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4- Prendre conscience de sa vulnérabilité

Cheryl ! Tu ne devineras jamais ! »

Elle dévale les escaliers avec hâte, glisse sur la dernière marche mais réussit à se raccrocher à quelque chose.

— Pourquoi tu es aussi excitée Cam' ? »

Elle esquisse un grand sourire. Un grand bonheur illumine son regard méditerranéen.

— Jason m'a enfin proposé de sortir avec lui. »

— Non ? Sérieux ? Jason Bills ?

Elle acquiesce. Comme une toupie, elle tourbillonne en riant et se cache ensuite le visage entre les mains.

— Je suis sur un petit nuage ! Tu sais que je suis amoureuse de lui depuis le collège pas vrai ? »

— Ouais. Et c'est carrément génial. Cela fait des siècles que tu attends ce moment ! »

Sa mine réjouit s'assombrit curieusement. Elle soupire et se laisse tomber dans le sofa.

— Quoi encore ? Pourquoi tu tires cette tronche ? »

— Il m'a invité au restau pour qu'on en parle mieux. Je suis super excitée et...et très angoissée. »

Elle se relève et arpente la pièce de long en large en énonçant toutes sortes d'hypothèses farfelues.

— Hé, Cam' ! Arrête de stresser pour si peu. »

Elle lève les yeux au ciel.

— Pour si peu ? Cela se voit que tu ne sais pas ce que ça fait d'être invité par l'homme de ses rêves. Tu m'aideras pour les vêtements, hein Cheryl ? »

— Oui mais arrête de stresser car tu risques de me faire paniquer aussi. Honnêtement c'est Jason qui devrait craindre de ne pas être à la hauteur. C'est quand-même la première fois qu'il sort avec une fille intelligente. »

Le soulagement s'affiche sur ses traits. Elle esquisse un sourire lumineux.

— Tu es la meilleure petite-sœur du monde, Cheryl. Que serais-je sans toi ? »

— Très bonne question, Cam'. »

CAMILIA.

J'émerge de mon sommeil avec la désagréable sensation d'avoir parcouru un marathon.

La pièce quasi-ténébreuse est plongée dans un silence presque mortuaire. Les battements désordonnés de mon cœur me font grimacer.

Je repousse les draps et vais m'enfermer dans la douche. Le miroir me renvoie l'image d'une fille au teint blanc cireux, aux yeux hagards maquillés de cernes et de mascara.

J'attrape fermement le rebord du lavabo pour ne pas m'écrouler sous la violence des secousses qui font trembler mon corps. J'entrouvre les lèvres, ferme les yeux et me force à respirer normalement. La pièce tangue. Je secoue la tête et me mordille la lèvre pour ne pas perdre le contact avec la réalité. Ne surtout pas s'enfoncer dans les souvenirs. Garder la tête froide.

Les images du corps inerte sur le bitume ensanglanté s'estompent progressivement. Les murmures diffus s'évanouissent.

Le froid morbide qui s'est invité dans la salle de bain me fait frémir. Le goût métallique du sang dans ma bouche m'indique que je me suis blessée à la lèvre. Peu importe. La crise est passée. Je ne me suis pas laissé faire. Je suis restée debout.

Je me brosse vigoureusement pour ôter le goût de rouille de ma bouche. Tout semble indiquer que j'ai frôlée le point de non-retour hier avec ces verres de vins. Pourvu que Lionel Caldwell ne m'ait pas vu dans ce sale état.

Le fait de penser à mon père me fait tiquer. Un instant. Que s'est-il passé exactement hier soir ?

Des flashs interrompus me reviennent. Mais rien de bien solide. Les trous de mémoire sont vraiment énervants !

Mécaniquement, je me débarbouille. Quand je finis, je porte un jogging et un débardeur et quitte ma chambre.

Une bonne odeur de café moulu et de pain frais embaume l'air. Un petit-déjeuner à la française ? J'adhère !

Deux employées me lancent des regards surpris quand je m'assois à leur table à manger. Je peux les comprendre. Je n'entre quasiment pas, pour ne pas dire jamais, dans la cuisine.

Evidemment, inutile de dire que je cuisine comme une merde. Un paradoxe étonnant pour une fille qui aime tant la bonne bouffe.

