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La consultation

Le chemin du retour vers Bourbon l’Archambault sembla durer une éternité. Je regardai par la fenêtre. Karl, l’étrange marquis était toujours présent dans mon esprit. Il était si mystérieux, si agaçant mais aussi tellement attirant et séduisant. Une force invisible me poussait irrémédiablement vers lui comme si je le connaissais depuis toujours. Je ne savais pas comment décrire mon état psychique et physique à cet instant ou en sa présence. Mon corps réagissait avec une telle violence que c’en était perturbant.

— Alors, on dirait qu’il t’a fait de l’effet mon Karl, hein ? Carla m’interrompit dans ma rêverie solitaire.

— Hum, hum, on peut dire qu’il sait se faire remarquer, répondis-je en me raclant la gorge.

— J’ai pensé qu’un petit coup de pouce du destin pourrait t’éviter de finir vieille fille, s’exclama-t-elle en riant.

— Oh, quel honneur, mais je te rassure, il n’est pas du tout mon genre ! toute cette arrogance, il a un égo démesuré celui-là !

— Justement, c’est bon signe, si tu réagis ainsi c’est qu’il t’attire, hihi ! franchement vous êtes bien assortis, lui le beau Marquis insolant, parfois associable et seul dans son château et toi la jeune fille pure et vertueuse. J’attends de voir ce que ça va donner entre vous deux ! ça va faire des étincelles, c’est obligé.

— ça ne donnera rien du tout, il m’a déjà dit qu’il serait absent la plupart du temps !

— Demain, je t’emmène voir ma voyante, Madame Dahlia, elle est très forte et toute la noblesse Bourbonnaise va la consulter. On va voir ces prédictions pour ton avenir.

— Quoi ? mais t’es cinglée ! tu sais bien que je crois pas ces charlatans !

— Mais non, tu verras elle est géniale, tu changeras d’avis ! insista-t-elle. Carla avait ce pouvoir de convaincre les gens, c’est pour cela qu’elle exerçait la profession de commerciale. Ce métier lui allait comme un gant. Le lendemain, Carla me réveilla vers huit heures. Je savais qu’elle ne me lâcherait pas et mettrait son projet de consultation de voyance à exécution. Nous étions colocataires dans un appartement à Bourbon l’Archambault près des thermes. La voyante résidait à Hérisson, charmant petit village médiéval doté d’une forteresse du XIIe siècle surplombant l’Aumance qui serpente non loin. « Petite et bien troussée... environnée de portes et hautes murailles hors d'échelle et garnie de tours bien flanquées » : voilà comment le Duc Louis II décrivait la ville au XIVe siècle.

Carla gara la voiture sur la place non loin de l’Hôtel de ville et nous continuâmes à pied jusqu’à la rue Gambetta, la voyante habitait une maison en face de la supérette. Carla sonna à la porte et une dame d’environ soixante-cinq ans ouvrit :

— Ah ma chère petite Carla, je suis tellement contente de te revoir ! s’écria la femme en prenant mon amie dans ses bras et en la serrant très fort. Elle portait une robe blouse rose poudré un peu comme en portait ma grand-mère autrefois. Elle avait les cheveux noués en chignon et sentait l’eau de Cologne.

— Allez-y, entrez mes chères petites. Vous devez être Eva ?

— Oui, c’est bien moi enchantée, madame.

L’entrée était lumineuse, elle donnait sur un long couloir et il y avait un escalier en bois et fer forgé magnifique. Dans l’air, il y avait un mélange d’odeurs de renfermé et d’encens.

Elle s’engagea dans l’escalier et nous la suivîmes. Les marches grinçaient à chacun de nos pas et cela me rappelait la maison de ma grand-mère à Aubusson, dans la Creuse. Nous arrivâmes dans la salle à manger à la décoration années cinquante. Il y avait une grande table avec une nappe fuchsia en velours avec des jeux de cartes déposés, prêts à l’emploi, ainsi qu’un pendule avec un cristal de roche et une bougie ronde blanche. Elle s’installa et commença à battre les cartes divinatoires énergiquement, Carla et moi prirent place en face d’elle.

— La consultation d’aujourd’hui est pour mon amie Eva, déclara Carla avec assurance.

La voyante fit deux petits tas de cartes qu’elle déposa devant elle.

— Prenez quatre cartes de la main gauche en pensant à votre question, s’il vous plait mademoiselle et donnez-les-moi ensuite. Elle était très concentrée.

— Une question ?

— J’aimerais savoir quel serait mon avenir à la fois professionnel et sentimental, s’il vous plaît.

