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Chapitre 3

-hooo… ne bouge pas là où tu es là ! ne tente même pas de bouger !

L’un d’eux se leva et commença à s’approcher doucement d’elle. Paniquée, elle détala et celui-ci se mit à sa poursuite. Elle déboucha sur la rue qui était déjà déserte à cause de l’heure tardive. Elle regarda au-dessus de son épaule et elle le vit qui approchait à grands pas de fauves. Au loin, le bruit d’une moto qui approchait se faisait entendre… elle se mit donc à courir en pleine chaussée en direction de celle-ci. Elle courait aussi rapidement qu’elle le pouvait, jetant de temps à autres un œil au-dessus de son épaule. Grace aux phares de la moto, celle si freina à temps pour ne pas écraser Bonita. L’autre badaud disparut dans les couloirs, laissant Bonita essoufflée, assise à même le sol…

-Bonita ?? qu’est-ce que tu fais dehors à pareille heure ?

Elle leva les yeux et malgré la lumière des phares qui l’aveuglait, elle put conclure qu’il s’agissait d’Ahmadou. Il déploya la béquille de sa moto et descendit pour la relever

-tout va bien ? les gars-là sont mauvais… ils auraient pu te faire du mal !

-oui ça va, merci ! se contenta-t-elle de répondre en débarrassant son pantalon du sable qui s’y était collé.

-mais tu fais quoi dehors à cette heure-ci ?

Bonita craqua et éclata en sanglots, ce qui fit comprendre à Ahmadou qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas…

-je cherchais juste où passer la nuit… c’est tout ! dit-elle en pleurant.

-où passer la nuit ??? monte on quitte d’abord ici…

Il démarra sa moto et tous les deux se mirent en route. Il se gara dans un coin plus éclairé et donc moins dangereux.

-tu as eu des problèmes à la maison ? demanda-t-il.

-oui et je ne veux pas en parler…

-mais peu importe ce qui s’est passé, est ce que c’est mieux de dormir dehors ?

Elle se remit à pleurer en lui racontant ce qui lui était arrivé. Ahmadou fut pris de pitié, au point où il coula lui-même quelques larmes.

-moi je ne suis pas un bohboh (riche), sinon je te payais une chambre d’hôtel. Mais pour t’aider, je peux te proposer de venir dormir chez moi, même si c’est seulement pour la nuit.

-non, je ne te connais même pas ! et je ne veux pas te déranger !

-si je voulais te faire du mal, c’est que je l’ai déjà fait ! en plus, tu n’as rien à craindre, tu vas dormir seule puisque je travaille dans la nuit.

Bonita, vu son enfance difficile avait toujours eu du mal à faire confiance aux gens qu’elle ne connait pas. Mais lorsque des situations pareilles vous arrive, il est évident que vous devriez commencer à faire confiance, car seul il ne sera pas évident de sortir la tête de l’eau. En fille intelligente et avisée, elle décida d’accepter la proposition du jeune homme.

-okay, mais juste pour cette nuit hein… je ne veux pas te déranger !

Pour réponse, il démarra sa moto et elle monta… il l’escorta jusque dans son quartier, qui n’était pas loin du sien. Il emprunta une petite allée et déboucha sur une cour qui était située entre plusieurs petites chambres. Il descendit, sortit la clé de sa poche et ouvrit l’une des portes qui étaient devant eux, ensuite il pressa le bouton de l’interrupteur, et une ampoule pendante au niveau du mur illumina la petite chambre.

-je m’excuse pour le désordre hein… je ne t’attendais pas, donc tu vas seulement te battre comme ça !

-merci, c’est pas grave…

Le désordre était vraiment de taille… des assiettes sur le matelas posé à même le sol et enveloppé dans des draps qui avaient connus de meilleurs jours, des fourchettes sur la moquettes, des vêtements sales à même le sol…

-au cas où tu veux uriner, viens je te montre les toilettes…

Il la conduisit dans un couloir où se trouvait une petite porte au fond…

-voilà ça là-bas !

-okay… se contenta-t-elle de répondre.

-bon, moi je vais continuer à travailler… on se voit demain non ?!

-okay Ahmadou, demain ! merci encore !