— Cheryl ! Tu es enfin réveillée. Je m'apprêtais à te porter ton petit-déjeuner au lit.

— Parle moins fort s'il te plaît. J'ai la tête qui veut exploser.

— Les conséquences de l'abus du vin, jeune fille.

— J'étais pas si saoule que ça. Passe-moi un calmant si tu en as, s'il te plaît.

Marcella sort de la cuisine et ramène une plaquette de paracétamol et un verre d'eau plate. Je grimace un sourire en guise de remerciement.

— Maman est rentrée ?

— Non. Je pense qu'elle reviendra la semaine prochaine.

Mes parents et leurs voyages d'affaires. C'est d'un pénible !

Quand maman a fondé CARYL Express, je ne pensais pas qu'en si peu de temps, elle se métamorphoserait à ce point. Nous ne la voyions presque plus. Les week-ends elle s'enfermait dans son bureau pour travailler jusque tard la nuit alors qu'avant, elle passait du temps avec Cam' et moi.

Plus les années ont passées et plus elle est devenue cette femme froide et indifférente que je côtoie à présent.

— Sois compréhensive ma petite chipie. Ta maman traverse une passe très difficile. Elle aura besoin de tout ton amour et de ton soutien » répétait grand-mère quand je me plaignais de son comportement.

Moi je pense plutôt qu'elle n'a jamais voulu faire d'efforts pour s'adoucir.

Oui, c'est vrai qu'elle évolue dans un milieu plutôt sexiste. La société demeure toujours hostile à l'idée qu'une femme puisse détenir plus de pouvoirs qu'un homme.

La femme a toujours été reléguée au second plan. Elle doit faire la cuisine. Elle doit s'occuper des enfants et de son mari. En clair, elle n'a été créée que pour ça.

Et c'est vraiment dommage de voir qu'au vingt-et-unième siècle, des gens continuent de penser que si une femme gravit les échelons dans une société, c'est parce qu'elle couche avec son patron, ou d'autres conneries de ce genre. Comme si la femme n'était pas pourvue d'intelligence au même titre que l'homme.

Aussi influente soit-elle, je sais que ma mère n'est pas à l'abri des regards acérés des conservateurs. Mais cela ne l'excuse pas. Elle aurait pu faire une distinction entre sa fonction de PDG et son rôle de mère.

— Et mon père ? Où est-il ?

— Dans son bureau avec monsieur Patterson. Alors dis-moi, comment s'est passé l'anniversaire de ton petit-ami ? Ça n'a pas été trop électrique entre Christian et lui ?

Je me pétrifie sur place quand elle prononce le nom de mon garde-du-corps.

Instinctivement, je me masse la gorge. Je tressaille au souvenir de ses doigts sur cette partie de ma peau et de son souffle chaud sur mes lèvres entrouvertes.

Il a essayé de m'étrangler.

Ce connard a essayé de me tuer.

— Où est Lawson ?

— Il doit être dans le jardin. Pourquoi ? Il y a un problème ?

Je me rue dans le jardin sans lui répondre. La colère qui boue en moi accentue mon mal de tête. M'étrangler ? Non mais sérieusement ? Pour qui se prend-il ?

Effectivement, je le trouve près du jardinier, Arthur, en train de l'aider à arroser les roses de ma mère. Les deux hommes paraissent avoir une discussion très animée.

Je ralentis malgré moi à la vue du sourire qui éclaire le visage de Lawson. C'est la première fois que je le vois comme ça. Aussi détendu. Sans son éternelle tête de constipée.

Il ne porte qu'un simple tee-shirt et un jeans. Fascinée, j'observe ses muscles se contracter à chaque mouvement qu'il fait. C'est quand-même vrai qu'il a une musculature de dingue...

Lawson tourne soudainement la tête dans ma direction. Son sourire lumineux s'éteint dès que son regard croise le mien. Sans comprendre pourquoi, je me sens blessée...et furieuse.

— Tu veux me voir ? demande-t-il sèchement.

Pas de bonjour. Pas de bien dormi ? C'est plus qu'officiel. Ce type est un rustre.

— Bonjour mademoiselle Caldwell, me salue Arthur, un profond respect vibrant dans la voix.

