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-Je pense que je vais y aller.

-Quoi ! T'es complètement folle ou quoi !

-Il s'agit de ma fille.

-Il est hors de question que tu aille là-bas, c'est des fous.

-Je ne sais pas ce qu'ils lui font subir, ça m'angoisse. J'en ai marre de vivre en attendant son retour.

-Mais moi je sais ce qu'ils te feront là-bas, je te laisserais pas faire alors chasse toi vite cette idée de la tête. C'est pas en se jettant dans la gueule du loup que ta fille reviendra.

-Je vais prier.

Je pose ma fourchette et me dirige vers la salle de bain. J'effectue mes ablutions, pose un voile sur ma tête et enfile une longue robe pour camoufler mon corps. Je met le tapis au sol et prie.

C'est la seule chose à laquelle je peux m'accrocher pour rester sur pieds. Je suis à deux doigts de flancher pourtant mais je ne désespère pas. Je retrouverais ma fille.

Et si ce n'est pas eux qui m'aide à la retrouver, je me débrouillerais seule. Quitte à mettre ma vie en danger.

Jade

Une mère a ce don de ressentir tout ce que son enfant ressent. Quand ils sont tristes, elle est triste également. Et au fond d'elle, elle sait que cela provient de l'état de son enfant. Devrais-je alors m'inquiéter d'être aussi mal ?

Les jours passent mais rien ne bouge, personne ne peut m'aider. J'ai l'impression d'être enfermé dans une prison, loin de ma fille. Je suis impuissante face à l'attrocité qu'on peut éventuellement lui faire subir.

Le pire dans tout cela, c'est que j'y met toute mon énergie physique et mon énergie morale. Je me donne corps et âme mais rien y fait, j'ai l'impression que ma fille ne me reviendra pas. On ne cesse de me répéter qu'on ne peut rien faire pour moi ou alors qu'on finira bien par la retrouver un jour ou l'autre mais moi je la veux maintenant à mes côtés.

Elle me manque, ma moitié n'est pas présente à mes côtés. Elle n'a que 5 ans bordel, qu'est-ce qui est passé par la tête de Hassan pour faire ça ?

Je suis convaincu qu'il l'ait emmené là-bas. Je me suis assez justifié auprès des autres, me voilà paranoïaque à présent d'après eux. Ce qu'ils ne savent pas, c'est que je le suis pas. Jennah est en Syrie à cause de son père, j'en suis persuadée.

Aujourd'hui, c'est à un énième rendez-vous auquel je me rend. Avec un lieutenant de police plus précisemment. Je commence peu à peu à perdre espoir. Ne serait-ce pas mieux d'agir moi-même ?

Je suis consciente du danger mais c'est de ma fille dont on parle, pas de n'importe qui. J'en ai marre de devoir attendre que les gens fassent avancer les choses. Cette situation dure depuis plus de cinq mois maintenant, je suis à bout de nerfs.

-Bonjour madame, prenez place je vous pris.

-Merci, dis-je en m'asseyant

-Nous avons examiné votre dossier ainsi que votre demande.

-Alors ? dis-je en attendant une réponse favorable

-Les enfants là-bas sont entraînés pour devenir de futurs combattants, votre fille a déjà du subir des choses horribles.

-Je le sais.

-On peut faire une demande avec la famille qui s'occupe d'elle.

-Ça va pas être possible si elle est avec son père, il ne la laissera pas revenir.

-On essayera quand même sait on jamais. On a reçu plusieurs plaintes concernant des enfants qui étaient en Syrie. Ce qui serait bien c'est d'envoyer éventuellement quelqu'un qui puisse récupérer les enfants avant qu'il ne soit trop tard mais ça reste quelque chose de dangereux.

-Je m'en doute, dis-je attristée

-Avec mon équipe on va faire en sorte que cela puisse se faire, on va en parler avec des supérieurs, on vous recontactera.

-Bien, merci.

-Je vous en pris madame, soyez courageuse.

Je lui répond avec un petit sourire et sors du bureau. Un enième rendez-vous et une enième réponse négatif. Celle-ci n'était pas non plus catégorique mais je sais très bien que le dossier va traîner et rester sous la pile. À quoi bon se voiler la face.

Je retourne chez moi et me dirige instantanément vers sa chambre. Son odeur flotte encore dans l'air, un petit parfum de fleur chatouille mes narines. Son père lui avait offert un flacon de parfum spécialement pour la petite fille qu'elle était, il était de couleur rose et sentait la fleur comme le surnom qu'on avait l'habitude de lui donner, ma fleur.

Elle avait adoré, elle passait sa journée à s'en mettre dans le cou en criant partout qu'elle était la plus belle. Du haut de ses cinq ans, elle parvenait à me redonner le sourire même quand j'étais au fond du gouffre.

Je passe ma main sur chacun de ses doudous, prend en main ses habits et les colle contre mes narines pour humer l'odeur. Voilà que des perles viennent mouiller sa jolie petite robe grise qu'elle portait auparavant lors de grandes occasions.

"Restez courageuse" ; c'est plus facile à dire qu'à faire.

Flash-Back

-Maman ! s'écrit Jennah dans toute la maison

-Ma fleur, dis-je en ouvrant mes bras

Elle court vers moi et enroule ses petits bras autour de mes jambes. Je passe mes mains sous ses aisselles afin de la porter et lui fais pleins de bisous.

