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LAWSON

La douleur reflue lentement.

J'ouvre les yeux. Un violent mal de crâne me fait grimacer. Putain...

Je ne sais pas où nous sommes. J'ai pris le premier virage que j'ai vu pour éviter un carambolage sur la voie publique.

L'avant de la voiture est complètement cabossée. Si nous y étions restés...mieux vaut ne pas y songer.

Finir en bouillie ne faisait pas partie de mes projets.

Pour un type comme moi, mourir dans un accident de voiture, un volgare accident de voiture est un grand déshonneur. Une connerie inconcevable.

Quelque chose remue faiblement dans mes bras : Cheryl.

Je baisse les yeux. Les bras de la garce sont solidement enroulés autour de ma taille. Ses mèches blondes ne sont plus qu'un fouillis désordonné qui masquent son visage.

Doucement, je la pose sur le côté. Elle gémit, les yeux toujours fermés. Sa tempe et le coin de ses lèvres sont maculés de sang.

Sa jambe droite n'est pas non plus en reste.

Elle a pris prendre sacrément cher lorsque je l'ai poussé hors de la voiture. Mais c'était ça ou finir dans un cercueil.

A tâtons, je réussis à extirper mon téléphone de la poche de mon jeans. L'écran est sérieusement amoché mais il reste heureusement fonctionnel. Je me dépêche d'appeler les secours.

Les paupières de Cheryl frémissent. Elles s'ouvrent doucement. Son visage se crispe de douleur. Sa main tremblante se pose sur sa tempe. L'effroi qui s'imprime sur ses traits blêmes me fait regretter de ne pas l'en avoir empêché.

Elle essaie de se redresser mais je la maintiens fermement au sol.

— Tout doux papillon. L'ambulance ne tardera pas à se pointer.

Pff. Ce surnom débile ne semble pas prêt à quitter mes lèvres.

— Je...je saigne...

— Je sais. Ne parle plus. Garde tes forces.

Elle ferme les yeux.

Ses lèvres tremblent. Elle laisse échapper un sanglot et des larmes glissent le long de ses paupières.

La voir ainsi me déstabilise.

J'ai eu l'habitude de faire face à la Cheryl hautaine. J'ai croisé le fer avec la garce arrogante prête à tout pour m'humilier.

J'ai fait rager la connasse qui tentait de me faire virer.

Mais la Cheryl qui pleure...putain, je ne m'y attendais pas.

Je ne devrais pourtant pas être si surpris. N'importe qui venant d'éviter la mort serait bouleversé, quitte à pleurer.

Mais elle...je la croyais différente. Avec sa détermination de fer, son attitude inébranlable, j'ai cru que...

Bref, cela n'a pas d'importance.

Elle continue de pleurer silencieusement. Ses épaules vibrent au rythme de ses inspirations rapides.

Ma poitrine se compresse. Avant que je ne le réalise, ma main se pose sur sa joue. Elle tressaille à mon toucher mais ne me demande pas de « virer mes pattes » comme je m'y attendais.

Du pouce, j'essuie ses larmes qui roulent toujours. Bien que je ne sois pas doué avec les mots de réconfort, quelque chose me pousse à tenter de la rassurer. Juste pour qu'elle cesse de pleurer.

— Ça va...ne chiale pas papillon. Ta langue de vipère et toi êtes toujours vivants, c'est l'essentiel.

— Je...j'ai failli y passer...comme elle...

Evidemment, je sais à qui elle fait allusion. J'ai fini par comprendre qu'elle n'avait pas encore fait le deuil de sa grande sœur.

Mais peut-on réellement oublier ceux qu'on a aimés et que la mort a volés ?

— Je...j'ai failli mourir. Si ce soir tu...

Une quinte de toux la secoue. Un filet de sang s'écoule de sa bouche. Si je ne fais rien et qu'elle continue à bavarder, elle risque de me verser des trombes d'hémoglobines.

— Cheryl par pitié, ferme ta gueule et économise ton énergie.

C'est brutal mais ça au moins le mérite de la faire taire. Enfin, c'est ce que je croyais.

— C'est...si...gentiment...demandé... ironise-t-elle.

