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2- Le faire rager jusqu'au bout

Avant que le sauvage ne gare correctement, je saute du véhicule et cours à l’intérieur au risque de me blesser.

Je réponds à la cantonade à quelques salutations et file dans le bureau de mon père, dont j’ouvre la porte sans même prendre la peine de toquer.

_ J’exige que tu vires cet abruti. Tout de suite !

Son fauteuil pivote. Il y est assis, le téléphone collé à l’oreille. Son regard noir m’observe une fraction de secondes. Toutefois, il a la décence d’écourter son appel.

_ Quoi encore ? demande-t-il, d’un ton agacé.

_ Je veux que tu me débarrasses de cet abruti !

_ De qui parles-tu avec tant de grossièreté ?

_ Il s’agit de moi, monsieur.

Mes poils se hérissent quand j’entends la voix profonde du sauvage.

Un sourire moqueur étire les lèvres de papa.

_ Je vois. La rencontre ne s’est pas bien déroulée apparemment.

_ Malheureusement non. J’ai dû la porter et la menacer de la bâillonner car elle refusait de me suivre.

Mon père éclate de rire.

Pause. Il rigole là ? Il ose rigoler ? Alors…il est de mèche avec ce connard ? Je fais appel à toute ma bonne volonté pour ne pas m’énerver. Bien que ce soit déjà très mal parti.

_ Je veux te parler papa. Et en privé.

_ Si c’est à propos de la présence de monsieur Lawson ici, il n’y a plus rien à ajouter.

_ Ce gars est entré dans mon lycée, m’a ridiculisé devant tout le monde, m’a traité comme une merde et c’est tout ce que tu as à dire ?

_ Aux grands maux, les grands moyens !

Il se fout de moi. Non ! Ils se foutent tous de moi !

_ C’est du gros n’importe quoi ! Tu ne connais même pas ce fils de pute ! Si ça se trouve c’est peut-être un dangereux psychopathe ou un assassin de première et toi tu…

_ Cheryl ! Contrôle ton langage immédiatement !

Putain ! Ce n’est pas vrai ! Dites-moi que je rêve ?

_ Christian Lawson est ton garde-du-corps à partir d’aujourd’hui. Et il n’y a plus rien à redire. Monte dans ta chambre et prépare-toi pour le dîner de ce soir.

_ Un…dîner ?

_ Ne me dis pas que tu as oublié la réception chez les Dancourt ? Cela fait trois semaines que nous t’en parlons.

_ Tu ne veux donc pas virer cet homme ?

_ Le débat est clos.

_ Très bien papa.

Ses sourcils se froncent face à cette inattendue capitulation. Il me lance un regard suspicieux auquel je réponds à un sourire que je sens mesquin.

Ses sourcils se froncent face à cette inattendue capitulation. Il me lance un regard suspicieux auquel je réponds à un sourire que je sens mesquin.

Le connard se décale de la porte pour que je puisse passer mais je n’en fais rien. Les yeux plantés dans les siens, je parle d’une voix audible, de sorte à ce que mon père puisse très bien m’entendre.

_ Je te ferai regretter de ne pas avoir démissionné abruti. Compte sur moi pour ça.

Sans qu’il ne s’y attende, je le frappe à l’épaule avec mon sac afin de le faire dégager de ma route. Mon père pousse un hurlement mais je m’en fiche. La tête haute, je sors du bureau en traînant les pieds.

_ Je suis désolé, Christian.

_ Ne vous en faites pas monsieur. Je ne me laisserai pas intimider par une gamine.

Le mot « gamine » me heurte de plein fouet. Je ravale les injures qui me viennent aux lèvres.

Je lui ferai payer pour ça aussi.

Patience. Tout vient à point à qui sait attendre.

Je me suis préparée comme ils me l’avaient demandé. J’ai répété durant deux heures de temps la conduite que j’aurai à tenir lors de cette fameuse réception.

