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Charlie Blues: Badass Boy
Charlie Blues: Badass Boy
Auteur: Frédéric Zumbiehl

PROLOGUE

Aéroport de Montpellier, lundi 20 mai.

Le carillon de la porte d’entrée tinta. Un homme d’environ cinquante ans entra, très grand, très mince, un visage en lame de couteau avec une mèche de cheveux blancs rabattus sur le front façon Adolf Hitler albinos, une paire d’yeux bleu métal dont l’intensité n’avait rien à envier à celle d’un rayon laser, un nez en bec d’aigle surmontant une moustache tombante à la Hulk Hogan, blanche elle aussi. Il était entièrement vêtu de jeans des pieds à la tête – veste, chemise, pantalon – avec une grosse boucle de ceinture en métal. Enfin, pour les pieds, non, c’était plutôt une paire de santiags.

On dit que la première impression est souvent la bonne. Je crois bien que cet adage n’a jamais été aussi vrai depuis qu’il a été inventé.

Ma première idée fut de me cacher sous le bureau sur lequel j’avais négligemment jeté mes jambes dans l’attitude nonchalante de décontraction naturelle qui est généralement la mienne, surtout quand je m’accorde une sieste.

Trop tard.

Malgré la pénombre propice à mon sommeil d’après-déjeuner qui régnait dans le bureau, les lasers m’avaient repéré en moins d’un dixième de seconde et cloué au fond du vieux fauteuil de cuir avachi tel un papillon sur la planche d’un entomologiste.

Si madame Irma avait été là, sa boule de cristal aurait sûrement explosé sous la pression de la montagne d’emmerdes que l’homme promettait dans un futur proche. Tel un sinistre prédicateur pronostiquant une Apocalypse imminente, il darda sur moi un long doigt crochu et je sentis les pores de mon dos s’ouvrir afin de tenter de m’incruster un peu plus dans le cuir du fauteuil.

– Êtes-vous Charlie Blues ?

Une voix basse, râpeuse comme une vieille lime rouillée. Si les boas constrictors parlaient, ils auraient sûrement cette voix-là. Un détail me retint toutefois de lui dire que, non je n’étais absolument pas ce mec, que je ne le connaissais même pas, qu’en fait, j’étais là par le plus grand des hasards : un deuxième homme avait profité de l’intermède pour entrer, immédiatement suivi de sa réplique exacte. J’étais en train de réfléchir au fait que le clonage était devenu à mon insu une réalité scientifique incontournable de notre siècle décadent, lorsque l’idée qu’ils étaient peut-être jumeaux me traversa l’esprit à la vitesse de l’éclair.

Les Brothers avaient dû baisser la tête pour entrer et, maintenant, ils se dépliaient de part et d’autre de l’homme à la voix reptilienne, larges, hauts, immenses, menaçants.

Une idée folle s’imprima dans mon esprit : ils étaient grecs et s’appelaient « de Rhodes », « Colosses de Rhodes ». Et puis non, les Grecs étaient plutôt bruns et bronzés, eux étaient blancs et blonds, coiffés en brosse, genre Dolph Lundgren en plus grands, plus baraqués, plus méchants.

Le tableau que j’avais maintenant sous les yeux imposa une autre idée à mon cerveau survolté. Adolf encadré par deux géants aryens : le 4ème Reich était dans mon bureau.

Pas question de mentir à ces mecs-là. Je tentai de répondre de manière dégagée, mais ma voix coassa lamentablement.

– C’est moi…

Un éclair de satisfaction alluma la prunelle des jumeaux, une jouissance de prédateurs habitués à voir la peur s’insinuer partout où ils passaient. Le reptile reprit de sa voix grave où je décelai maintenant une pointe d’accent russe.

– Vous connaissez l’Afghanistan ?

Putain, ça commençait bien ! Y’a deux, trois endroits sympas dans le monde où je rêve d’aller, des pays en « an », genre Soudan, Iran ou Afghanistan, des chouettes coins à la réputation bien pépère.

– Heu… non, pas vraiment ; pourquoi ? fis-je de mon air le plus candide.

– J’ai vu votre annonce sur le Web.

Sans blague ? Et depuis quand le chef de la mafia moscovite – c’est du moins l’opinion que je m’étais faite depuis que j’avais remarqué son accent slave – recrutait via Internet ?

Y’avait quelque chose qui ne collait pas, un truc qui m’échappait grave.

– Vous vous vantez de pouvoir transporter n’importe quoi, n’importe où dans le monde et, cela, n’importe quand, c’est bien ça ?

Putain d’annonce ! Une idée de mon associé. On ne lâche pas un truc comme ça dans la nature, y’a toujours un dingue pour vous prendre au mot. Je savais bien que ça nous apporterait des emmerdes un jour ou l’autre. Je tentai de temporiser.

– Heu… vanter, c’est un bien grand mot ! Je dirais plutôt qu’on émettait la possibilité de le faire.

– J’ai une proposition à vous faire, une proposition très bien rémunérée.

Ah ! c’est marrant, dès qu’on parle pognon, je respire mieux. Il faut dire que les quatre premiers trimestres de l’année, question finances, avaient été catastrophiques et qu’on fonçait droit vers le dépôt de bilan. Je posai mes pieds au sol, réfrénai mon intuition qui me hurlait de simuler soudainement une crise d’appendicite aiguë et désignai d’un geste vif et professionnel, le canapé jaune défraîchi qui se trouvait face à mon bureau.

– Asseyez-vous, je vous en prie.

Le parrain ne daigna même pas accorder un regard à l’infâme divan ; il jeta une grande enveloppe de papier kraft sur le bureau.

– Tout est là-dedans. Appelez au numéro indiqué pour confirmer votre accord.

Sur ces derniers mots sans réplique, il se retourna et sortit, suivi de ses sbires, dont l’un me gratifia au passage d’une œillade à glacer « Mister Miko » en personne.

Jeu, set et match ! La balle était dans mon camp, une balle qui, comme j’allais bientôt le découvrir, ressemblait plutôt à une grenade dégoupillée.

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