— Bonjour. Lawson, viens. Il faut qu'on parle.

Mon ton a été beaucoup plus sec que je ne le voulais. Je le sens au regard que me lance le vieil Arthur.

Je ne l'ai pas fait exprès. C'est juste ce connard de Lawson qui me tape sur les nerfs.

D'une démarche nonchalante, le sauvage me rejoint.

— Si c'est pour me présenter des excuses, ce n'est pas la peine.

J'écarquille les yeux, abasourdie.

— Te présenter des excuses ? croassé-je.

Il plonge négligemment les mains dans les poches de son jeans. Ses sourcils se surélèvent. Pourquoi éprouvé-je la sensation qu'il se fout de moi ?

— Ouais, pour ton petit numéro d'hier. Tu t'es vraiment donné un mal de chien pour monter ce scénario. Envoyer ta copine me distraire pour ensuite disparaître avec ton copain. Du grand art, vraiment !

La vidéo ! Je l'avais complètement oubliée.

— Pourquoi m'as-tu étranglée ?

— Parce que tu m'as frappé, répond-il du tac au tac. Tu t'attendais à ce que je t'applaudisse ?

Son ton désinvolte me sidère. Néanmoins, je fais un effort pour ne pas m'emporter. Après tout, j'ai la vidéo en ma possession. Il est temps d'inverser les rôles.

— Je me demande comment réagira mon père en te voyant en train d'embrasser Aubree. Il est temps de commencer à faire ta valise, Lawson ! chantonné-je.

A ma grande surprise, il ne bouge pas. Son regard n'exprime aucune émotion. Lentement, il retire un téléphone de sa poche. Je crois avoir une attaque en réalisant que c'est le mien.

Je m'élance mais il le tient hors de portée. Je me retiens de sauter pour le lui reprendre. Pas question de se ridiculiser encore plus.

— Rends-moi mon portable, sifflé-je, entre mes dents serrées.

— Bien-sûr.

Il me le tend puis alors que je suis sur le point de l'attraper, le jette par terre et le piétine.

Je pousse un cri de rage, qui se meut rapidement en sanglot en voyant mon téléphone tout cabossé.

L'instant de surprise passée, j'hausse les épaules.

— Je peux m'en acheter des dizaines de ce genre.

— Pas si tes parents te coupent les vivres. Je ne pense pas qu'ils te laissent utiliser tes cartes de crédit après avoir appris que tu te sers de leur argent pour boire à leur insu.

— De quoi tu parles ?

— Comment tu penses que ton père réagirait si je lui montrais les photos de tes prouesses d'hier ? Tu crois qu'il...

— Je t'interdis de me faire du chantage, le coupé-je sèchement.

Ses sourcils se froncent. Le pas qu'il fait dans ma direction avale les centimètres qui nous éloignaient l'un de l'autre.

La noirceur de son regard me fait déglutir. Je résiste à ce besoin impérieux de m'éloigner de lui car je refuse de lui céder. Ni aujourd'hui, ni jamais. Il ne me fait pas peur.

— Et pourtant, tu devrais avoir peur de moi, papillon. »

Il m'avait surnommé « papillon » hier soir.

Au lieu de l'ennui que je devrais logiquement ressentir, je suis assaillie par un sentiment inconnu qui fait battre mon cœur plus rapidement.

Etant très proche de lui, je respire son parfum de plein fouet. La délicieuse odeur boisée qui émane de lui menace de me faire chavirer. Putain, Cheryl. Sois pas conne. Qu'est-ce-que tu racontes ?

— Tu n'arrêtes pas de me pousser à bout. Combien on te paie pour jouer à la sale petite connasse ?

— Ne m'insulte pas.

— Sinon quoi ? Tu vas essayer de me gifler et aller gueuler auprès de tes parents en vain ? Te rends-tu comptes que tu exaspères tout le monde avec ton comportement merdique ?

Une claque n'aurait pas eu plus d'effet que ces mots-là. Pourtant, j'esquisse un sourire que je sais provoquant.

— Et c'est qui tout le monde ? Toi ?

— Tes parents en ont marre de toi. Tes amis probablement. Mais ils sont tous beaucoup trop hypocrites pour te le dire.