— Tu arrives quand-même à rétorquer dans ton état ? Tu me surprendras toujours.

— C'est...un...compliment ?

— Tu voudrais que ça en soit un ? Et je t'ai demandé de te taire.

Le silence revient une poignée de secondes. Mais elle décide encore d'outrepasser mes ordres. Décidément, cette fille ne peut pas s'empêcher de me désobéir.

— Lawson... ?

— Quoi ?

— Tu...aurais...voulu...qu'elle...parte...n'est-ce-pas ?

— De qui tu parles ?

— De...ma...langue...de...vipère.

Je ne peux réprimer un sourire.

— Avant oui. Mais maintenant...je crois que non. Je ne pense pas que j'aurai été heureux que tu la perdes. Elle a au moins le mérite de rendre ma journée distrayante.

Et je suis sincère. Maintenant qu'elle me pose la question, je dois reconnaître que je me suis habitué à nos engueulades. Il m'arrive souvent de réfléchir aux potentielles nouvelles injures dont elle pourra m'abreuver.

Aussi curieux que cela paraisse, je commence à trouver sa langue de sorcière très amusante.

— T'es...taré...

Cheryl tousse de nouveau et m'informe qu'elle crève de froid.

Mes doigts se meuvent d'eux-mêmes.

Je retire mon veston et enveloppe la jeune fille. Timidement, elle glisse sa petite main dans la mien, probablement à la recherche de plus de chaleur. Mécaniquement, je la recouvre de la mienne.

Ma gorge se noue. Putain...pourquoi me sens-je aussi bizarre ?

— J'ai...sommeil..., geint-elle.

— Garde les yeux ouverts.

— C'est duuuur, dit-elle, en baillant.

— Rien n'est facile donc tu te débrouilles pour ne pas fermer les yeux. Compte les moutons ou ce genre de trucs idiots. Tant que ça peut te permettre de rester éveillée.

Etrangement, elle me prend au mot.

— Un...mouton... deux...moutons...trois...moutons...une grosse vache....deux grosses vaches....

Un rire incontrôlable me saisit. Punaise. Elle est sérieuse là ? Des vaches et des moutons ? Je déconnais pourtant. C'est la seule chose que j'ai pu lui balancer.

Elle ne se préoccupe pas de moi et continue de compter avec le plus grand sérieux. Elle est si légère en cet instant précis. Si insouciante. On dirait une enfant...

Deux ou trois heures plus tard, les sirènes d'une ambulance retentissent. Des infirmiers viennent vers nous, armés de deux civières.

Ils placent délicatement Cheryl sur l'une d'elles et se hâtent de l'emmener dans leur bagnole.

Je me redresse à mon tour, déclinant l'aide de l'homme qui veut me venir en aide. Je jure de souffrance lorsqu'une grosse douleur m'irradie les côtes.

Néanmoins, je trottine jusqu'au coffre que j'ouvre difficilement.

— Vous avez également besoin d'être examiné monsieur. Vous saignez de la tête, me dit l'un des ambulanciers qui m'a suivi.

— Je veux juste récupérer ces paquets.

— Votre santé est beaucoup plus importante. Nous devons partir maintenant.

J'en connais une qui risque de grincer des dents après son réveil quand on lui annoncera que les centaines de dollars investis dans sa garde-robe ont été volé.

**

Je déteste les hôpitaux. Littéralement.

Sérieux, qui pourrait aimer un endroit aussi glauque ? Les couloirs puent les médocs et les antibiotiques.

Les couleurs sont figées. Blanches et bleues.

Ce que je déteste le plus reste sans doute le fait que les hôpitaux me rappellent constamment la misérable vermine que je suis.

J'aurai beau me sentir puissant, être adulé des miens. Je pourrais me couvrir d'arrogance et de gloire. Je n'en demeure rien qu'un déchet. Une âme fêlée dont la vie ne tient qu'à un seul fil.

Dans cette chambre froide, je suis limité à deux mouvements : me coucher et m'asseoir. Le toubib a insisté pour que je prenne deux jours de repos.

Deux jours à ne rien faire.

Deux jours à regarder des émissions pourries pour tuer le temps.

Heureusement que Marcella m'apportait des plats fait maison. Je n'aurai pas supporté leur bouffe insipide tout ce temps.

