peu choquée. Il ne m’avait jamais souri auparavant. Et c’était d’ailleurs la première fois qu’on s’adressait la parole.

— Tu étais pressée, non ?

— Oui. Il faut que j’y aille, d’ailleurs.

J’allais continuer mon chemin lorsqu’il m’a demandé :

— Tu aimes le baseball ?

Je me suis retournée vers lui, interloquée.

— Disons que je ne déteste pas. Pourquoi ?

— J’ai des billets pour le prochain match des Livers. Je me demandais si ça t’intéresserait.

— Tu les revends ?

Il a secoué la tête en affichant un sourire en coin.

— Non. Je te proposais d’y aller avec moi.

— Tu veux qu’on y aille ensemble ? me suis-je enquise, stupéfaite.

— Oui. Enfin, pas que tous les deux. Il y aurait Vince et oncle Sam, aussi.

C’était une blague ? Je n’allais tout de même pas assister à un match de baseball avec Vince, son cousin et son père psy – psy que je devais rejoindre illico, d’ailleurs !

— Ben, c’est gentil, Jim, mais…

— Écoute, réfléchis-y. C’est ce samedi.

Il m’a adressé un dernier sourire avant de partir en direction de la cafétéria.

J’ai haussé les sourcils, déstabilisée. Mais je n’avais pas le temps de penser à ça. Il fallait que j’aille voir le psy. J’étais déjà en retard. Non que je sois pressée de le revoir, mais il allait sûrement prévenir ma grand-mère si je ne le rejoignais pas. Et vu qu’elle voulait prendre « les décisions qui s’imposaient », il valait mieux ne pas tenter le diable.

Encore une fois, la salle d’attente était vide, comme si j’étais la seule élève parmi tous ceux d’Owen Haims que le psy voulait harceler.

— Bonjour, Roxanne.

Je me suis dirigée vers le bureau, une expression neutre plaquée sur le visage.

— Salut.

Il a souri de mon insolence, quand d’autres m’auraient incendiée.

— Assieds-toi.

Je me suis exécutée avec un soupir. Encore ce foutu canapé !

— As-tu des nouvelles de tes parents ?

Waouh, il y allait franco ! Attaquer avec un sujet que je voulais éviter n’était pas très judicieux de sa part.

— Non, et je n’ai aucune envie d’en avoir.

— Ce sont tes parents.

— Ce sont des salauds.

Il m’a fixée longuement avant de gribouiller quelques mots dans son carnet. Cette pratique commune aux psys m’énervait au plus haut point. J’avais bien envie de savoir ce qu’il griffonnait.

— Ils n’ont pas cherché à te joindre ?

— Parfois, mais je ne leur réponds pas. De toute façon, je sais ce qu’ils me veulent.

— Ah bon ? Et qu’est-ce qu’ils te veulent ?

— Savoir pourquoi mes bulletins sont aussi médiocres. Ils arrivent chez mon père, mais je suppose que pour le coup, il se fait le devoir de parler à ma mère. De toute façon, ce n’est pas étonnant. Ils ont toujours agi comme bon leur semblait.

— Tu fais allusion à leur divorce ?

J’ai soupiré en promenant mon regard dans la pièce. Les tableaux mettaient en scène des fruits, dans diverses situations. L’un représentait un verger, un autre une simple coupelle de fruits, et le dernier une pomme rouge posée sur une main rattachée à une ombre sombre qu’on distinguait à peine.

— Ils ne m’ont pas demandé mon avis. Ils n’ont pas voulu savoir si ça me faisait quelque chose qu’ils divorcent. Ils l’ont juste fait.

— Peut-être que c’était la meilleure solution. Il arrive parfois un moment où un couple n’a plus lieu d’être.

— Je suis sûre qu’ils pouvaient essayer autre chose. D’accord, ils se disputaient tout le temps et l’ambiance à la maison n’était pas toujours top. Mais on porte tous les trois le même nom : Stunley. On est une famille.

— Ta mère a pu garder le nom de ton père ?

— Elle est artiste-peintre, et tout le monde la connaît sous le nom de Lauren Stunley, du coup elle a pu garder le nom.

Il a hoché la tête.

— Bon, si je comprends bien, tu n’as eu aucune conversation avec eux depuis le divorce.

— C’est ça.

— Ça remonte à un an, si je me souviens bien. C’est écrit dans ton dossier.