Elle posa les cartes sur la table en formant une croix.

— Nous allons faire le tirage en croix expliqua-t-elle en me regardant droit dans les yeux. Son regard me transperça tellement il était intense, comme si elle essayait de lire dans mes pensées.

Elle retournait les cartes à présent et commença l’interprétation mais son visage prit une expression d’étonnement, elle se gratta le menton comme si elle réfléchissait et que le tirage lui posait problème. Une des cartes représentait un personnage décharné, c’était terrifiant.

— Ne vous inquiétez pas, c’est l’arcane sans nom et il est à l’endroit. Cela signifie que bientôt vous connaitrez un bouleversement, un deuil ou une fin de cycle. Votre vie va changer, c’est certain. Ici, il y a l’amoureux. Elle pointait son doigt dessus.

— Ah, je le savais ! cria Carla en sautant sur sa chaise. Je levai les yeux au ciel.

— Attention, cet homme représente un danger, il y aura des sacrifices à faire. Ici c’est l’arcane du Diable, à l’envers cela implique une atmosphère de mensonges, de manipulation mais c’est encore flou, je n’ai pas de vision précise. Mais il est clair que cet homme que vous avez rencontré récemment a une part en lui très sombre. Elle tapotait nerveusement sur la carte.

En observant cette lame, on découvre le Diable sur un socle ; proches de lui, deux diablotins tirent sur une corde pour le soulever.

— Cette situation nous amène à penser qu’il y a une forme de manipulation, de soumission psychique et physique.

— Oui, ça je l’ai remarqué ajoutai-je.

La voyante reprit la parole :

— Je suis sérieuse, je vous recommande la plus grande prudence avec cet homme.

Ici, vous avez tiré la roue de la fortune. C’est le dixième arcane majeure du tarot de Marseille, il est représenté par un chien, un sphinx et un petit singe. Cette carte annonce une transformation positive dans la vie. La notion du mouvement symbolise et annonce que certaines parties de vie peuvent connaitre des changements importants et transformateurs. Vous allez prendre un nouveau chemin de vie, et sentimentalement et professionnellement, il y a du dynamisme mais il faudra apprendre à vivre différemment. Je vois un grand bouleversement dans votre vie.

— Oui, ça vous l’avez déjà dit, insistai-je. Entendu, merci pour ces avertissements.

— Vous semblez prendre mes recommandations à la légère mademoiselle, répliqua-t-elle.

— Je verrai bien et puis l’avenir est toujours en mouvement, merci je ferai attention, répondis-je sans vraiment y croire.

La consultation était terminée, je payai la voyante cinquante euros, elle voulut me proposer une protection spirituelle mais je refusai. Je voulais quitter cette maison, ces révélations m’avaient bouleversée. Sur la route du retour, j’étais silencieuse alors que Carla était excitée comme une puce.

— Whaou, j’en reviens pas, quel tirage ! c’était top, je suis contente pour toi ma belle.

— Oui, enfin y’a pas que du bon, elle m’a mise en garde contre Karl et l’a répété souvent. Il représente un danger et elle a bien insisté. Je ne sais pas trop quoi penser de tout ça.

— Les beaux gosses représentent toujours un danger ma belle, ils sont tentants comme de bons gâteaux au chocolat. Ne réfléchis pas trop, laisse les choses se faire.

En arrivant en bas de l’immeuble rue des Thermes, Carla ouvrit la boîte aux lettres, il y avait une belle enveloppe en papier vélin jaune paille avec des armoiries. Elle se dépêcha d’ouvrir la lettre énergiquement

— Oh trop génial ! Karl nous invite samedi à une soirée au château ! il a une boîte d’enfer dans les caves voutées au sous-sol ! tu verras c’est trop bien. Elle me tendit le carton d’invitation :

Vous êtes cordialement invitées au château de Levis le samedi 12 juillet.

Mot de passe pour l’entrée : « voluptatem »

Mademoiselle Eva …. devra prendre avec elle ses effets personnels pour le séjour qu’elle a remporté au gala de charité.

Dans l’attente de vous recevoir en ma demeure,

Amicalement,

Karl-Louis, Marquis de Poligny.

— Tu as vu le mot de passe ? remarquai-je en me tournant vers Carla.

— Quoi ?

— « Voluptatem » ça veut dire « plaisir » en latin.

— Et alors, tu vas pas être choquée pour ça ? il faut vraiment te décoincer un peu, on est pas au couvent ma belle, répondit-elle en riant.

J’acceptai à contre-cœur mais ma petite voix intérieure me disait que j’allais le regretter.

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