J’ai mémorisé les noms des invités les plus importants, une cinquantaine en tout et j’ai aussi retenu toutes les réponses aux susceptibles questions que ces satanés journalistes pourraient me poser.

Debout devant le miroir, j’observe mon reflet sans vraiment le voir. Je porte une robe dos-nu de couleur nude qui me cache les orteils. Mes cheveux sont relevés dans un chignon sophistiqué et la maquilleuse s’est savamment occupé de mon visage.

Je ne peux m’empêcher de penser que ce n’était pas à moi de tenir ce rôle ce soir. Elle était faite pour ça. Mais elle n’est plus là. Et pas un jour ne passe sans que je ne regrette son absence.

« Vous devez aller de l’avant » m’avait dit le docteur Allen.

Aller de l’avant. Comme si c’était aussi simple de tout recommencer à zéro.

_ Cheryl, vos parents vous attendent, me dit Marcella derrière la porte close.

Je prends une profonde inspiration. Allez, c’est bon. Je peux le faire. Après tout, ne suis-je pas une Caldwell ? Faire semblant est notre spécialité !

Des hommes habillés dans des smokings à nœuds papillons rouges font signe à notre chauffeur de s’arrêter quand nous arrivons devant le manoir des Dancourt, sécurisé par deux immenses grilles de couleur grises. On dirait les barreaux d’une prison !

Après avoir contrôlé nos cartes d’invitations, l’un des pingouins presse son index sur la télécommande qu’il tient. Les grilles s’ouvrent sur le manoir de style victorien. Des luminaires distillant une vive lumière blanchâtre illuminent les lieux de mille feux.

Maman se tourne dans ma direction.

_ Tu as bien retenu les noms des invités comme convenu ?

_ Je ne te ferai pas honte si c’est ce que tu veux savoir.

Elle souffle mais ne répond pas. Super ! Je n’ai pas spécialement envie de me disputer avec elle ce soir.

Lorsque je descends du véhicule, j’affiche aussitôt un sourire hypocrite dès que les premiers flashs m’éblouissent.

Mes parents adoptent des pauses stratégiques. Victoria, sublime dans une robe asymétrique noire a la main posée sur mon épaule de sorte à ce qu’on admire sa bague en diamant. Lionel, impeccable dans un costume trois pièces de couleur gris lui tient « amoureusement » la main.

Je n’aurai pas besoin de regarder les photos pour savoir qu’en cet instant, nous sommes dégoulinants de perfection. Une perfection empoisonnée, vulgarisée pour le bonheur de ces consommateurs d’illusion.

Sur ces images, ils envieront Lionel Caldwell, le tout-puissant sénateur. Ils jalouseront Victoria, celle qui dirige l’une des boites les plus prospères du pays. Et ils m’admireront pour avoir des parents aussi brillants. La plus grosse arnaque du siècle !

_ Victoria, Lionel ! Comme je suis heureuse de vous voir ! roucoule une voix mielleuse.

Une femme d’une vingtaine d’années environ aux longs cheveux blonds se dirige vers nous d’un pas théâtral. Un éclatant sourire, beaucoup trop forcé à mon goût, étire ses lèvres couleur framboise.

Ne me dites pas que c’est elle Lady Avery Dancourt ! Pitié.

_ Lady Avery, bonsoir. Merci de nous avoir conviés à cette réception, dit papa d’une voix charmeuse en lui embrassant le dos de la main.

Elle émet une sorte de gloussement d’oie.

De près, elle n’est pas aussi jeune qu’elle n’y paraît. Ses traits tirés au paroxysme grâce à la chirurgie esthétique manquent cruellement d’authenticité. Ce qui est dommage.

Pendant que mes parents babillent joyeusement avec Lady Avery, j’observe du coin de l’œil le sauvage. Il tourne la tête vers moi soudainement, me surprenant en train de l’observer.

Le dégoût me congestionne le visage. Je détourne les yeux souverainement.

