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3066 Lamia
3066 Lamia
Auteur: Jean-Baptiste Messier

Lamia

Lamia

Lamia gémit. Des rigoles humectaient les bords crénelés et plissés de ses lèvres extérieures qui s’ouvraient sous les mouvements de ses doigts enfiévrés. Des larmes salées coulaient sur le mont de vénus, s’infiltraient dans les sous-bois ombragés de son pubis. Ses doigts errèrent entre les poils, stimulèrent le clitoris puis se glissèrent dans sa cavité humide.

Ses hanches se soulevèrent pour augmenter la pénétration agile et affolante. Elle caressait en même temps son ventre, gourmandait ses seins de caresses, titillait ses mamelons qui devenaient le sommet volcanique d’une activité jouissive.

La veille, Lamia avait perdu sa virginité avec Paul. Elle se remémorait ce moment exceptionnel et s’octroyait un plaisir solitaire dans son lit de jeune fille.

« Lamia ! »

En criant son nom, Paul s’était enfoncé dans son sexe virginal, et cette première intrusion avait provoqué un sursaut de douleur. Il l’avait pénétrée d’un coup, après qu’elle se fut enflammée sous les caresses et lui eut hurlé son envie de lui : « Viens ». Sursaut de douleur suivi d’un plaisir nouveau.

Lamia activait ses mains de plus en plus rapidement, la jouissance venait. Son corps enivré de plaisir s’arquait. Elle étouffa un cri dans l’oreiller à la toile rêche. Sous la grosse couverture en peau de loup, son corps cessa de s’agiter, elle savoura la sensation de béatitude.

Pourtant Paul n’était pas le garçon à qui, selon la tradition, elle avait promis d’offrir sa virginité. Elle avait embrassé et mordu son amoureux, son Valérian, dans le cou jusqu’au sang et avait marqué au charbon noir sa joue gauche d’un « LA » qui voulait dire Lamia. Toujours selon la tradition, le garçon devait rester un jour avec cette marque pour que tout son entourage sache qu’il avait été choisi par une jeune femme pour la dépuceler.

Oui, mais Lamia était comme une braise qui s’enflamme au vent. Nombreux étaient les garçons émus par les charmes pulpeux de cette belle brune à la voix douce et légèrement grave, au regard intense et sauvage. Une constellation de grains de beauté dans la vallée de ses seins achevait de lui donner un charme redoutable. Depuis un moment, Paul lui tournait autour et Lamia était sensible à la chaleur de son désir, d’autant plus que physiquement il l’attirait beaucoup. Elle n’était pas amoureuse de lui à la différence de ce qu’elle ressentait pour Valérian. Pourtant Paul dégageait quelque chose d’extrêmement érotique dans ses regards, ses attitudes. Pour une jeune fille en fleur comme elle, c’était délicieusement troublant et tentant.

À peine sa vie de jeune femme commencée, Lamia avait donc trompé et n’éprouvait guère de remords. Elle avait été remarquablement baisée par un jeune homme expérimenté, elle avait joui comme une folle, elle n’avait pas de regrets d’autant que Paul lui avait promis le secret.

À l’extérieur du lit, il faisait froid. Depuis l’escalier au bois vermoulu, les fumets de la cuisine de sa grand-mère montaient vers sa chambre. D’après les Grands Anciens, à l’époque de l’industrialisation, les gens pouvaient se chauffer à l’électricité, ou au gaz, au fuel… « L’électricité », quel mot magique.

Nicolas la regardait de ses grands yeux verts ou jaunes suivant la lumière du jour et semblait partager ses pensées. Elle avait appelé ainsi son chat car elle habitait rue Nicolas Flamel dans l’ancien domicile de l’alchimiste1 qui appartenait à une époque depuis longtemps ignorée, même des anciens.

« Lamia, descends, on va manger ! »

Lamia s’habilla rapidement d’un pantalon en lin et d’un gros pull qui irritait ses seins et se revêtit de sa doudoune en peau de mouton.

« J’arrive ! »

La jeune fille dégringola de l’escalier et se précipita vers la table. L’âtre tout près la réchauffait, c’était un vrai bonheur.

Sa grand-mère préparait un ragoût de mouton. C’était un plat qu’anciennement on aurait dit arabe mais, bien sûr maintenant que n’existaient plus les divisions, ce mot était censé ne plus avoir grand sens. N’existaient plus aucune nation, clan, ethnie, pays. Depuis la « Guerre Ultime », c’était formellement interdit.

« Dis, grand-mère, c’est vrai qu’avant il existait des machines lourdes en métal qui pouvaient avancer toutes seules sans ânes, ni chevaux, ni bœufs ? Des “voitures” ? »

Sa grand-mère était la récipiendaire d’une longue lignée, les Keshiv, qui avait pour tâche de transmettre la mémoire et diriger la communauté. Malheureusement elle n’avait eu que des fils. Aussi, quand elle avait découvert un matin d’été, Lamia, bébé abandonné et vagissant, sur le pas de la porte, elle s’était dit que la Grande Mère Universelle avait bien fait les choses une fois de plus.

Beaucoup lui prêtaient un talent de prescience et de sagesse peu commune, ce qui imposait un respect et une autorité naturelle. Elle regarda sa petite fille et dit :

« Non, elles n’avançaient pas toutes seules ma chérie… Énergie, tout est énergie… Elles avançaient grâce à une ressource qui n’existe plus : le pétrole et plus tard grâce à l’électricité fournie par des centrales qui elles-mêmes fonctionnaient avec un minerai qui n’existe plus : l’uranium… oui qui n’existe plus… C’est mieux ainsi. »

Lamia l’écoutait, admirative : sa grand-mère était un puits de savoir et d’histoires incroyables.

Sakhia, sa grand-mère, reprit :

« D’après la doctrine des Anciens, sur laquelle est fondé tout notre mode de vie, cette époque était littéralement dominée par le diable2, qui s’y entend en divisions et en petites coupures. Or c’est bien, par exemple, la division poussée du travail qui conduisit l’homme à épuiser les ressources naturelles et qui finit par engendrer une guerre pour la conquête des dernières ressources. C’est pourquoi la division du travail et le progrès technique dans notre société sont interdits. C’est aussi pour cela que nous avons confié le pouvoir politique aux femmes car nous sommes plus près de la nature et de l’Harmonie universelle. »

Comme à son habitude, tout en parlant, sa grand-mère manipulait ses cartes de tarot. Elle en sortit une puis regarda fixement sa petite fille… « Mais même notre société a besoin d’évoluer. »

Lamia regarda la carte qu’avait tirée sa grand-mère : c’était la mort, la lame XIII du tarot de Marseille.

Après avoir mangé le délicieux tajine de mouton, Lamia sortit et se dirigea vers la pointe de l’île de la cité où Valérian devait la rejoindre.

1Nicolas Flamel est un alchimiste de la fin du XIVe siècle.

2Étymologiquement, diable vient du grec « diabolos » qui veut dire division.

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