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Chapitre 2 / Partie 1

« Je pense être infaillible mais je ne fais que subir » — Jaelly LaRose.

        Je rentre dans mon quarante-cinq mètre carré, dépitée. Je balance mes affaires au sol, et me jette sur le canapé pour me réchauffer sous mon plaid. Charlotte, ma colocataire mais aussi ma meilleure amie, me remarque.

— T'as quoi, ma belle ? Merde ! C'est quoi ces yeux bouffis ?!

— J'ai plus de boulot, lâché-je les yeux larmoyants, donc j'ai plus d'avenir !

— Mais noon ! Qu'est-ce-que tu dis là ? T'as le service demain matin, donc dors tôt, poulette !

Charlotte, cette gourmande, commence à se retourner pour s'éclipser dans la cuisine. Je soupire, agacée, et lui balance un coussin pour l'interpeler de nouveau.

— Poulette ! s'écrie-t-elle, t'as quoi là ? C'est-

— JE N'AI PLUS DE TRAVAIL ! JOCELYNE M'A DÉGAGÉE !

J'ai l'air d'une hystérique. Cette journée est bien merdique.

Les sourcils blonds de Charlotte décrivent enfin la désolation que j'attendais. Elle s'approche de moi, et me blottit dans ses bras chaleureux. Je hume son odeur de violette avec un sourire rassuré, et la serre à mon tour. Je l'aime tant, c'est ma sœur de cœur, celle en qui j'ai le plus confiance... elle ne me trahira jamais, j'en suis persuadée. Jamais.

Elle m'intime de tout lui dire, et c'est ce que je fais. Au fond de moi, la déception me remplit petit à petit. Rien ne me réussit, suis-je une femme maudite ? Je sens les traits de mon visage s'affaisser, mon cœur s'abreuver d'amertume, et mes épaules se voûtent. Depuis la mort de Denver, mon ex, mon âme est couverte de bleus, mon regard est éteint la plupart du temps et mes pensées baignent dans la tristesse. Son suicide en prison a entraîné ma joie de vivre avec.

— Euh... oublie ce qui s'est passé, poulette. Détends-toi un coup, et puis t'façon cette Jocelyne était ringarde et totalement relou !

— Charlotte... soupiré-je, en me massant les tempes.

— Non mais c'est vrai quoi ! Elle cassait les pieds !

— Peut-être, mais elle m'aidait à payer mes études, Charli'... tu sais, le policier m'a informée que ces gens font partie d'un réseau de drogue, et qu'ils cherchaient quelque chose en particulier, peut-être de l'argent, je ne sais pas. Je... je ne comprends rien, nous ne sommes pas les plus riches, il y avait un Starbucks à côté ! désespéré-je, passant mes mains dans mes cheveux bruns.

Je relève la tête, et croise les bras attendant son avis. Curieusement, son regard plonge dans le vide, comme si quelque chose la préoccupe. J'arque un sourcil, peut-être qu'elle est plus bouleversée que moi. Charlotte commence à se contorsionner les doigts. Je l'observe en train de réajuster son coussin de manière saccadée et nerveuse.

— Comme je t'ai dit : oublie. C'est mieux pour tous, finit-elle par dire en me fixant.

— Comment ça pour tous ? Charli'... Quelque chose ne va pas ?

— Non, non, rien. Je parlais de... euh, pour toi et euh... pour ton ex-patronne. Enfin moi je pense que tu devrais sortir un peu et te sortir ça de la tête, tu verras les opportunités pendre sous ton nez.

Voilà la Charlotte que je connais ; elle voudra me pousser à sortir me vider la tête lorsque je suis d'humeur morose. Cependant, quelque chose m'échappe ; sa façon de se comporter me chiffonne. Je la connais depuis très longtemps, pourtant je ne parviens pas à discerner ce qui la met tant mal à l'aise.

— T'as raison, je sors dépenser mon fric ce soir.

Un sourire illumine enfin son visage aux traits durs mais charismatiques, je m'en réjouis. Néanmoins, mes pensées n'arrivent pas à oublier cette image étrange de mon amie. Si elle a passé une mauvaise journée, c'est toujours la première à s'en plaindre... mais si ce n'est pas le cas, pourquoi elle ne m'en parle pas ? Je me lève et me rends d'un pas hésitant vers ma chambre.