— Dix mois, oui.

Un petit silence s’est installé pendant qu’il griffonnait dans son carnet. J’ai attendu qu’il daigne reprendre la conversation.

— Il paraît que tu es tout le temps seule. Tu n’as pas d’amis ?

— Qui voudrait être ami avec la rebelle de service ? De toute façon, je suis mieux toute seule. Je suis du genre solitaire.

— C’est ce que tu te dis pour te réconforter ?

— Non, c’est la vérité.

— Mais tu étais contente quand tu avais des amis, non ?

J’ai levé les yeux au ciel. Franchement, ce rendez-vous devenait n’importe quoi. Il fallait abréger.

— Disons que ça ne me dérangeait pas.

— Tout comme ça ne te dérange pas d’être seule. En fait, la seule chose qui ne te laisse pas indifférente est le divorce de tes parents. Et c’est intéressant de voir que tout ce qui te rend indifférente aujourd’hui a été causé par un fait qui ne t’indiffère aucunement.

C’était intéressant, ça ? Il fallait revoir la définition de cet adjectif. Et je parlais du psy, pas de moi.

— Voilà comment nous allons fonctionner, Roxanne : je vais te donner des missions que tu devras accomplir pour le rendez-vous suivant.

Qu’est-ce que c’était encore que ce délire ? Il se prenait pour Jerry des Totally Spies, ma parole !

— Pour le prochain rendez-vous, j’ai deux missions pour toi, Roxanne. La première est d’avoir une véritable conversation avec tes parents. Tu devras leur expliquer ce que tu ressens, en quoi tu as été blessée. Il faut que vous essayiez de trouver une solution. Ta seconde mission est de venir avec Jim, Vince et moi au match des Livers samedi. Il faut que tu te sociabilises à nouveau.

Je l’ai dévisagé, incrédule.

— C’est vous qui avez eu l’idée de cette sortie ?

— Non, c’est Jim. C’est aussi lui qui a voulu t’inviter, d’ailleurs. Je n’y ai pas vu d’inconvénient. Au contraire, c’est une bonne mission.

— Vous savez, votre histoire de missions ne me plaît pas trop. Et puis, les deux que vous venez de me donner me sont impossibles. Je n’ai aucune envie de parler à mes parents ni d’assister à un match de baseball avec trois inconnus.

Il a souri de nouveau, comme si j’avais dit quelque chose de drôle.

Nous n’avions, en plus, pas le même humour ! Décidément, ce psy et moi n’avions rien en commun. Au moins, avec l’ancien, je partageais quelque chose : ni lui ni moi ne supportions Owen Haims.

— C’est encore mieux. C’est encore plus un challenge du fait que tu n’es pas intéressée.

— Attendez, ce n’est pas contraire à l’éthique qu’on se voie en dehors du lycée ?

— Tu viens au match avec Vince et Jim, pas avec moi spécialement. Il n’y a rien de douteux là-dedans. N’essaie pas de te défiler, Roxanne. Il paraît que tu adores les défis.

— Qui vous a raconté ça ?

— Tu l’as dit à ton ancien psychologue. C’est écrit dans ton dossier.

Pff. C’était vraiment ridicule. Mais bon, il me défiait. J’avais ma fierté, je ne pouvais pas reculer.

— Bon, très bien. J’accepte vos missions. Mais qu’est-ce que j’y gagne ?

— Le privilège de me revoir. Lundi, ça ira ?

— Vous rigolez, j’espère ! C’est dans cinq jours. Il me faut plus de temps.

— Il te suffit d’organiser ta réunion de famille dimanche et tout ira bien. On fait comme ça.

Comme toujours dans ma vie, je n’avais pas mon mot à dire.

***

En sortant de la salle de colle après deux heures non-stop d’ennui mortel, je suis tombée nez à nez avec Anya Rovski et sa troupe de cheerleaders. J’ai levé les yeux au ciel. Super ! Je venais de quitter l’enfer pour en rejoindre une succursale… La blonde m’a regardée de haut en bas et s’est mise à pouffer.

— Qu’est-ce qu’il y a, encore ? ai-je marmonné en tenant les anses de mon sac.

Elle a haussé les épaules en tournant la tête vers ses comparses.