Il démarra bruyamment sa moto et disparut. Bonita rangea la chambre comme elle put avant de se coucher. Elle pensait tellement aux malheurs qui lui arrivaient qu’elle eu vraiment du mal à fermer les yeux. Elle se réveilla parce qu’on cognait à la porte… sûrement Ahmadou. Elle ouvrit et il entra… il prit place sur un tabouret et se débarrassa de ses chaussures. L’odeur qui y émanait gênait visiblement Bonita, mais elle ne put se résoudre à le manifester, de peur de contrarier son hôte.

-waouhhh… merci d’avoir rangé ma chambre ! mais tu n’aurais pas dû…

-je ne connais pas dormir dans le désordre et la saleté !

-okay ooohh… désolé…

Il lui tendit le plastique qu’il avait en main…

-prends… ce sont les beignets et le haricot. Mets nous ça dans un plat on mange stp !

Bonita se leva et s’empara d’un plat et de deux cuillères sales. Elle sortit et repéra l’unique robinet de la cour où tous les locataires venaient s’abreuver. Ils étaient apparemment tous des débrouillards au même titre qu’Ahmadou. Puisqu’il n’y avait pas de savon, elle rinça convenablement les couverts et alla s’occuper de servir à manger. Elle posa le plat à même le sol et lui tendit une cuillère. Ils se mirent à manger tous les deux…

-et maintenant comment tu vas faire ? demanda-t-il entre deux bouchées de haricot.

-ah je ne sais pas ! peut-être que je vais aller demander pardon à ma tante…

-quoi ? demander pardon ? c’est à elle de te demander pardon actuellement ! après tout ce que tu subis ici ?

-je vais faire comment ? j’ai beau réfléchir mais c’est la seule solution que je vois ! je n’ai pas envie d’abandonner l’école ! j’ai basé tous mes espoirs dessus ! si j’abandonne ça maintenant qu’est ce que je vais devenir ?

-ce sont les vacances non ?!

-oui oui !

-et tu faisais quelle classe ?

-j’étais en terminale, donc j’attends les résultats du BACC…

-aaannnhhh okay… mais moi je trouve qu’au lieu d’aller encore souffrir chez ta tante, tu peux payer toi-même ton école !

-et je vais vivre où ? demanda-t-elle.

-tu peux rester ici, moi ça ne me dérange pas !

-hummm… se contenta-t-elle de répondre.

-ne t’inquiète pas, je ne vais jamais te demander quelque chose… je ne suis ni un pervers, ni un profiteur ! tout ce que je sais c’est que nous sommes liés par les atrocités que nous avons vécu et que j’ai envie vraiment de t’aider !

Il est difficile de savoir si les intentions d’une personne envers nous sont bonnes rien qu’en écoutant ses dires. Parfois, il faut juste faire confiance à ce que nous dicte notre instinct. À l’instant T, l’instinct de Bonita était entrain de lui parler, lui dévoilant Ahmadou comme un garçon gentil qui voulait juste l’aider, sans toutefois profiter d’elle.

-si moi je te raconte les choses que moi j’ai vécu hein… ta part est béta (mieux).

-tu as vécu quoi ? tu peux me raconter… répondit-elle.

-moi j’ai grandi au village, après Bamenda… nous on ne savait même pas trop ce qui se passait, on savait juste que le pays, surtout notre zone était sous tensions. J’étais à la rivière pour puiser de l’eau, en rentrant je vois des hommes armés qui avaient entouré notre maison. Mon père, ma mère, mes sœurs, ils étaient à genoux sur la cour. On les a tué devant moi…

-vraiment désolé Ahmadou…

Le récit d’Ahmadou était tellement atroce que Bonita avait lâché quelques larmes. Au final, lui aussi était un martyr, souffrant pour des raisons qu’il ignorait lui-même.

-et tu es venu directement ici ? demanda-t-elle.

-oui, un ami de mon père qui fuyait avec sa famille m’a amené. On a vécu tous dans une petite chambre durant des mois. La chance que j’ai eu c’est que je savais faire la moto. J’ai eu les petits lancements jusqu’à aujourd’hui… c’est vrai que je n’ai pas encore de moto à moi, mais ça va venir. Pour le moment je peux au moins payer mon loyer et manger sans déranger personne !