— Tout va bien, Charlotte ?

— Oui, tout va très bien.

Je ne la crois toujours pas.

***

Grâce à quelques coupes fraîches de champagne, je marche avec assurance dans les rues vêtue d'une robe satin de couleur crème, et d'une paire de talons Opyum de Yves Saint-Laurent noire, offerte par Charlotte l'an dernier. Je porte cette tenue fièrement avec une pochette, les doigts ornés de bagues, le cou habillé d'un collier de couleur or. Mes épaules sont couvertes d'un manteau de fourrure blanche acheté à une bonne friperie du coin et mon visage est maquillé de couleurs chaudes et glamours : un style digne d'une Fashion Week.

Je sais que je suis une belle femme, je ne nie jamais le travail de mes parents. Mon corps mince et ma peau hâlée me conviennent amplement. Toutefois, je continue de démarquer ma beauté uniquement pour les occasions où je célèbre la liberté d'être moi-même, et c'est rare. Il y a trois ans, ce n'était pas le cas ; je suivais les dernières tendances make-up et vestimentaires pour plaire, l'extravagance était mon truc.

Foulant mes pieds sur le tapis rouge du 71Above, je commence à pianoter sur mon smartphone. Je vérifie si ma carte bancaire est bien active sur Apple Pay.

— Mademoiselle ? m'interpelle une voix masculine mature, avez-vous une réservation ?

— Euh... excusez-moi, on doit réserver avant de venir ? Ce n'était pas le cas avant...

Ça fait trop longtemps que je ne suis pas revenue ici... quelle honte ! La honte totale !

— Bien sûr que oui mademoiselle, nous ne sommes pas à McDonald's voyons, je vois que vous n'avez pas l'habitude de venir dans de tels endroits. Allons, je vous propose de rentrer chez vous et de revenir dans trois mois pour la réservation, ricane l'hôte d'accueil, en mettant sa main dissimulée sous un gant blanc devant sa bouche.

Ma mâchoire se contracte et je sens une chaleur envahir mon corps. Mes mains se transforment en poings. Cet homme mal-élevé, a bien parlé fort pour attirer l'attention des clients qui attendent derrière moi. Quelle honte... mais je veux le remettre à sa place.

— Je ne vous permets pas de-

— Nous avons réservé une table pour deux sur la grande terrasse pour vingt-et-une heure, et vous êtes en retard sur vos passages de réservations, débarque une voix mielleuse enrobée de velours.

Mes doigts se libèrent, et mes membres se rafraîchissent par la brise du soir : je lâche prise. Au même moment, je suis étonnée : mon sauveur s'avère être un très bel homme élancé et de type caucasien. Je scanne son magnifique smoking d'une traite. Il me regarde à son tour en affichant un sourire franc. Des frissons viennent saisir mon échine. Mon cœur semble être dans des montagnes russes, mais je joue le jeu... du moins, je tente.

— Désolé de t'avoir fait attendre, je vais me rattraper ce soir, dit-il en plaçant sa main sur mon épaule.

L'opportunité de manger un très bon repas comme convenu, est bien, mais le partager avec un serviable gentleman, c'est merveilleux !

— Ah ! Euh... Monsieur King vous mangez ce soir avec cette... enfin vous avez réservé pour-

— Je peux avoir ma table ? s'impatiente-t-il, en tapotant du pied.

— Bien sûr monsieur King, navré de ce désagrément. Tenez, voici la clé pour la terrasse.

Il lui arrache des mains, et m'entraîne vers l'ascenseur. À l'intérieur, il appuie sur le dernier nombre.

— Euh, excusez-moi pour-

— Désolé de t'avoir pris de cette manière, je ne voulais pas que tu aies honte devant ces gens en te faisant recaler... avoue-t-il en se tournant vers moi.

Ses yeux sombres me font frissonner. Qu'est-ce-que c'est encore ? J'ai l'impression que mes jambes peuvent me lâcher à tout moment s'il continue de me regarder de cette manière.

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