— Rien. J’avais juste oublié à quel point ce lycée pouvait avoir des standards ridiculement bas. Beauté, intelligence, ce n’est clairement pas donné à tout le monde. Ça a été, la colle ? Tu t’es bien amusée avec les autres bouseux ?

Elle s’est mise à rire, incitant ses copines à en faire de même. Je n’arrivais pas à comprendre son comportement. Qu’est-ce que cette fille pouvait bien avoir contre moi ? Je ne lui adressais jamais la parole, quand c’était possible, et pourtant, elle venait elle-même chercher des histoires, comme si elle n’avait rien d’autre à faire de sa vie. Ça commençait vraiment à me saouler.

— Ha, ha, tu trouves ça marrant ? Tu n’as rien d’autre à faire, un mercredi après-midi ? Comme t’entraîner à faire des saltos, par exemple ?

Elle a eu un sourire hautain en me regardant de haut en bas une nouvelle fois, son regard hostile et son expression amusée.

— M’entraîner à faire des saltos ? Mais pauvre gourde, on maîtrise toutes les saltos, ici. Il n’y a que toi qui ne sais rien faire de ton corps de dinde. Il paraît que mademoiselle a besoin des conseils du petit nouveau pour sauter sur un trampoline ? Ça va, cool ta vie ? Tu t’es crue où, exactement ? À aller aborder les beaux mecs, comme ça ?

Je l’ai dévisagée. Qui lui avait raconté que Vince m’avait aidée à m’entraîner à faire des figures sur le trampoline ? Oh, mais qu’est-ce qui m’étonnait, après tout ? Ils étaient très forts, à Owen Haims, je l’avais déjà constaté. Et vu que Vince avait attiré l’attention de beaucoup de gens en arrivant, évidemment que ses actions étaient surveillées. Mais que voulait Anya, maintenant ? Que je ne m’approche pas de Vince sous prétexte que c’était un canon ?

— Euh… qu’est-ce que ça peut bien te faire, que je traîne avec un beau mec ? Tu penses avoir le monopole sur tous les mecs un peu canons, ou quoi ?

— Je croyais que tu connaissais clairement ta place dans ce monde, mais je vois que ce n’est pas le cas. Toi, tu es là, a-t-elle fait en levant son pied et en l’écrasant sur le sol. Une fourmi. Une poussière. Un détail. Moi, je suis là. (Elle a levé le doigt vers le plafond). Un soleil. Tout le monde me voit et apprécie de m’avoir dans les parages car si je m’effondre, c’est l’apocalypse. Alors, essaie de te rappeler que tu n’as aucune importance dans ce lycée et que les mecs dans ce style ne s’intéresseront jamais à une fille dans ton genre. Le plus tôt tu enregistreras ça dans ton esprit de débile, le mieux ce sera pour tout le monde.

Elle a fait un signe de la tête à ses accompagnatrices et elles sont parties d’un pas fier.

J’ai longuement soupiré en essayant de retrouver mon calme. Clairement, elles avaient fait monter ma tension.

J’ai repris mon chemin dans le couloir et ai tourné à l’angle pour me diriger vers mon casier. Je me suis arrêtée net en voyant Vince Lewart, assis contre le mur du couloir. Il m’a fallu deux ou trois secondes pour me remettre en mouvement. En m’approchant de lui, je me suis rendu compte qu’il avait les yeux fermés. Est-ce qu’il dormait ? J’ai doucement prononcé son nom, mais il n’a fait aucun geste, confirmant ainsi qu’il dormait bel et bien.

Je me suis assise en face de lui et me suis mise à le fixer. Il était adorable. On avait envie de le prendre dans ses bras et de lui faire des bisous.

Ouh là ! J’avais passé un peu trop de temps en colle à ne rien faire, on dirait ! Et la rencontre avec Anya n’avait rien arrangé. Je perdais un peu la tête.

Tout était calme autour de nous, ce qui ne m’étonnait pas puisque tous les gens sains d’esprit avaient quitté le lycée dès que possible. Les rares fous encore présents faisaient partie de clubs. Mais, à ce que je sache, Vince n’avait rejoint aucun club.

J’ai posé ma main sur sa joue et l’ai gentiment tapotée. Ce geste a eu l’effet escompté, puisqu’il a tout de suite ouvert les yeux. Il a d’abord semblé un peu déboussolé, mais il s’est très vite repris.

— Ah, tu es là, a-t-il soufflé.