— Et tu es le bon samaritain qui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas, c'est ça ? Laisse-moi rire. Tu n'es personne pour me dire quoi que ce soit, Lawson. Et je n'ai pas le temps pour écouter ces conneries.

Ses mains échouent sur mon poignet. La pression qu'il exerce est telle, que je me mords la lèvre pour retenir un cri.

— Je t'ordonne de me lâcher immédiatement.

Il ricane.

— Tu n'as pas encore compris que je n'en avais rien à foutre de tes ordres ? Je ne te supporte pas. Tu es tout ce que j'exècre. Et si je te dis tout ça, c'est pour que tu comprennes que ça ne me plaît pas de bosser pour une fille aussi idiote et superficielle.

— Arrête de...

— Si je le pouvais, je plaquerai ce travail et je partirai pour ne plus avoir à supporter tes crises d'hystéries. Mais je n'ai pas le choix. Alors écoute-moi pour la dernière fois.

Ses yeux s'arriment aux miens. Je suis presque congelée par l'éclat meurtrier qui y luit.

— Toi et moi sommes d'accord sur un point, nous ne nous supportons pas. Mais nous allons conclure une trêve à partir d'aujourd'hui.

Je rigole face à son air sérieux.

— Une trêve ? Et qui te dit que j'ai envie que...

— Si tu ne te tiens pas tranquille à partir d'aujourd'hui, je saperai tellement ta réputation aux yeux de tes parents qu'ils n'auront pas d'autre choix que de t'envoyer dans ce fameux camp de redressement dont ils parlent tout le temps.

Un sourire de loup lui étire les lèvres.

— Et figure-toi que mon ami est justement le directeur de celle qui se trouve à Massachussetts.

— Sale connard, soufflé-je, ahurie de ce retournement de situation.

Je n'ai pas peur d'aller dans ce camp. Je ne veux juste pas m'éloigner de cette maison. D'elle tout simplement.

— Alors ? Que décide le petit papillon ?

Je déteste sa façon de me parler. Je déteste son ton condescendant. J'ai envie de lui coller mon poing dans la tronche pour qu'il cesse de faire le malin.

— Va te faire foutre.

— Ce n'est pas la réponse que j'espérais. Vas-tu oui ou non te tenir tranquille à partir d'aujourd'hui ?

— La roue tourne, Lawson. Toujours. N'oublie jamais ça.

La commissure de ses lèvres tremble. Il recule et libère mon membre prisonnier.

— On verra bien papillon.

— Ne m'appelle pas comme ça.

— Tu m'as bien donné de charmants petits surnoms n'est-ce-pas ? J'ai bien le droit de faire pareil !

Aussi douloureux que cela puisse être, je dois le reconnaître. Lawson m'a battu à plate couture. Mais je ne désespère pas. Je sais qu'un jour, il fera une erreur. Une seule.

Et ce jour-là, sera le début de sa fin.

**

Deux semaines infernales venaient de se terminer.

Une semaine durant laquelle les professeurs nous avaient littéralement martyrisés au lycée.

Pour fêter le moment de répit que nous offre le week-end, les filles et moi avons décidé d'aller en virée shopping. L'une de mes activités préférées.

Notre lieu de prédilection reste le TWC, le centre commercial le plus en vogue de New-York. Leurs boutiques y sont absolument su-bli-ssimes.

Je repère rapidement Amor et Aubree à notre table favorite. Elles sirotent un milkshake, focalisées sur leurs téléphones. Sympa l'ambiance. Ne me dites pas qu'Amor n'a toujours pas pardonné à Aubree d'avoir embrassé Lawson !

Le regard brûlant de ce dernier que je sens me brûler le dos, me fait intérieurement grogner. Nous nous sommes violemment disputés à cause du choix de la voiture.

Il exigeait que nous allions en Rolls-Royce alors que moi je voulais absolument la BMW flambant neuve que ma mère a acheté et qu'elle ne semble pas vouloir utiliser.

Selon Ducon, le véhicule n'était pas apte à pouvoir être utilisée parce que la visite technique n'avait pas été faite.