-Alors bébé t'as fais quoi à l'école ? lui demandais-je en la reposant au sol

-Je me suis trop amusé !

-C'est bien ma fleur, il est où ton papa ?

-Il est resté en bas avec son copain il a dit il arrive.

-D'accord, tu viens on va manger ?

Elle hoche la tête et part se laver les mains. Je l'installe sur une chaise haute en face de la table avant de lui poser son goûter devant elle. Elle me raconte sa journée puis Hassan rentre également dans la maison.

-Jade ?

-Oui ?

-Je sors avec Kader, je rentrerais sûrement tard.

-Tu mange là-bas ?

-Ouais.

-D'accord bah...à ce soir.

-À ce soir.

Il me fait un rapide baiser sur la tempe et part rapidement.

-Maman c'est vrai qu'on va partir ?

-Partir où ?

-Papa il a dit qu'on allait partir autre part.

-Il t'as dit ça ?

Elle hoche la tête de manière innoncente et passe sa main dans ses cheveux pour les mettre en arrière.

-Faut pas croire papa il dit des bêtises, mange ma puce.

Retour au présent

Ces paroles sont sortis de la bouche de ma fille et même après ça j'ai continué, j'ai été aveuglée par l'amour et j'ai mis ma fille en danger.

Moi qui était en route pour le centre commercial, je tourne le volant subitement, il faut que j'aille voir Kader. Ce souvenir a eu le don d'un électrochoc dans ma tête, quand il a commencé à devenir bizarre, il restait souvent avec Kader, il en sait peut-être plus. C'est l'une des personnes qui était le plus proche de Hassan, il m'apprendra sûrement de nouvelles choses.

Je descend de ma voiture et rabaisse mon pull nerveusement. Je soupire un bon coup et avance vers la grande tour qui s'élève devant mes yeux. Je marche vers celle-ci et me renseigne auprès des jeunes du quartier pour savoir où est-ce qu'un dénommé Kader vit.

J'apprend finalement qu'il habite au sixième, porte 343 du bloc C. Je monte les escaliers et frappe trois fois à la porte. Elle finit par s'ouvrir sur une femme, un peu ridé portant un voile de couleur bordeaux.

-As salam-aleykûm, dis-je en souriant timidement

-Wa aleykûm salam, dit-elle en souriant, tu cherche quelqu'un ?

-Euh...oui en fait je...j'aimerais parler à Kader, on m'a dit qu'il habite ici.

Son magnifique sourire qui ornait son visage se referme instantanément après ma phrase.

-Il est pas là.

-Il est où ?

-Désolé.

Elle tente de refermer la porte mais mon pied vient soudainement s'interposer.

-Vous comprenez pas c'est vraiment urgent.

Elle plonge son regard dans le mien et finit par m'accueillir dans sa maison, voyant ma détresse. Je la remercie et rentre dans le salon. Elle s'abstente quelques minutes avant de revenir un plateau dans les mains avec du thé et des gâteaux arabes.

Elle prend place à ma droite et me donne une tasse de thé.

-Merci.

-Alors, tu cherche Kader ?

-Oui je voudrais lui parler c'est urgent. Mon mari a disparu et je pense qu'il sait quelque chose.

-Mon fils c'est...vraiment quelqu'un de bien. Il m'a toujours aidé et il a travaillé dur pour que je ne manque de rien. J'ai des problèmes de dos qui m'empêchent de travailler. Mais bon..il est partit.

-Il n'est plus là ?

-Non, depuis quelques mois.

Elle me semblait louche cette histoire, la manière dont elle avait de glorifier son fils comme pour le dédouaner de quelque chose alors que je n'avais encore rien dis. Et puis elle me dit qu'il est partit depuis quelques mois, ça pourrait coordonner avec le départ de Hassan.

Elle regarde la photo qui se trouve derrière moi. Elle avait les larmes aux bord des yeux, elle était nostalgique. Je me retourne et observe cette photo.

-Lui, c'est Hassan !

Je pointe du doigt l'homme qui se trouve à côté de Kader. Sur cette photo, ils devaient avoir 17 ans je dirais. Ils avaient une tenue de foot et portaient une coupe dans les mains. Ils souriaient radieusement.

-Oui c'est mon neuveu.

-Kader et lui sont cousins ?

-Oui...mais qui es tu ?

-Je suis la femme de Hassan, écoutez...il faut que je sache où est-ce qu'il est.

-Sa femme ? Je...je sais pas il est partit avec Kader je ne sais où.

-Qu'est-ce qu'il vous a dit avant de partir ?

-...

-C'est très important !

-Il m'a dit qu'ils allaient faire ce que Dieu voulait qu'ils fassent.

-Vous pensez qu'ils sont où ?

-Je sais pas écoute je suis désolé de ne pas pouvoir t'aider...

Elle se lève pour que je m'en aille mais je refuse de partir sans avoir de réponses à mes questions. Il faut que je sache où est ma fille et que je la retrouve. Si c'est bien ce que je pense, il faut que je la sorte de cet enfer.

J'attrape ses épaules et l'oblige à me regarder.

-Non non, je sais que vous savez mais vous me le cachez. C'est mon mari ! Il est partit avec ma fille !

-Votre fille ?

-Je veux voir ma fille, dis-je avant que des larmes s'échappent

-...

-Où est-ce qu'ils sont ?

-En Syrie.

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