_ Suivez-moi. J’ai tenu à ce que vous soyez installé à nos côtés.

_ Vous nous faites trop d’honneur, Lady Avery.

Blablabla. N’importe quoi. C’est quoi toutes ces bêtises ? Et dire que la soirée ne fait que commencer !

Comment vous dire ce que j’ai fait ce soir ? Eh bien en résumé, j’ai passé mon temps à suivre mes parents comme un petit chien.

J’ai la mâchoire douloureuse à force d’avoir souri comme une pauvre conne.

Mais le plus dur ce soir a été de ne pas dépasser ma limite de trois coupes de champagnes. La voix pernicieuse me chuchotait de me noyer dans ces tonnes de coupes si gracieusement offertes, mais non.

Je me suis promis d’arrêter.

Je lui ai promis d’arrêter.

Après des heures interminables de pure torture physique et psychologique, la cérémonie s’achève pour mon plus grand bonheur.

Sitôt dans notre véhicule, je m’empresse de retirer ces foutus talons qui me martyrisaient les pieds. Je soupire de bonheur en me massant les orteils. Franchement, le bonheur ne tient qu’à peu de choses souvent.

Si seulement je pouvais sécher demain… ! Mais non ! Aussi tentante soit cette envie, je n’y succomberai pas. Même si j’avoue que ça aurait été une belle occasion de faire chier mon chien de garde. Mhmm…

_ Je suis en train de construire de solides relations, Victoria.

_ C’est très bien. Tout se met en place sur notre échiquier.

J’enfonce mes écouteurs le plus loin possible au risque de me percer les tympans pour ne plus les entendre.

Se rendent-ils compte à quel point tout ceci est répugnant ?

 Non, je ne pense pas.

S’ils le savaient, ils ne briseraient pas notre famille pour leurs ambitions politiques.

                                                         ***

Evidemment, en arrivant au lycée aujourd’hui, j’ai dû affronter les regards moqueurs de presque tout le monde. Si des vidéos ont été prises, elles n’ont pas été dévoilées. Je suppose que papa a dû passer un appel au directeur.

Toutefois, je ne me laisse pas intimider par cela. Ils peuvent sourire, rire, cela ne me gêne pas. Mais j’attends le connard qui osera venir se marrer en face de moi. Je sens que mes poings ne le rateront pas. On peut compter sur moi pour ça.

Sur notre passage, je capte les regards langoureux que les filles lancent au sauvage. Cela a le don de me faire lever les yeux au ciel. Que des bêtises !

_ C’est lui ton nouveau garde-du-corps ? m’interroge Michael, quand nous quittons le terrain.

_ Ouais.

Mes articulations craquent en cascade lorsque je m’étire. Monsieur Ronald ne nous a pas ménagé ce matin. En plus d’avoir passé une mauvaise nuit, j’ai dû ce matin pratiquer des enchaînements physiques qui m’ont assommée.

Michael passe une main dans ses cheveux, jette un regard derrière son épaule et secoue la tête de gauche à droite.

_ Je ne l’aime pas.

_ Bienvenue au club.

_ Arrête de te foutre de moi, Cheryl.

_ Toi arrête de me saouler avec cet énergumène. Fais pas une fixette sur lui. C’est juste un toutou que mes parents veulent me coller aux basques.

_ N’empêche que ton père est grave parano. Et de tous les gardes du corps qui existent, pourquoi il a fallu qu’il prenne précisément celui-là ?

Un éclat de rire me dispense d’une réponse sanguinaire. Amor qui semble avoir tout entendu, lance un sourire provocateur à Michael.

_ J’en connais un qui est rongé de jalousie.

_ Moi ? Jaloux de ce blanc-bec, tu rêves. Ne raconte pas n’importe quoi Wilson.

_ On se verra après Michael, dis-je, en lui embrassant furtivement la joue.