Non mais n'importe quoi. Cette voiture avait été vue et revue plusieurs fois. Quel mal peut-il y avoir à la conduire ? Je crois juste que ce connard s'est trop attaché à l'autre véhicule. Après tout, c'est avec lui qu'il m'en a tellement fait baver.

Mais aujourd'hui c'est moi qui aie eu le dernier mot. Une victoire sans doute insignifiante mais une victoire quand-même.

— Tu en as mis du temps ! me reproche Amor lorsque je lui embrasse la joue. J'en suis à mon quatrième milkshake.

Son tee-shirt à l'effigie de Buffy me fait sourire.

— Je suis désolée. Je m'étais endormie.

— Nous avons finies par comprendre. Tu es venue avec ton ombre, pouffe-t-elle.

Aubree adresse un salut de la main à l'ombre en question. Son sourire est dégoulinant de sensualité et ses yeux pétillent de malice.

Un simple coup d'œil à Amor me permet de constater qu'elle est contrariée. Mince.

— Moi je voudrais bien d'une ombre comme ça Cheryl. Surtout si elle est aussi bien foutue, déclare Aubree, avec un autre sourire lascif.

— C'est vrai qu'il est sexy, renchérit Amor. Toutes les filles en sont dingues au lycée. Et je t'assure que lorsque tu es arrivée avec lui lors de l'anniversaire de Michael, vous étiez vraiment bien assortis.

— Moi Cheryl Caldwell, bien assortie avec Lawson Ducon dégénéré ? T'es tombée sur la tête ou quoi ?

— Je suis sérieuse. Tu ne l'as pas remarqué Aubree ?

— Non. J'étais trop occupée à mater uniquement Christian.

— Pauvre de toi, perssiflé-je.

Une serveuse se dépêche à notre table. Armée de son bloc-notes, elle note hâtivement tout ce que nous commandons.

— Apportez une bière à l'homme là-bas, dit Aubree en lui désignant Lawson du menton.

— Quelle gentillesse, ironise Amor, avec un sourire faux.

— Par cette chaleur, ce serait inhumain de ne pas l'hydrater un peu. T'es pas d'accord Cheryl ?

La pique me fait ciller. Toutefois, je ne réponds pas. Amor semble carrément à cran et moi, je me demande si c'était réellement une bonne idée de demander à Aubree de jouer ce rôle à l'anniversaire de Michael.

La serveuse revient une poignée de minutes plus tard.

— Il dit qu'il ne boit pas mais a tout de même accepté un verre de coca cola zéro, nous explique-t-elle, en disposant nos boissons sur la table.

— Vous lui avez dit que c'est moi qui le lui offre j'espère.

Amor émet un reniflement étrange qu'Aubree feint de ne pas avoir entendu.

— Vous pensez quoi du programme du professeur Collins ? leur demandé-je, pour dissiper la tension qui règne.

L'appétit venant en mangeant, elles finissent par oublier leurs raideurs et participent à la conversation avec entrain. Si bien que nous attaquons LE sujet le plus croustillant : le bal de fin d'année.

— J'ai reçu des invitations un peu partout. J'hésite à présent entre celle de Matthews, celle de Colins et enfin celle de Kent, avoue Amor.

— Matt est un chaud lapin. Il serait capable de te laisser en plan sur la piste de danse pour aller tirer un coup dans les toilettes ; Colins sera un partenaire agréable mais je trouve qu'il est un peu trop coincé. Ça m'étonnerait que vous alliez vous défouler tous les deux sur la piste de danse ; Enfin Kent est sans doute le plus réglo des trois. Il sait s'amuser et surtout je pense qu'il en pince pour toi.

Ses joues s'enflamment aussitôt.

— Tu crois ? minaude-t-elle.

— Evidemment Amor ! répond Aubree. Il a rejeté les demandes de Laurie, de Marinella et de Casey rien que pour toi. Et j'ai bien vu les yeux de merlan frits avec lesquels il t'observe depuis le début de l'année.

Elle rougit de plus belle. Sa mine se renfrogne lorsqu'Aubree et moi éclatons de rire.

— Emilio ne sera pas présent, soupire Aubree. Il a des examens à passer. Je vais donc devoir me trouver un autre cavalier.

— Je ne crois pas qu'il apprécierait.