La porte s'ouvre. La silhouette plantureuse de mon infirmière se dessine.

— C'est l'heure de prendre vos médicaments, Christian, roucoule-t-elle.

Elle s'appelle Kristell James, mais m'a gentiment suggéré de l'appeler « Krista ».

Ses cheveux roux flamboyants reposent sagement sur la coiffe. Bon sang. Combien de fois ai-je rêvé de les dénouer et d'y enfouir mes doigts ?

Contrairement aux autres, la blouse sculpte à merveille ses formes voluptueuses. Ses seins extrêmement généreux paraissent vouloir exploser.

Dans ma tête, j'ai soumis cette fille à tous mes fantasmes. Je ne peux dire combien de fois je me suis fait violence pour ne pas la renverser sur le lit et la pilonner jusqu'à ce qu'elle n'en puisse plus. Surtout quand elle se penche vers moi avec cet air aguicheur...

Je pourrais très bien me laisser aller. Je sais qu'elle ne m'opposera aucune résistance. Nous prendrions du bon temps dans les toilettes.

Mais le hic c'est que je ne dois absolument pas me laisser-aller. Foutue retenue de merde !

— Comment allez-vous ce matin, Christian ?

Ses joues se colorent quand nos regards se croisent. Un sourire langoureux lui étire les lèvres.

Elle a déboutonné les premiers boutons de sa blouse, exposant ses seins crémeux et tentants dans le soutien-gorge pigeonnant. Ma queue se tend. Mais je n'esquisse aucun geste.

— Vous pouvez les déposer. Je les prendrai après, dis-je sans la regarder.

Sa déception me transperce.

Elle pose le plateau avec brusquerie, me lorgne et sort rapidement.

Malgré moi, je ne peux m'empêcher de me demander avec combien de patients Krista s'est envoyé en l'air.

C'est vraiment dommage qu'on se soit rencontrés dans ces conditions. Sinon, je lui aurai appris la réelle définition de « prendre son pied ».

Une dizaine de minutes plus tard, mon patron fait irruption dans la pièce. Comme d'habitude, il respire l'élégance dans ce costume gris taillé sur mesure.

Je tente de me lever mais il m'en dissuade d'un geste de la main.

— Comment vous sentez-vous Christian ?

— Beaucoup mieux, je vous remercie. Et...Cheryl ?

Je n'ai pas eu de nouvelles d'elle depuis notre admission à l'hôpital. Aussi incroyable que cela puisse paraître, j'étais réellement inquiet à son sujet.

J'en ai été le premier surpris. Cela ne m'était pas arrivé depuis...depuis une éternité.

— Elle va beaucoup mieux.

— Je suppose qu'elle doit être anéantie de la perte de cette voiture. Elle semblait beaucoup y tenir.

— Figurez-vous que vous êtes la première personne à qui elle a pensé dès son réveil.

Mon scepticisme le fait éclater de rire. Cheryl Caldwell ? Inquiète pour moi ?

Elle gueulait à tout moment qu'elle me « détestait » « que j'étais une merde, un boulet ». Elle aurait dû se foutre de mon état de santé vu qu'elle veut se débarrasser de moi.

Je repense à ses larmes.

Après Cheryl la chialeuse, Cheryl qui compte les moutons, je découvre une Cheryl sensible au malheur d'autrui. Combien d'autres facettes se dissimulent derrière son arrogance ?

— Ma fille n'est pas mauvaise au point de souhaiter la mort d'autrui.

— Je suis désolé. Je ne voulais pas insinuer que...

— Ne vous en faites pas. Je comprends.

Ses traits tirés et ses yeux presqu'inexistants m'indique qu'il a peu ou pas dormi du tout.

— Je tenais à vous remercier, Christian.

— Je n'ai fait que mon travail, monsieur.

— Justement, c'est pour ça que je vous remercie. Sans vous...je n'ose pas imaginer ce qui se serait passé.

Un petit silence flotte quelques instant.

— Cheryl m'a révélé que bien avant que vous ne preniez la route, un individu louche rôdait autour de votre véhicule. Elle est persuadée que c'est lui le responsable de cet accident.