J’attrape la main d’Amor et file vers les toilettes des filles, bien-sûr, talonné par ce connard de garde-du-corps.

_ Quoi ? Vous comptez jouer aux voyeurs aussi ? lui dis-je sèchement avant de lui claquer la porte au nez.

Les quelques lycéennes présentes me jettent un regard confus avant de tourner la tête et s’habiller en quatrième de vitesse, lorsque je leur aboie de se « mêler de leurs affaires ».

_ Woaw. Cela se voit que tu ne le supportes pas, commente Amor, en enlevant son haut.

_ Tu n’as pas idée à quel point.

_ Ce n’est pas pour t’énerver mais je dois t’avouer que toutes les filles ne parlent que de lui.

_ Vous parlez du sexy garde-du-corps de Cheryl ? demande Aubree, en faisant irruption dans la pièce. Bon sang, ce type est une merveille, une putain de perfection de la nature.

_ Tu me donnes envie de gerber, grommelé-je.

Elle se laisse choir sur une petite banquette.

_ Tu as vu un peu cette carrure puissante ? renchérit-elle. Il est juste à tomber. Je vous jure que si c’était mon employé, il y a longtemps que je lui aurai sauté dessus.

_ Berk ! Comment peux-tu ne serait-ce qu’imaginer une connerie pareille ?

_ Et ses lèvres ! Pfff. Rien qu’à les regarder je pourrais avoir un orgasme.

_ Aubree !

L’exclamation scandalisée d’Amor me fait ricaner. Bon sang, Aubree est juste dingue !

_ Toutes les filles peuvent fantasmer sur lui sauf toi. Je te rappelle que tu es la copine de mon frère !

La concernée roule des yeux et joue avec une mèche de cheveux.

_ Je sais que je suis en couple avec ton frère. Mais cela ne m’empêche pas de complimenter un spécimen rare si j’en vois un.

Et c’est reparti pour une énième dispute entre elles !

J’en peux plus de toute cette agitation autour de ce sauvage. Il n’est même pas si beau que ça ! Ok, son regard est à tuer et il a des muscles de ouf. Et alors ? Il existe des tas de mecs mieux baraqués que ce connard impoli.

_ Quand vous aurez fini de vous crêper le chignon, vous me rejoindrez en classe, leur dis-je, avant de quitter les toilettes avec empressement.

Le reste de la journée a été un véritable marathon. Les professeurs nous ont saoulés avec des exercices comme si l’examen était prévu demain. Pff, je déteste être sous pression.

Quand la sonnerie retentit, je souffle de soulagement. Mes amies et moi nous disons au-revoir et je marche vers la voiture en traînant les pieds. J’étouffe avec peine un bâillement sonore tant je suis épuisée.

Lawson déverrouille la voiture, mais ne prend pas la peine de me tenir la portière comme le tient sa condition. Un vrai sauvage celui-là !

_ Tu attends peut-être que je déroule le tapis rouge avant de poser tes fesses sur le siège ?

Son ton ironique me donne envie de lui couper la tête pour ensuite aller jouer au basket-ball avec.

_ Vous ne m’avez pas ouvert la portière. Vous n’avez pas pris mon sac alors que je suis très fatiguée. Qu’est-ce-que vous attendez pour le faire ?

Un sourire incrédule s’épanouit sur ses lèvres pleines. Une fossette se creuse sur sa joue gauche.

_ Je dois attraper ton sac et te tenir la portière ?

Encore et toujours ce tutoiement déplaisant. C’est d’un pénible !

_ On ne vous a pas appris ça aussi dans votre agence merdique ?

_ Tu peux toujours rêver. A présent, dépêche-toi de foutre ton cul dans cette voiture.

_ Non.

_ Non ? répète-t-il, l’air de ne pas comprendre.

_ Non, je ne compte pas foutre mon cul dans cette voiture. Hors de question.

Ses sourcils se froncent. Ses lèvres se plissent.

_ Monte tout de suite dans cette voiture.