— Je ne vais quand-même pas rater le dernier bal de ma vie de lycéenne parce qu'il ne peut pas m'accompagner Amor ! grogne Aubree avec un regard assassin.

— Ce n'est pas ce que...

— Si c'est ce que tu voulais dire. A chaque fois que je parle de ton frère, tu t'énerves illico. Tu ne peux pas être objective pour une fois ?

— Parce que je ne le suis pas ?

— Parce que sérieusement tu crois que tu l'es ? Cheryl ! grommelle Aubree en se tournant vers moi. En toute sincérité, tu penses qu'Amor est objective quand il s'agit de ma relation avec Emilio ?

L'expression d'Amor me fait intérieurement soupirer. Cette situation ne doit pas être facile à vivre pour elle.

Son frère en couple avec son amie. Un vrai casse-tête chinois. Surtout en temps de disputes.

— Ce que je pense c'est que nous ne sommes pas venues nous prendre la tête. Vous règlerez cette histoire entre vous plus tard. Allons acheter ces fringues.

— Judas ! lâchent-elles, en chœur.

Néanmoins, ma réponse apporte le calme tant désiré.

Les heures qui suivent, nous les passons à écumer les prestigieux magasins du centre commercial. Nous en oublions jusqu'à la présence de Lawson qui nous suit silencieusement.

Evidemment, en parfait gentleman il ne propose pas de nous aider avec les paquets. Quel mufle !

Nous marquons enfin une halte dans une boutique de lingeries. Nos exclamations émerveillées font sourire les vendeuses, déjà prêtes à nous guider.

L'une d'elle, une métisse aux cheveux nattés, s'avance vers moi. Sur sa carte est écrit le prénom « Amy ».

— Quels sont vos préférences ? me questionne-t-elle.

— J'aime beaucoup les ensembles soutiens-gorges et culottes transparentes.

— Vous êtes chanceuse. Une nouvelle collection de ce genre vient justement de nous être livrée.

J'adore la lingerie sexy. Carrément.

Quand j'avais treize ans, je dévorais déjà les magazines dédiées à la lingerie féminine et je suivais avec intérêt les défilés de Victoria Secret avec Cam'.

Je surprends Lawson effleurer le tissu d'une culotte en dentelles. Ses lèvres se retroussent à demi. Ne me dites pas que c'est le genre à collectionner les culottes de ses conquêtes ?

Le rouge me monte aux joues après m'être posée cette question.

— Les filles ! Je suis amoureuse ! hurle Aubree en sautillant dans notre direction.

Elle brandit fièrement un porte-jarretelles rouge et un string de la même couleur. Putain, ce qu'il est beau ! Je veux le même !

— Wow... c'est...osé, dit Amor, les yeux exorbités.

— C'est parfait tu veux dire.

Aubree se tourne alors vers Lawson.

— Monsieur Lawson ? Comment trouves-tu cette pièce ? Tu penses qu'elle m'ira bien ? ajoute-t-elle en plaquant la lingerie contre son corps.

Amor hoquette de stupeur.

Je n'arrive pas à croire qu'Aubree ait osé... Et depuis quand tutoie-t-elle mon garde-du-corps déjà ?

Lawson l'observe puis hoche la tête.

— Elle t'ira à ravir.

Aubree glousse comme une oie.

— Je me doutais bien que ce serait parfait, susurre-t-elle d'une voix mielleuse.

— On peut continuer ? Sauf bien-sûr si tu n'as pas d'autres affaires à faire admirer à monsieur Lawson ?

— J'en ai d'autres mais ça peut attendre.

Amor souffle, se passe une main sur le visage et bougonne qu'elle va prendre un peu d'air.

— Y'en a marre qu'elle soit si coincée ! ronchonne Aubree, en s'élançant à sa suite.

Ses talons claquent désagréablement sur le sol carrelé.

— Lawson ! A quoi tu joues bordel ? Tu étais obligé de rentrer dans son jeu.

Son faux air innocent me donne des envies de meurtre.

Depuis le début, je fais tout pour chasser cette espèce de tension gênante entre elles et lui, il envoie valdinguer tous mes efforts en flirtant avec Aubree.

— Qu'est-ce-qui ne tourne pas rond chez toi putain ?