J’ai froncé les sourcils en le lâchant. Est-ce qu’il m’attendait ?!

— Qu’est-ce que tu fais là ? Je te pensais parti depuis longtemps.

— J’ai assisté à l’entraînement des footballeurs, et puis je me suis dit que ce serait sympa de venir te faire un coucou.

Il avait pensé à moi ! Ça m’a fait plaisir, parce que j’avais pensé à lui aussi. Enfin, parmi une dizaine d’autres personnes.

— Et tu t’es endormi.

— Apparemment, a-t-il admis en souriant. Tout est si calme que je n’ai pas réussi à tenir.

J’ai hoché la tête en ajoutant :

— J’ai failli m’endormir, en colle, mais le surveillant ne m’a pas lâchée. Du coup, j’ai trop sommeil.

Il a ricané quelques secondes, avant de se taire et me fixer longuement. Son regard a d’abord plongé dans le mien, avant de remonter sur mes cheveux, redescendre sur mon nez, puis mes lèvres, puis…

J’ai détourné les yeux, troublée par les deux beaux lapis perçants et leur trajectoire incendiaire.

Avant de reprendre la parole, je me suis raclé la gorge. Il faisait chaud, tout à coup.

— Qu’est-ce que tu comptes faire, maintenant que tu es réveillé ?

— Je n’en sais rien. Je vais peut-être attendre Jim.

J’ai hoché la tête en me levant. Il fallait de toute façon que je rentre.

— O.K. Je dois y aller, moi. À demain, alors.

Me dirigeant vers la sortie, j’ai senti son regard posé sur moi. Sur quelle partie de mon corps, telle était la question. Est-ce que mon jean derrière-de-rêve faisait son effet ?

Tss, n’importe quoi… Vince, en sa qualité de demi-dieu, côtoyait les plus belles filles des environs. Des derrières de rêve, il devait en connaître pas mal. Et le mien ne faisait sûrement pas partie de cette catégorie.

— Attends, Roxanne ! m’a-t-il soudain hélée.

Je me suis retournée, espérant afficher une expression neutre. Il s’est levé et a ramassé son sac. En quelques pas, il a couvert la distance qui nous séparait.

— Qu’est-ce que tu vas faire, toi ?

— Rentrer.

— Mais encore ?

— Je n’en sais rien, peut-être regarder un film.

Il a hoché la tête, me scrutant en silence. Sur la défensive, je lui ai demandé ce qu’il y avait.

— Tu n’aspires pas à mieux qu’à regarder un film toute seule chez toi ?

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— On n’a qu’à aller au cinéma.

Je l’ai dévisagé. Il était sérieux ? Il me proposait vraiment d’aller au cinéma avec lui ? Je n’y croyais qu’à moitié.

— Très drôle.

— Je ne rigole pas. Ce serait sympa, tu ne crois pas ?

Sympa ? Être assise à côté du sexy Vince Lewart dans le noir ? Ce n’était pas exactement la définition que je me faisais de « sympa ». Par contre, des adjectifs « dangereux », « stupide » et « inconscient », si.

— Franchement, Vince, je ne crois pas.

— Pourquoi ?

— Je ne suis pas trop d’humeur.

Et puis, je ne voyais pas très bien pourquoi il voulait qu’on aille au ciné ensemble. Si c’était encore pour que je me prenne les foudres d’Anya Rovski et de sa clique, non merci.

— Allez, Roxanne ! Ce sera marrant. C’est quand la dernière fois que tu es allée au ciné ?

— L’année dernière. Quand j’avais encore un intérêt à y aller.

— Tu en as de nouveau un : t’amuser. Passer du temps avec quelqu’un.

— Sache que je m’amuse déjà chez moi, à passer du temps avec quelqu’un : ma grand-mère.

L’air incrédule, il m’a considérée longuement.

— Ta grand-mère.

— Oui.

— Roxanne, ta grand-mère n’a plus dix-sept ans depuis longtemps… (Il s’est tu un instant, avant de reprendre :) Bon, je ne te laisse pas le choix. Tu viens avec moi.

Je me suis mise à protester, mais ma voix s’est éteinte quand sa main s’est emparée fermement de mon bras. J’ai senti comme des étincelles courir tout le long de mon corps et je n’ai donc plus été douée de parole pendant un certain temps.