_ Vous pouvez toujours rêver.

_ Ne joue pas à ce jeu avec moi.

_ Sinon quoi ? Vous allez me frapper ? m’attacher ? nous sommes dans un lieu public au cas où vous ne l’aurez pas remarqué. Un seul faux pas et les flics rappliquent. Alors soit vous me tenez la portière comme un serviteur digne de ce nom, soit la voiture et vous pouvez aller voir ailleurs si j’y suis.

Lawson sort de la voiture, les poings serrés. Je recule prudemment, n’ayant pas oublié qu’il peut me porter sur son épaule encore une fois.

La fureur qui luit dans ses prunelles vertes me ravit au plus haut point. Je me délecte de cette expression agacée qu’il tente de dissimuler.

_ Tu as envie de jouer apparemment, eh bien, le toutou que je suis va accéder à ta requête.

Il m’arrache mon sac d’un bond et le balance sur le siège passager avant de claquer la portière.

_ Peut-être qu’un peu d’exercice physique va te remettre les idées en place, me dit-il avant de monter dans la voiture.

_ Eh ! rendez-moi mon sac, dis-je en tambourinant sur la vitre.

_ Viens le chercher, lus-je sur ses lèvres, avant qu’il ne démarre sur des chapeaux de roues.

Oh l’enfoiré !

Me voilà réduite à courir après la caisse en lui intimant de se garer immédiatement.  Le connard me nargue en me permettant d’arriver à son niveau puis enjoigne une distance supplémentaire.

Il se paie ma tête l’abruti.

Il veut se foutre de moi ? Très bien. On verra qui est le plus apte à ce jeu.

Je m’arrête près du trottoir et agite la main pour arrêter un véhicule. S’il pense que je vais continuer à courir comme un chien, il se fout les doigts dans l’œil. Non mais m’a-t-il bien regardé ?

Une petite caisse noire se gare à mon niveau. Une femme certainement d’une trentaine d’années baisse la vitre.

_ Vous allez quelque part mademoiselle ?

_ On vient de me voler mon sac…et je n’ai pas d’argent. Pouvez-vous m’avancer un peu s’il vous plaît ?

_ Montez !

Juste au moment où je saute dans la voiture, Lawson que je n’avais pas vu venir apparaît et ouvre la portière au vol.

_ Descends de là !

_ Démarrez, s’il vous plaît, supplié-je. C’est lui qui m’a volé mon sac.

Elle ne se le fait pas dire deux fois. Je me retiens d’hurler de rire quand le connard me regarde partir sans pouvoir esquisser le moindre geste. Prends ça dans ta face d’abruti.

_ Ça va mademoiselle ? Vous voulez que j’appelle la police ?

_ Non, ce n’est pas la peine. Ce n’est qu’un sac après tout.

Mon téléphone sonne. Je grimace en voyant le numéro de ma mère apparaître sur l’écran. Je ne peux m’empêcher de ricaner en imaginant la tête qu’elle doit faire actuellement.

A bord de cette voiture, des idées toutes plus loufoques les unes que les autres s’entremêlent. Je pourrais m’en aller. Je ferai un retrait d’argent, je prendrai des bus jusqu’à la prochaine ville et je commencerai une nouvelle vie.

Je souris en songeant à cette dernière perspective. Oui, ce serait super. 

Mais je ne veux pas partir comme une voleuse. Je ne veux pas trahir la mémoire de ma sœur. Je lui ai fait une promesse et je compte bien m’y tenir.

_ Vous pouvez me descendre ici.

La conductrice me lance un regard inquiet.

_ Vous êtes sûre ?

_ Oui, ne vous en faites pas. Ma maison n’est pas loin.

Techniquement, c’est un mensonge. Mais, ça, elle n’a pas besoin de le savoir.