— Je ne vois vraiment pas de quoi tu parles. Elle m'a juste posée une question à laquelle j'ai répondue. Ça s'appelle être bien éduqué je crois.

— Te fous pas de moi, clochard. Ton travail consiste à me surveiller. Tu n'as pas le droit de donner un quelconque avis sur les sous-vêtements de mes copines.

— Alors demande à tes copines de s'abstenir de me poser des questions, c'est aussi simple que ça, papillon.

— Je t'ai dit d'arrêter de m'appeler comme ça.

Il secoue la tête de gauche à droite. Un rictus s'ébauche sur ses lèvres.

— Je ne l'ai pas flatté si c'est que tu penses. Je ne lui ai dit que la stricte vérité. Par exemple si toi tu me l'avais demandé, je t'aurai dit en toute honnêteté que sur toi ce porte-jarretelles serait laid.

— Pardon ? éructé-je, au comble de la fureur.

— Tu n'as pas les atouts nécessaires pour porter un truc aussi sexy.

— Mais Aubree oui. C'est ça ?

— Cette question ne se pose pas Cheryl. Il n'y a qu'à vous...

— Ferme ta gueule, je ne veux plus t'entendre.

— La vérité est-elle si dur à entendre ?

Je suis très touchée dans mon amour-propre. Mais je ne vais pas me laisser déstabiliser par ce connard.

— Je suis très heureuse que tu ne me trouves pas à ton goût. Le comble aurait été d'être complimenté par quelqu'un comme toi.

— Si ça peut te consoler de penser ça, alors tant mieux.

— Clochard.

J'amorce de le remettre à sa place, mais l'arrivée de mes amies me stoppe dans mon élan. A leurs mines détendues, je comprends qu'elles se sont réconciliées.

— Cheryl tout va bien ? Tu m'as l'air contrariée, me dit Aubree, les sourcils froncés.

Le sourire que j'ébauche me donne mal à la mâchoire.

— Ça va.

Lawson s'esclaffe mais je n'en tiens pas compte.

Ce type est juste malade. Dans quel trou papa est-il allé le ramasser putain ?

**

Quand sonne dix-neuf heures, les filles et moi quittons le centre commercial, avec des chariots remplis de paquets.

Je pense que maman va piquer une crise en voyant ce que j'ai fait à ma carte de crédit. Mais bon. Ils ne sont pas des millions près. Ces achats ne représentent sûrement qu'une goutte de leur immense fortune.

— C'est moi ou ce gars là-bas est en train de tourner autour de ta voiture, Cheryl ? dit Amor, d'un ton hésitant.

Effectivement, un homme s'est approché de ma bagnole. Les mains collées à plat contre la vitre côté passager, il paraît scruter quelque chose avec attention.

Un large pull sale et déchiré à certains endroits cache sa corpulence. Ses cheveux blonds sont embroussaillés et la moitié de son visage est caché par un mouchoir rouge et blanc.

— Hé. Qu'est-ce-que tu fous là ? crie Lawson.

L'inconnu lève les yeux dans notre direction. Ses yeux d'un bleu céruléen plongent dans les miens. La haine qui y flambe est telle qu'elle me coupe momentanément le souffle.

Lawson s'élance vers lui mais l'inconnu s'enfuit en courant.

Je reste pétrifiée sur place, incapable de penser à autre chose qu'à ce regard haineux. Presque meurtrier.

— C'était certainement une petite frappe. Je viens de vérifier la voiture. Elle est nickel, déclare Lawson.

— Il s'apprêtait certainement à casser la vitre pour y prendre quelque chose.

— C'est écœurant, ajoute Aubree. Quelle idée stupide de voler !

— La faim pousse souvent au pire des vices, répond Lawson. Il faut l'avoir connu pour pouvoir en discuter.

Je sursaute au son de la voix d'Amor.

— Cheryl ? Qu'est-ce-que tu as ?

— Ce type...il avait un de ces regards...balbutié-je.

— N'y pense plus. Ce n'était rien d'important.

Je voudrais ne plus m'en souvenir. Mais je ne peux pas.

Mon cœur qui bat à la chamade ne m'aide pas y voir plus clair. J'ai un très mauvais pressentiment.

— Oui tu as raison. C'est n'importe quoi.

