Passé maître dans l’art de la guerre, Joachim aurait pu profiter du sommeil de Kalinda pour neutraliser Némor et tenter de s’enfuir. La chauve-souris avait beau être rapide, elle ne possédait pas l’efficacité des menottes. Mais le risque de tomber entre des mains moins caressantes, joint à l’obscur besoin de ne pas décevoir sa geôlière l’arrêtaient. Il tenait donc sa parole en gardant la jeune femme endormie blottie contre lui.
Il aurait pu tout aussi bien lui briser le cou. Partager une étreinte ne rendait pas un ennemi plus doux. C’était même une manière redoutable de tromper sa confiance. Une imprudence contre laquelle il se promit de mettre en garde la jeune femme au bout de leur périple. Ce serait son dernier cadeau.
Quoique l’idée qu’elle puisse être défaite si facilement le heurtait moins que celle qu’elle se donne ainsi à un autre. Une constatation qui l’obligeait à une conclusion déra
Ils déambulaient entre les parois abruptes, lorsque Joachim ralentit pour l’interpeller : — Je suppose que tu vas dévoiler l’existence de Sylfinata. — Non. — C’est bien. — C’est bien ? Juste ça ? Étonné, il la dévisagea. — Qu’attendais-tu que je te dise ? — Je ne sais pas, moi : félicitations ; tu me surprends ; je suis fier de toi , énuméra-t-elle, sans parvenir à cacher sa déception. Elle devenait pathétique, et elle souhaita qu’il poursuive sa route en l’ignorant. Mais il conservait son regard posé sur son profil, et une chaleur embarrassante enflamma les joues de la jeune femme. Ce fut le moment qu’il choisit pour répondre : — Félicitations ; tu me surprends ; je
Joachim détestait devoir s’enfuir, mais privé de ses pouvoirs, il devait admettre qu’il ne faisait que la gêner. Rageant contre son inutilité, il fila le long de la barre rocheuse. Il évitait de trop s’approcher du bord de la crevasse qui déroulait un sol uniformément plat à perte de vue. S’il voulait aider Kalinda, il devait d’abord trouver un endroit où se dissimuler. Le sable ralentissait sa course, mais il atteignit un amoncellement de gros rochers sans être inquiété. Derrière lui, les explosions, les cris et les imprécations se multipliaient. Tant que le combat se poursuivait, il avait une chance de tirer la jeune femme de ce mauvais pas. Demeurant à couvert, il escalada une petite butte en espérant avoir un meilleur point de vue sur la bataille. Arrivé en haut, il se retourna. Kalinda parvenait encore à faire front à ses adversaires. Elle reculait toutefois de plus en plus contre la mura
— Alors, mon Pierrot, encore en train de rêvasser ? La question de sa mère le tira de son rêve éveillé. Avec légèreté, la main de la jeune femme passa dans ses courts cheveux noirs, relevant ceux-ci en épi sur son front. Comme souvent depuis que son ventre s’arrondissait, elle portait son ample tunique de velours rouge, toute douce, contre laquelle l'enfant aimait frotter son visage. Avec sa queue de cheval haute et ses joues un peu plus rebondies, elle lui apparaissait comme la plus jolie des mamans. Il eut envie de venir se blottir dans ses bras. Un bref instant pourtant, l’inquiétude l’envahit. Il se demanda quand la petite sœur qu’elle leur avait promise les rejoindrait. Parce qu’un bébé à la maison allait sûrement réclamer une grosse part de câlins. Mais déjà, il oubliait son souci. Les doigts fins de sa mère caressaient le bout de son nez. Son regard brun était si tendre qu’il ne pu
Une fois à table, sa triste mine n’échappa pas à ses parents. Encore moins enclin à dire la vérité sous l’œil inquisiteur de son frère aîné, le petit garçon grogna qu’il ne se sentait pas bien et qu’il désirait aller se coucher tôt. — Avec ce temps glacial, ce n’est pas drôle s’il a pris froid, dit son père avec un sourire compatissant. Que son mensonge passe aussi facilement troubla un peu Pierre. Il n’aimait pas mentir et il baissa la tête. Sans aucun appétit, il contempla la coquille Saint-Jacques qui refroidissait dans son assiette. Aussitôt, sa mère posa une main préoccupée sur son front. — Il n’a pas de fièvre pourtant. Tu es sûr que tu
Pierre retint un soupir d’exaspération. Pour la troisième fois en moins d’une heure, un soulier trop pressé s’écrasait sur son pied. La journée s’annonçait éprouvante. Elle s’assombrissait même de minute en minute, alors qu’il parcourait les rayons d’un grand magasin décoré à tous les étages d’insignes dorés, de petits anges resplendissants et de guirlandes rutilantes. À lui donner une overdose des ornementations lumineuses, lui qui appréciait pourtant particulièrement les parures qui éclairaient tous les coins de rues à l’approche des fêtes de fin d’année. Il avait pour principe de choisir les cadeaux qu’il offrirait à Noël consciencieusement, toujours avant la grande ruée des retardataires en tout genre. I
Un peu abasourdi par ses changements d’humeur, Pierre lui emboîta le pas en se demandant si elle faisait exprès de se comporter de façon si ambiguë. Mais hors de question qu’il l’abandonne dans l’ascenseur, déjà pris d’assaut par une horde de clients pressés de regagner leur logis. Tassés l’un contre l’autre entre un monsieur bedonnant presque aussi chargé que la jeune femme et une vieille dame qui, très sournoisement, jouait des coudes pour conserver le plus grand espace vital, ils atteignirent le sous-sol. D’un geste, Pierre désigna sa voiture garée à peu de distance. Une veille Land Rover qui ne payait pas de mine, mais d’une robustesse à toute épreuve lorsqu’il s’agissait de s’engager dans les chemins de terre que l’obligeait parfois à emprunte
Ils roulèrent dans les rues d’Angers durant une vingtaine de minutes. Ses études d’ingénierie achevées, Pierre avait dû quitter sa Touraine natale pour venir s’installer dans cette grande ville de province. Major de promotion, il avait réussi à obtenir un poste à responsabilités dans un des plus grands centres du réseau agronome de la région et, depuis trois ans, il menait sa mission à l’entière satisfaction de son employeur. Ils sortirent finalement du centre historique pour rejoindre les quartiers pavillonnaires de l’autre côté de la Maine. Pendant le trajet, la jeune femme lui parla un peu de son travail. Apparemment, elle se rendait fréquemment à l’étranger pour assister les plus grands réalisateurs. Un peu étonné qu’elle ait une carrière aussi brillante à son âge, Pierre se retint de l’interroger. N’était-il pas lui-même un peu en-deçà de l’âge moyen de ses collègues, pourtant tous relativement jeunes ? &nbs
Cette année-là, Noël tombait un dimanche. Un roulement régulier des congés d’hiver entre les membres de son service obligeait Pierre à assumer l’intérim jusqu’au jour de l’An. Il retourna donc au bureau dès le lundi. Comme prévu, il offrit son cadeau à Sonia. L’arrivée récente dans l’entreprise de la jeune femme la positionnait quant à elle d’office parmi le personnel réquisitionné durant les fêtes. Elle accueillit l’attention de ses collègues avec un réel plaisir. Attentif à la moindre de ses réactions, Pierre eut rapidement la confirmation que son choix la touchait dans le sens qu’il espérait. Sonia profita en effet du baiser de remerciement qu’elle posa sur sa joue pour lui chuchoter à l’oreille, derrièr