-vraiment désolée Ahmadou… c’est très difficile ce que tu vis ! mais ça va aller…

-tu comprends pourquoi je dis que c’est mieux que tu restes ici non ?! sauf si tes papiers sont chez elle…

-non, mon acte et mon probatoire sont encore au lycée…

Il déposa la cuillère à même le sol et se coucha, sans même se débarrasser de ses vêtements avec lesquels il avait bossé toute la nuit.

-tout cas, c’est à toi de décider… moi je t’ai dit ! si ça t’intéresse tu restes, tu es la bienvenue ici. Dit-il finalement avant de fermer les yeux.

Bonita avait vécu tellement de déboires dans sa vie que parfois elle avait du mal à croire qu’il existe des gens qui peuvent te venir en aide sans intérêt. Elle observa son hôte dormir et ronfler… elle décida de rester jusqu’à ce qu’elle trouve meilleure solution.

Pendant qu’il dormait, elle alla puiser de l’eau pour laver quelques draps et nettoyer sa chaussure avec laquelle il travaillait. Elle rangea ensuite la chambre, balaya la moquette et lava tout ce qu’il y avait comme assiettes sales. Si elle devait rester unpeu avec lui, c’était l’occasion de montrer son intéressement et sa bonne foi. Lorsqu’il se réveilla dans l’après-midi, il était étonné…

-quand je vois le travail que tu as abattu ici pendant que je dormais, ça veut dire que tu vas rester ? demanda-t-il.

-oui, je reste pour le moment… en attendant de trouver une autre solution, parce que je ne veux pas t’encombrer…

-tu sais que tu ne m’encombres pas ! en tout cas je suis content que tu restes unpeu avec moi…

Il se leva et commença à porter ses chaussures…

-et tu vas où ? demanda-t-elle.

-je vais où comment ? je vais travailler non ?!

-hummm… tu ne te laves pas ? je t’ai laissé l’eau dehors. Et pourquoi tu ne changes pas tes habits ci ? c’est les mêmes avec lesquels tu as travaillé hier.

-je n’ai pas eu le temps de laver d’autres habits…

-mais va quand même te laver stp !

Pour ne pas la contrarier, il s’empara du seau et d’une serviette dont la couleur avait tourné et il se rendit aux toilettes sans discuter. Il se lava et sortit en lui laissant une pièce de 500fcfa.

-si je rentre tard et que tu as faim, tu achètes quelque chose pour manger !

-okay… merci beaucoup !

Ahmadou ne rentra que le lendemain matin… il avait travaillé toute la nuit. Comme la veille, il avait amené de quoi manger.

-Bonita… il parait que les résultats de votre examen sont dehors…

Avant son contentieux avec sa tante, des rumeurs couraient déjà que les résultats étaient dehors, mais elles s’avéraient fausses à chacune de ces fois. Mais cette fois ci, Ahmadou en avait l’air sûr…

-ah bon ? qui t’a dit ? demanda-t-elle.

-j’ai déposé deux gars là bas ce matin et je suis même entré… apparemment on va lire !

Le cœur de Bonita se mit à battre la chamade, au point où elle n’avait même plus d’appetit. Elle avait tellement bossé pour cet examen et elle espérait de tout cœur l’avoir.

-finis de manger et on va là-bas ! Conclu Ahmadou.

Bonita ne tenait même plus debout, elle faisait des aller-retour dans la chambre, cogitant aux épreuves qu’elle avait passé, si elle n’avait pas fait d’erreurs ou non… Finalement, ils se mirent en route. Une fois au lycée, Ahmadou la laissa…

-moi je ne vais pas entrer hein… va tu écoutes… peu importe le résultat tu viens me dire !

-okay…

Bonita tremblait comme une feuille, apeurée par ce qu’elle allait ou pas entendre. Effectivement, il s’agissait d’une proclamation solennelle. Elle crut rêver lorsqu’on prononça son nom. Elle sauta en même temps que certains de ses camarades de classes. Après la proclamation, on afficha les listes et elle alla encore lire pour s’assurer qu’elle n’avait pas rêvé. Elle coula une larme en mémoire de sa grand-mère… "Grand-mère j’ai réussi, je l’ai eu cet examen !"

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