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Sur l'île de la cité

Lamia traversait les paysages en ruines de Paris. Tout d’abord la tour St Jacques qui éventrait le ciel bleu telle une lame de poignard à demi-ébréchée quand tant d’autres monuments parisiens avaient connu la ruine. Cet édifice de calcaire blanc était la survivance triomphante d’un passé depuis longtemps révolu qui voyait les différents savoirs théologiques, philosophiques et scientifiques unis. Un passé à l’expressivité fabuleuse qui intriguait par ses figures grimaçantes – les gargouilles, ses symboles mystérieux, ses messages claironnants mais incompréhensibles. Des messages figés dans la pierre dont la patine donnait un charme indéfinissable. Les rosiers avaient envahi le square en contrebas de la tour. Un panneau depuis longtemps dévoré par la rouille affichait encore péniblement les horaires d’ouverture et de fermeture. Lamia poussa la petite porte en fer dont les ressorts jouaient encore en partie. Dans la végétation luxuriante, la belle plante se fraya un chemin grâce au sentier maintes fois emprunté par la petite communauté survivante de « L’Ultime Guerre ». L’humanité avait connu après l’épuisement des ressources naturelles en énergie de gros problèmes logistiques pour l’alimentation en nourriture des mégalopoles. Famines, épidémies, guerres barbares et nucléaires avaient été les symptômes de soubresauts inéluctables. Tout l’appareil industriel s’était effondré.

« L’Ultime Guerre » avait saigné les populations des pays développés pour défendre leurs frontières et privilèges.

Il advint un moment où la guerre avait tellement ravagé la Terre, que les structures de tous ordres avaient été détruites. Il se forma bientôt un conseil des Anciens qui communiquait par des affiches placardées sur les monuments ou endroits des villes les plus fréquentées du monde. Leur légitimité venait de la prise de conscience que l’homme s’était retrouvé dans une impasse et que les solutions des sages allaient dans le sens d’une évolution à la fois viable pour l’homme et la Terre.

Personne ne connaissait l’identité de ces sages, c’étaient leurs idées dont l’évidence était frappante, qui circulaient et s’imposaient sur toute la surface de la terre. Bientôt des communautés d’hommes se constituèrent autour des préceptes du Conseil.

Lamia arriva à la place du Châtelet. Les jets d’eau ne fonctionnaient plus depuis longtemps, les sphinx à moitié défigurés et au béton fondu, statues sinistres dans cet hiver, donnaient une couleur fantastique à l’endroit entouré par les murs des bâtiments à la façade classique et du théâtre à moitié effondré.

Elle croisa quelques personnes, qui portaient toutes des vêtements aussi rudimentaires que le sien. Un signe parfois indiquait qu’ils appartenaient à une guilde particulière.

Lamia appartenait à la guilde des sages, dont le nombre des membres était extrêmement réduit. Elle regroupait les anciennes dirigeantes de la communauté vivant à Paris ainsi que les jeunes femmes, le plus souvent liées par le sang à ces membres, dont on espérait qu’elles pourraient prendre la relève au conseil.

Lamia traversa le pont qui l’amenait à l’île de la cité. La Seine coulait abondante entre les piliers. Des pêcheurs assis sur les bords des quais attendaient patiemment que le poisson morde. Les prises étaient nombreuses. Elle les observa un moment. Un jeune homme, assez grand, brun aux yeux bleus, les cheveux ondulés la regardait tout en tirant de temps en temps une ficelle qui devait être reliée à un hameçon.

Puis elle continua son chemin et alla saluer Notre Dame de Paris. Le parvis aux pavés descellés, la moitié de la toiture éventrée par une bombe, des chimères lançaient leurs imprécations contre les humiliations guerrières et sacrilèges. Avec Valérian, ils aimaient à discuter la nuit venue, avec au-dessus d’eux le ciel étoilé frangé par les restes de la voûte dans la cathédrale. C’était aussi le lieu de câlins prolongés entre les travées en bois quand les chauves-souris commençaient leur manège cliquetant.

Elle arriva à leur point de rendez-vous. Valérian l’attendait à la pointe de l’île de la cité sous un saule pleureur. Assis en tailleur à écrire une chanson ou conter une histoire, on eût dit qu’il était à la pointe de l’étrave d’un bateau.

Elle vint silencieusement derrière lui et observa par-dessus son épaule ce qu’il écrivait :

Le flot de ta peau

Bat contre mon corps.

J’embrasse tes cheveux d’or,

Mes lèvres s’ouvrent à ta chaleur.

Il est tôt,

Je te salue Ô soleil.

Elle se pencha, ses longs cheveux bruns vinrent effleurer le cou de Valérian. Il porta une main à la nuque de la jeune femme désormais toute proche, l’incitant à se baisser plus encore : leurs lèvres se joignirent.

Puis la bouche gourmande de Valérian s’abrita dans l’encolure de sa belle gazelle.

Lamia frémit et s’assit sur les cuisses en tailleur de Valérian, les pieds collés derrière son dos. Elle avait envie de lui. Elle sentit le membre se dresser en ce bel après-midi d’hiver.

Lamia avait mis une grande jupe en laine.

« Lamia…

— Valérian… »

Elle écarta la toile du pantalon et se saisit du pénis. Elle en appréciait la peau douce du prépuce, le branlait doucement pour mieux apprécier ce corps magique. D’une main ferme, elle le dirigea vers les lèvres de son sexe.

Valérian gémit.

« Si tu veux, tu me prends maintenant.

— Non ma chérie, tu sais que ce n’est pas en accord avec la tradition… ahhhhhh.

— Vraiment tu ne veux pas ?

— Je désire mais ne dois pas, continue de me branler contre ton sexe, ne me laisse pas !