La tête qu'elle fait me prouve qu'elle n'est pas dupe. Moi non plus je ne suis pas convaincue par ce que je viens de dire.

Les filles et moi nous embrassons puis regagnons nos véhicules respectifs.

Durant le trajet, je reste anormalement silencieuse. La tête plaquée à la même vitre qu'il observait, je tente de faire le vide dans mon esprit. En pure perte.

J'augmente le volume de la musique, ferme les yeux pour me transporter dans le monde de Sia, en vain.

La boule d'angoisse ne disparaît pas. Elle s'accroît davantage lorsque je constate que nous roulons étrangement de plus en plus vite. Ce qui n'est pas le style de Lawson.

Etonnée par ce changement radical, je me tourne vers lui. A ce moment, je remarque la voiture qui nous fonce dessus. Lawson l'évite de justesse. Un concert de klaxons furieux nous accompagne dans notre course folle.

— Qu'est-ce-que tu fous Lawson ? Ralentis putain !

Il attrape le volant de ses deux mains. Ses sourcils se froncent. Son regard s'assombrit.

— Je ne peux pas.

— Comment ça tu ne peux pas ? Utilise le frein, bordel.

— Justement. Ce sont les freins qui ne répondent plus.

Mon hurlement se perd dans la valse de klaxons qui résonne quand il braque sans prévenir sur le côté pour éviter un gros camion.

— C'est un cauchemar, soufflé-je, paralysée dans mon siège.

Lawson ne me répond pas. Il tente des manœuvres mais le véhicule reste obstinément sourd à ses tentatives.

Il allume les feux de détresse, jette un regard au GPS et hausse les épaules.

— Si nous ne quittons pas cette foutue route, nous finirons par nous faire bousculer et je perdrai le contrôle. Alors, accroche-toi. Nous allons dévier.

— Nous quoi ?

— Appelle les secours.

Je saisis mon téléphone mais le laisse tomber quand nous frôlons une grosse voiture noire. Mon cœur tambourine à mes côtes. J'éprouve une sérieuse envie de vomir.

Il vire à gauche, puis à droite et s'engage sur un chemin cahoteux au milieu de nulle part.

— Tu as appelé les secours ?

Je tente de répondre. Impossible. Ma langue reste désespérément gluée à mon palais.

Devant mes yeux hagards, apparait sans cesse l'inconnu au pull large.

Le chemin abrupt nous balance d'avant en arrière. L'air siffle désagréablement à mes oreilles.

Dans une vision d'horreur, je vois de gros arbres se rapprocher de plus en plus.

Nous allons mourir.

Cela sonne dans ma tête comme une évidence.

Les larmes me montent aux yeux. La panique exacerbe les battements désordonnés dans ma poitrine. Bon sang. L'histoire est-elle encore en train de se répéter ?

— Cheryl, apprête-toi à sauter.

La voix parfaitement maîtrisée de Lawson contraste d'avec l'horreur que nous vivons présentement.

Ses traits sont indéchiffrables. Je ne ressens aucune peur en lui. Comment fait-il ?

Ses yeux trouvent les miens une fraction de seconde.

— Tu dois sauter.

Ma tête dodeline de gauche à droite. J'ai les membres ankylosés et le cerveau surchauffé. Je serai incapable de faire ce qu'il me demande.

Nous allons mourir. Quoi qu'on fasse.

— Je compte jusqu'à trois et ensuite tu...

— Non.

Une plainte rauque s'échappe de mes lèvres. Le véhicule file droit en direction d'un des gros arbres. Dans quelques minutes, elle s'écrasera contre elle. Et nous avec.

Lawson essaie de me toucher l'épaule, mais je le repousse sèchement.

— Garde les mains sur ce foutu volant Lawson. Garde-les dessus, soufflé-je.

Son regard devient plus grave.

A ma grande surprise, il délaisse le volant pour s'occuper de ma ceinture de sécurité dont la boucle résiste.

Je m'entends crier, le supplier de ne pas abandonner le volant. Je sens mes bras le frapper, mes ongles le griffer.

Tout se passe ensuite très rapidement. Mon dos et mon visage heurte violemment quelque chose.

Un bruit effroyable retentit.

Puis, le trou noir.

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