— J'avoue y avoir pensé aussi.

Ses yeux se plissent.

— Quelqu'un cherche vraisemblablement à me faire du tort en s'en prenant à mes filles. Il ne s'en tirera pas aussi facilement.

Son regard assombri me considère un petit instant.

— J'ai pris un risque, Christian. Je vous ai confié la vie de ma fille. Tâchez d'en être digne. Ne me décevez pas.

— Je ferai ce qui est en mon pouvoir, monsieur.

Ces mots coulent naturellement. Le sénateur se détend légèrement en les entendant.

Et pourtant, il ne devrait pas autant s'en remettre à moi. L'imprévisibilité de la vie n'est-elle pas la plus grande tragédie de l'univers ?

                                             ***

Cheryl va beaucoup mieux.

— Ah ouais ?

Les yeux de Marcella s'étirent quand elle me sourit. Je suis toujours étonné devant la lueur de tendresse qui brille dans son regard à chaque fois qu'on parle de la garce.

En dépit de toutes les misères qu'elle lui fait subir, elle continue de l'aimer et de la chérir comme si c'était un œuf. Ce doit être ça l'amour maternel. Le vrai.

— Tu ne me croiras certainement pas mais...elle passe son temps à demander après toi.

De surprise, j'émets un ricanement.

— Tu vas aussi m'annoncer qu'il pleut des dollars en ville ?

Marcella lève les yeux au ciel.

— Voyons, Chris. Elle a un cœur comme toi et moi. C'est vrai qu'elle se comporte parfois comme une petite garce...

— Toujours, rectifié-je, entre deux gorgées de café.

— Bref, c'est vrai qu'elle se comporte comme cela mais c'est aussi une fille sensible et très gentille. Il faut savoir voir au-delà des apparences !

Oui, elle a raison. La petite garce peut aussi se montrer sensible. Je n'arrive toujours pas à oublier sa crise de larmes ce soir-là.

J'ai toujours cette impression que durant ce moment où nous attendions les secours, j'ai découvert une autre facette de cette blondinette capricieuse. Une personnalité bien enfouie sous des couches de rancœur, d'arrogance et d'insolence.

— « Je...j'ai failli y passer...comme elle... »

Peut-on réellement guérir de la perte d'un être cher ?

Cette douleur, ce trou béant dans la poitrine s'efface-t-il vraiment avec le temps ?

Cette question me revenait parfois au cours de mes missions.

Elle s'infiltrait souvent dans mon esprit, provocatrice et culpabilisatrice, quand sans remords, je faisais ce que je devais.

Et je pense qu'aujourd'hui, en regardant Cheryl Caldwell, j'ai la réponse qui me manquait tant.

— Je dois rentrer. Mais avant...

Elle pousse vers moi trois volumineux bouquins.

— Monsieur Caldwell m'a demandé de te porter ceci. J'ignorais que tu aimais la lecture.

— Je suppose que j'ai la tête du petit cancre, soupiré-je, en caressant la couverture d'un livre.

Marcella pouffe de rire.

— Je dirais surtout que tu ressembles beaucoup plus à un homme qui s'intéresse au sport qu'à la lecture.

— Les apparences sont parfois trompeuses.

Son sourire s'élargit.

— Bien-sûr. Allez, bonne lecture Christian et à très bientôt.

L'un des livres est un écrit philosophique de Giovanni Amendola intitulé Mémoire, histoire.

Cette attention me touche. Je ne pensais pas que le sénateur me prendrait au mot.

Je ne sais pas combien de temps j'ai passé, plongé dans la lecture de l'œuvre philosophique. Mais, le bruit de la porte qui s'ouvre m'alerte.

Levant la tête pour accueillir le visiteur, un sourcillement trahit ma surprise à la vue d'Aubree.

La jeune fille est exagérément moulée dans un pantalon en cuir noir et un bustier rose clair.

Avant que je n'aie le temps de la repousser, elle pose un baiser sur ma joue, frôlant volontairement la commissure de mes lèvres.

— Salut. Comment tu vas, monsieur ?

— Qu'est-ce-que tu fais ici ?

— Comment ça ce que je fais ici ? Je suis venue prendre de vos nouvelles pardi !