Nous avons marché en silence jusqu’à ce que je lui demande :

— Tu sais où est le ciné, au moins ?

— Non, mais tu vas me le dire.

— Et pourquoi je ferais ça ? lui ai-je demandé en ricanant.

— Tout simplement parce que je te le demande.

Je me suis arrêtée de marcher pour lui lancer un regard noir. Il avait l’air très sérieux.

— Ah, et je vais t’écouter aveuglément ? Mais tu es un gros macho, ma parole !

— Si tu commences comme ça, on n’y arrivera jamais. Ce n’est pas la peine de te mettre sur la défensive, tu sais. Je ne suis pas là pour t’agresser. Je veux juste passer un peu de temps avec toi et apprendre à te connaître.

Vraiment ? Apprendre à me connaître ? Personne ne voulait ça. Qu’est-ce qui n’allait pas chez Vince ?

— Alors ? Tu vas me laisser une chance de mieux te connaître ?

— Dis-moi ce que ça t’apporte. Tu as passé un pari, ou quoi ? Le petit nouveau doit se rapprocher de la paria de service pour être accepté, c’est ça ?

— Mais qu’est-ce que tu racontes ? s’est-il étonné.

— Laisse tomber, j’y vais.

Je suis partie en trombe, furax. Furieuse, oui, mais malheureusement pas étonnée…

***

— Oui, dimanche.

— Ma chérie, ce serait avec plaisir.

— Vers midi ?

— D’accord.

J’ai raccroché avec soulagement. Je n’avais pas dit à ma mère que mon père venait lui aussi, et vice-versa. Ce n’était franchement pas la peine, sinon j’allais rater ma mission et faire ricaner le psy Lewart. Hors de question de tomber si bas.

— Je trouve excellent le fait que tu veuilles à nouveau voir tes parents, Roxanne. C’est important.

J’ai offert un sourire à ma grand-mère. Il valait mieux que je ne lui dise pas ce qu’il en était vraiment – que ce n’était qu’une mission parmi tant d’autres. Sinon, elle serait déçue.

Je me souvenais encore des repas de famille que l’on avait passés tous ensemble. En règle générale, même si mes parents étaient occupés, surtout mon père, on essayait quand même d’en organiser au minimum un par mois. Tous ensemble, avec mes grands-parents maternels et mes parents, on rigolait bien et l’ambiance était toujours au beau fixe. Mon père s’était toujours entendu avec mes grands-parents. Du moins, une fois que la pilule de leur couple était passée – vers la Terminale. Les rires autour de la grande table, les moments de joie partagés dans le jardin autour du barbecue, tout ça me manquait beaucoup.

— Au fait, ma chérie, madame Sinke m’a appris qu’elle t’avait vue à plusieurs reprises avec un jeune homme. Est-ce que c’est vrai ?

Elle avait l’air super excitée. La pauvre, je ne pouvais décemment pas briser le mythe de la Roxanne de nouveau sociable.

— Oui. Il s’appelle Vince.

— Oh, mais c’est fantastique ! Tu le connaissais déjà ?

— Il est nouveau. Il est arrivé il y a deux jours avec son père.

— Je suis si fière de toi, Roxanne ! Tu l’inviteras un de ces jours, d’accord ?

J’ai hoché la tête, même si je ne risquais certainement pas de l’inviter. Si ça faisait plaisir à ma grand-mère de croire que je m’étais fait un nouvel ami, qui étais-je pour la faire redescendre de son nuage ?

D’ailleurs, on voyait bien qu’elle s’était adoucie depuis l’adolescence de ma mère ! Elle n’avait clairement aucun problème avec le fait que sa petite-fille de moins de dix-huit ans traîne avec un mec – dont elle n’avait jamais entendu parler, pour couronner le tout.

— Que vas-tu faire, cet après-midi ?

— Je pensais rester avec toi. On pourrait regarder un film ou jouer aux échecs.

Elle a souri avec indulgence, puis m’a assuré que ce ne serait pas possible.

— Nous sommes mercredi, Roxanne. Je dois aller à l’association.

Super. J’avais complètement oublié ça ! Du coup, j’allais vraiment rester seule… Enfin ! C’était une habitude. Mais en comparant cette option avec celle de la salle-toute-noire-avec-le-bon-sang-de-sexy-Vince-Lewart, c’était plus un cauchemar qu’autre chose.

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