— Très bien… Mais t’as intérêt à te rattraper après ! »

Lamia continua de caresser voluptueusement le pénis de Valérian tout en le frottant contre les lèvres de plus en plus humides de son intimité.

Valérian glissa une de ses mains en dessous de ses fesses, et de l’autre effleura les lèvres extérieures de son sexe, son clitoris. Lamia se colla contre lui. Son sexe était en feu. Le souffle de Valérian accélérait dangereusement, elle ralentit le mouvement afin d’amener son partenaire jusqu’à l’acmé du plaisir. Les doigts de Valérian allumaient mille feux dans son corps. Lamia haletait. Valérian engagea son majeur et son index, et la fit jouir une première fois. Elle se dégagea de la position et précipita sa bouche vers le pénis tendu et violacé. Elle le pompa vigoureusement jusqu’à ce que le foutre lui emplisse la bouche. Goût de soja. Avec malice, elle le regarda puis alla cracher un peu plus loin la semence. La saveur était bonne mais la substance par trop gluante, elle toussait après-coup si elle l’avalait.

Repus, ils se tenaient assis côte à côte, savourant ce moment d’unité et de silence. Valérian prit une longue flûte en roseau, un ney, dans sa sacoche et se mit à jouer.

Les accents profonds et envoûtants s’envolèrent dans les airs et habillèrent le couple d’un manteau ensorceleur.

Lamia ferma les yeux. Elle se leva et commença à tournoyer sur place dans une cadence de plus en plus rapide. Valérian la regardait évoluer, habitée par un autre monde. Les bracelets aux chevilles tintaient. Lamia étendit les bras en même temps qu’elle virevoltait sur elle-même et que le monde environnant disparaissait.

Voyageuse de l’espace, elle vit s’approcher des formes obscures, noires, effilées et menaçantes. Des yeux de feu, de noirs desseins. Les extraterrestres, les reptiliens comme on les appelait. Un tube énorme qui plonge dans les entrailles de la terre, souffrance, Lamia est connectée à l’âme de la Terre. Yeux de feu qui la dévisagent, main griffue qui s’étend et broie le cœur. En sueur Lamia s’effondre sur le sol.

« Lamia, qu’as-tu vu ?

— Les reptiliens. Ils préparent quelque chose. Ils vont faire du mal à la Terre. »

Valérian l’aida à s’asseoir contre le tronc du saule.

« Justement, ma chérie, il fallait que je t’en parle. Je vais être envoyé pour ma première mission de reconnaissance. Des guetteurs nous ont signalé des mouvements suspects de navires volants. Les messages, qu’ils soient transmis par les pigeons voyageurs ou par les estafettes, restent alarmants. Il semblerait que les reptiliens soient de plus en plus nombreux à envahir les montagnes de l’Auvergne. Mais nous ne comprenons pas leur but.

— Mais… Tu pars quand ?

— Demain matin, après le conseil des Anciennes.

— Putain et c’est maintenant que tu m’apprends ça ! Valérian je veux qu’on fasse l’amour avant ton départ !

— Non ma chérie, tu sais très bien que la tradition nous impose de le faire au solstice d’été, pour cette première ouverture. Je ne veux pas gâcher ce symbole.

— Mais qu’est ce que ça change de le faire maintenant ou dans quelques mois ! Et ta mission est dangereuse, tu comprends ? Je veux que tu me baises !

— Non. »

Valérian caresse tendrement la joue de Lamia qui repousse sa main.

« De toute manière, tu ne m’aimes pas. C’est toujours moi qui dois venir vers toi. Tu es perdu dans tes pensées artistiques et, du bout des lèvres, tu me dis que tu m’aimes comme si tu m’observais d’une autre planète…

— Tu es injuste Lamia. Tu sais très bien que dans notre société, c’est la femme qui doit faire les premiers pas. L’homme ensuite dit à la femme s’il est intéressé. Comment me jugerait-on si je venais vers toi ? Toute ma réputation d’homme en devenir en souffrirait. »

Lamia se contint car elle allait lui dire que ce qu’il lui refusait, un autre homme le lui avait déjà offert et de quelle manière ! Mais elle était en rage de voir son amoureux aussi raisonnable et pourtant aussi déroutant par son côté artistique.

De plus, en tant que membre observateur du conseil des Anciennes, elle se devait de respecter les codes de leur société, autrement comment aurait-elle été légitime aux yeux de la population ?

Enfant, elle se revoyait avec Valérian quand ils se battaient dans le jardin du Luxembourg, quand elle faisait semblant d’être contrariée pour un oui ou pour un non et commençait à le boxer. Ou quand ensemble, ils grimpaient dans un arbre pour admirer le bassin et les restes de statues, témoins d’une époque très lointaine. Ils étaient alors comme deux copains. Lamia, même si elle s’était féminisée, avait gardé ces traits de caractère un peu brutaux, sans apprêts, avec un franc-parler qui contrastait souvent avec les jeunes filles de son âge.

Valérian fouilla dans sa sacoche et en sortit un pendentif. Il le tendit à Lamia qui l’examina. Le collier était d’argent, et le médaillon, une sorte de pièce, était gravé d’un bateau.

Valérian sourit et lui dit :

« Prends. Tu ne sais peut-être pas mais l’ancienne devise de Paris était : “Il flotte mais il ne coule pas”. J’aimerais que notre amour soit à cette image.

— Mon chéri à moi ! »

Lamia, toute fière, mit le bijou autour de son cou et embrassa Valérian tout en plaquant sa main sur son entrejambe.

« Ça suffit pour aujourd’hui vilaine fille ! »

Ils roulèrent ensemble sur les pavés. L’après-midi s’achevait sur le plus joyeux des moments.

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