Une expression chagrinée passe dans ses yeux.

— C'est vraiment dommage ce qui vous est arrivé. J'ai été horrifié quand ils ont rapporté l'accident au journal télévisé.

— Nous nous en sommes tirés et c'est le plus important. J'espère quand-même qu'on pourra retaper la voiture de Cheryl. Elle semblait beaucoup y tenir.

Aubree me jette un regard noir.

— Sérieusement ? On se fiche de la voiture de cette petite pimbêche. Ce qui importe c'est que tu sois vivant. Mais égoïste comme elle est, je suppose que mademoiselle aurait préféré que sa voiture soit intacte même si tu devais en mourir.

Le choc me coupe momentanément le souffle. Est-ce vraiment comme cela que doit parler une « amie » et de surcroît une « meilleure amie » ?

Je pense immédiatement à mon taré de pote. Non, un ami ne parlerait pas comme cela.

Il est vrai que j'ai eu à piétiner plusieurs « valeurs » dans la vie mais l'amitié a toujours demeuré un pilier sacré à mes yeux.

Je me disais bien que de ce trio de petites filles riches, cette Aubree n'était pas aussi sincère qu'elle voulait le faire croire.

Admirez donc la laideur de l'âme humaine.

Aubree doit sûrement s'être rendue compte de sa bêtise, car un voile pourpre colore ses joues. Elle rigole nerveusement et trace des lignes imaginaires sur le drap du lit, pour se dérober à mon observation.

— Je suis désolée. Je me suis légèrement emportée. C'est juste que...c'est mon amie, je l'aime bien mais...mais je déteste quand elle se montre aussi immature.

Bien-sûr Aubree. Qui cherches-tu à convaincre ? Toi ou moi ?

— Qu'est-ce-qui s'est passé exactement ? Les journaux racontent beaucoup de choses et le sénateur n'a toujours pas fait d'annonces.

— Les freins ont mystérieusement lâché. A l'avenir, je serai plus...

— Parce que tu comptes sérieusement continuer à travailler pour Cheryl ? hurle-t-elle, sans retenue.

— Qu'est-ce-qui te prend ?

— Ce qu'il y a c'est que je ne supporte pas qu'un gars aussi brillant que toi continue de travailler pour une fille aussi pourrie-gâtée que Cheryl. Elle se fiche carrément de toi. Et en plus c'est beaucoup trop dangereux pour toi de continuer ton travail car on pourrait te tuer.

— C'est mon boulot. Je suis payé pour protéger des vies au péril de la mienne.

Elle secoue la tête avec énergie.

— Ta vie a beaucoup plus de valeur que celle de Cheryl. Il serait dommage que tu la perdes pour rien.

« Elle est sérieuse là ? »

— Son père a payé pour que je le fasse.

— Mon père peut te payer le triple si tu veux. Laisse cette immature Christian et viens travailler pour moi. Tu seras beaucoup mieux traité et trois fois mieux payé. Cheryl ne mérite pas que tu te sacrifies pour elle.

« Descendante de Judas ! »

— Je ne veux pas d'un autre travail. Celui-ci me convient parfaitement.

Des larmes apparaissent dans ses yeux.

— Tu es masochiste ! rétorque-t-elle d'une voix amère. Tu ne vois pas qu'elle se fout de toi ? Tu sais très bien que tu me plais. Je sens aussi que cela est réciproque alors pourquoi ne te laisses-tu pas aller ? Tu verras, je ferai de toi l'homme le plus heureux de cette planète. Laisse-moi juste m'occuper de toi...tu ne le regretteras pas Christian.

Son visage s'approche doucement du mien. Elle fixe mes lèvres intensément en une muette supplique avant d'avancer les siennes.

Son désespoir me donne envie de rire. Bon sang. Jusqu'à quel point l'obsession peut-il rendre fou ? Se rend-elle compte qu'elle est prête à jeter une amitié probablement très ancienne juste pour un homme qu'elle ne connaît pas ?

Prenant mon silence pour une acceptation, elle s'enhardit et comble franchement la distance entre nos bouches. Je m'apprête à la repousser avec fermeté quand la porte s'ouvre.