Un frisson me lèche la peau quand je descends du véhicule. Ce quartier, je le connais très bien. Je m’y suis baladée les soirs de pleine lune. J’ai écumé pratiquement toutes les boites de nuit qui s’y cachent.

C’est quand-même étonnant que j’y revienne de cette façon.

_ Merci beaucoup, lui dis-je en refermant derrière moi.

Les mains dans les poches, je me balade tranquillement, savourant le fait d’être une inconnue parmi ce flot de passants pressés. C’est vraiment dommage que je n’ai ni mon téléphone ni mes cartes de crédits. J’aurai pu faire du shopping !

Revenir à Downtown Brooklyn me rappelle mes années de déchéance. Le passé que j’essaie d’oublier remonte lentement à la surface.

« Il existe trois sortes de drogues Cheryl. Il y a les perturbateurs, les dépresseurs et les stimulants. Et toi, tu as vachement besoin d’un dépresseur ! »

« Et toi, tu prends quoi ? »

« Cannabis, Héroïne souvent ou alors Cocaïne. Mais tout dépend de mon humeur. Je te conseille pas de les tester ceux-là. Quand on est accroc, on devient grave un zombie ! »

Une main forte s’enroule autour de mon poignet et me tire en arrière. Mon dos heurte un torse musclé. Un parfum masculin m’accueille de plein fouet. Je frémis en sentant mes fesses pressées contre le bassin de celui qui me tient. Lorsque je regarde par-dessus mon épaule, je me sens blêmir en croisant le regard orageux de Lawson.

Je tente de me dégager mais il me ramène contre lui avec plus de fermeté. Certains passants nous jettent des regards anxieux. Je suis sur le point de leur demander de l’aide mais la voix froide du sauvage me coupe dans mon élan.

_ Tu n’as pas intérêt à faire ça.

_ Sinon quoi ?

D’un geste vif, il me fait pivoter pour que je le regarde dans les yeux. Je m’efforce de soutenir son regard noir en dépit du fait qu’il me trouble. Tout comme cette foutue proximité qu’il m’impose.

_ Tu me suis et c’est tout. Sinon je te porte et j’explique à tout le monde que tu as une case en moins. Ce qui n’est pas totalement faux soit dit en passant.

_ Je t’interdis de m’insulter.

Je ne me rends compte que trop tard que je viens de tutoyer cette face de truie. N’importe quoi. Ce connard a vraiment le don de me taper sur le système.

_ On y va, tranche-t-il en m’agrippant le poignet.

_ Je peux marcher ! éructé-je, furieuse qu’il se permette de me toucher sans ma permission.

_ Oui. Et tu peux aussi courir.

Ok… il n’est pas si bête qu’il en a l’air.

Je renonce à mon envie de fuir et le suis docilement jusqu’à la voiture. Contre toute attente, il m’ouvre la portière.

_ Je vois que tu as retenu la leçon, souris-je.

_ Je ne vais pas risquer de te voir détaler comme un lapin. Je n’ai jamais aimé courir après les chiens.

L’injure m’atteint de plein fouet. Mon rythme cardiaque s’accélère. Sans réfléchir, je lui envoie mon poing dans la figure. Il intercepte mon mouvement avec une facilité qui m’écœure.

Un petit sourire s’incurve sur ses lèvres pleines.

_ Tu n’es pas de taille à lutter contre moi. Fourre-toi ça dans le crâne une bonne fois pour toutes.

_ Va te faire foutre enfoiré.

_ Change de disque. J’ai déjà beaucoup trop entendu ce refrain.

Il claque la portière, fais le tour et monte. Cela me fait rager qu’il n’ait pas laissé la clé dans la voiture. Cela m’aurait plu de le laisser moisir ici.

_ Je pense que tes parents ont décidé de ranger cette fameuse chambre à laquelle tu tiens tant. Devine à qui ils vont l’attribuer ?

Mon cœur loupe deux battements. Non. C’est faux.

Il se paie ma tête.

Ils ne vont quand-même pas faire ça…

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