Un cri horrifié me fait sursauter. Cette voix !

Sur le seuil, Cheryl et une infirmière nous dévisagent avec ahurissement.

Les prunelles de la garce s'assombrissent. Ses sourcils se froncent. Les prémices de la colère qui grondent en elle la rendent encore plus austère que d'ordinaire.

Je remarque qu'elle a un pansement sur la tempe et un autre à la main gauche. Elle semble aller beaucoup mieux que la dernière fois.

Aubree est la première à briser ce pesant silence.

— Vous auriez pu frapper avant d'entrer.

Son culot me déboussole. L'infirmière pince les lèvres, certainement aussi surprise que moi par cette audace.

Contrairement à ce que je prévoyais, la garce ne l'injurie pas. Au contraire.

— Je pensais qu'il était seul.

Les yeux voilés de la jeune fille scrutent son amie une brève seconde avant de se reporter sur moi. La déception que je réussis à y lire suscite en moi un sentiment inconnu.

Je pourrais l'assimiler au fait de sentir des milliers de clous s'enfoncer dans ma poitrine.

— C'est bizarre Aubree. Tu n'es jamais venue me voir et comme par magie je te retrouve ici.

— Ne sois pas bête. J'allais évidemment venir après avoir salué Christian, enfin, monsieur Lawson.

— Après l'avoir embrassé, tu veux dire.

Aubree rougit de plus belle, essaie de se défendre mais Cheryl l'en déconseille en remuant l'index de gauche à droite.

— Ne te donne pas cette peine, Aubree. Après tout c'est ta vie. Si tu veux baiser avec mon employé, tu peux le faire. Ce ne sont pas mes affaires.

— Tu vas aller cafter auprès d'Amor comme toujours pas vrai ?

Cheryl esquisse un sourire froid.

— Contrairement à toi, je sais encore ce que signifie le mot « amitié ». Mais ne vous gênez pas pour moi, reprenez où vous en étiez. Je suis désolée de vous avoir dérangés.

Elle est sur le point de passer la porte. Pressé par un besoin incompréhensible, je la retiens. Ses yeux bleus, aussi glacial qu'un bloc, trouvent les miens.

— Tu voulais me dire quelque chose ? demandé-je, sans parvenir à la lâcher du regard.

Ses cheveux blonds retenus dans un chignon serré dégagent son cou légèrement amaigri.

— Je voulais juste vérifier que tu allais bien.

— Ah ? Parce que tu t'inquiètes de son sort à présent ?

— Je ne pense pas avoir de comptes à te rendre sur ma relation avec Lawson. Occupe-toi de ton cul, tu seras gentille.

Un silence de plomb se fait suite à cette réponse incendiaire. L'infirmière sortant de sa léthargie, murmure quelque chose à l'oreille de Cheryl puis, lui prend résolument le bras.

La jeune fille fourre un morceau de papier dans sa poche.

— C'était pour moi ? ne peux-je m'empêcher de demander.

— Ouais. Mais ce n'est plus la peine et de toute façon, c'était une connerie.

— Cheryl...

— Laisse tomber Lawson. Occupe-toi plutôt de ta charmante visiteuse. Vous devez avoir des tonnes de choses à vous dire.

Sur ces paroles lapidaires, elle claque la porte.

Aubree s'éponge le visage et se tourne vers moi avec un mince sourire.

— Donc on peut...

— Sors d'ici.

— Quoi ?

— Aubree s'il te plaît...va-t'en, réussis-je à dire doucement. Tu m'as assez embarrassé pour aujourd'hui.

Je vois du coin de l'œil qu'elle lutte pour ne pas éclater en sanglots. Sans un mot, elle prend son sac et quitte les lieux presqu'en courant.

Je mentirai si je disais que je ne suis pas surpris par la réaction de Cheryl. Je croyais qu'elle allait faire un scandale, hurler à mort et alerter tout le monde comme la sale petite peste qu'elle adore être.

Mais non. Elle a préféré battre en retraite. Un choix très surprenant compte tenu de sa nature volcanique.

Que pouvait bien contenir ce bout de papier ?

Commentaires (1)
goodnovel comment avatar
Farah Origène
Une histoire assez intrigante ...
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