SolveigLes mains sur les hanches, détaillant chaque recoin de la pièce principale de mon nouveau chez-moi, un sentiment de sérénité fugace me fait miroiter la paix que je cherche tant.Erwann n’a pas mis longtemps à récupérer ses effets et je ne vais pas m’en plaindre, cela m’ôte un poids des épaules. Nous nous sommes à peine croisés lui et moi, juste assez pour me rassurer sur mon choix. Évidemment, il m’a évitée tant qu’il a pu. Après tout, je suis responsable de notre séparation. Cela n’empêche que j’ai eu plaisir à le revoir. Je sais qu’on ne peut pas être amis, cela semble bien trop difficile pour lui, pourtant nous avons partagé toutes ces années et j’en garde un bon souvenir. C’est quelqu’un de bien, de droit, d’honnête, il mérite d’être heureux et je sais qu’il comblera une femme. Je ne suis pas cette femme.Un jeune couple a repris notre ancien chez nous et j’ai emménagé, non sans l’aide de mes amis, hier. Mes affaires sont toutes là, éparpillées devant m
SolveigBaptiste m’attend dans la voiture le temps que j’aille voir si l’objet de ma convoitise est à la hauteur. Il a accepté de venir m’aider.Je connais Baptiste depuis six ou sept ans, mais nous sommes devenus aussi soudés à partir du moment où Elise et lui se sont séparés. Il n’allait pas bien, c’était évident, mais il ne parlait pas. Il sortait de moins en moins, et quand il le faisait, quelque chose dans son regard que je n’avais jamais vu, apparaissait. La malice avait disparu pour laisser place au vide. Il dépérissait sous nos yeux, il s’éteignait et personne ne réagissait. Aucun de nous.Je pensais jusqu’alors que je ne côtoyais Baptiste que parce qu’Elise était avec lui. C’est à cette période-là que j’ai réalisé que je n’étais pas aussi insensible et froide que je l’imaginais, et qu’il avait de l’importance, que j’éprouvais de l’amitié à son égard.Un soir j’ai débarqué chez lui. J’ai cogné à sa porte, j’ai tambouriné pendant plus de trois quarts
SolveigVoilà de nombreuses minutes que j’observe un simple numéro de téléphone enregistré dans mon répertoire. Nom de contact: Erwann. Contact qui ne me répondra plus. Je fixe son nom sur l’écran. Je devrais l’effacer, à quoi bon garder ce numéro.Je ne peux pas.Mes mains tremblent, je pose mon portable sur la table à côté de moi. Une tasse fume, j’ai machinalement fait couler un café, mais je crois que je ne vais pas pouvoir le boire.Debout.Clope.Appel à ma cheffe: «Je ne peux pas venir travailler. »Assise.Clope.Ce n’est pas la réalité. Pas encore, ça ne peut pas recommencer. Je ne vais pas y arriver. Pourquoi?Ma tête tourne, je m’allonge les yeux fermés.Son image.Non, trop dur.Debout.Clope.
SolveigJe l’ai rendu malheureux. Je l’ai fait souffrir. Je nous ai fait du mal, et c’est tout ce qui reste et restera. Je suis responsable du fait qu’il soit mort seul. Je l’ai délaissé. Je l’ai fui. Il s’est retrouvé éloigné de ses amis par ma faute.J’ai tout détruit.Où est ce foutu manuel qui explique comment ne pas souffrir?Je devrais savoir faire, je devrais avoir les clefs pour gérer le décès d’un proche. La vérité c’est que je ne sais pas. Que je me fais peur.Et si je faisais comme si ce n’était pas vrai?J’allume la télé, les images se succèdent, les films, les émissions idiotes. Je m’anesthésie. Puis je me prépare pour aller travailler, je suis d’après-midi. Au moins à l’hôpital, je n’aurai pas le temps de penser. J’affiche un sourire et relance la machine. Personne ne peut voir combien à l’intérieur je me sens abîmée, vieille. Et je culpabilise de me sentir aussi triste. Je n’en ai pas le droit. Il n’était plus mon con
SolveigIl n’y a rien de plus fort qu’un début ou qu’une fin. Le début d’une relation et sa fin. Le début de la vie et sa fin.J’ai mal. J’essaie de me contrôler. Je ne gère rien du tout. Ça m’assassine de l’intérieur. Des souvenirs que je refuse de voir resurgir essaient de s’insinuer. Je cherche des éléments du réel auxquels me raccrocher.Mon téléphone clignote.De: Cherche-Poux (Elise A.)Je pense à toi ma louloute. Quand tu seras prête, n’hésite pas. Je suis là.Depuis qu’Elise m’a appelée pour m’annoncer la nouvelle je n’ai plus décroché, ni à elle ni à personne. La plupart de mes amis ont opté pour le SMS, mais j’ai aussi des dizaines de messages vocaux que je n’ai pas la force d’écouter.Je ne suis sortie que pour aller bosser et faire mes courses et j’évite tout contact avec mes proches.C’est trop difficile. Il y a cette pesanteur dans ma poitrine. Depuis ce mardi-là, elle s’installe en moi. Je ne sais pas comment
CamilleAssise sur une chaise dans l’église, je lisse ma jupe sur mes genoux. Solveig n’est pas venue. Elle était trop mal à l’aise à cause de la rupture. Nous avons eu beau lui répéter qu’elle avait toute sa place, elle a refusé. Elise sanglote à ma gauche. Pierre est raide comme un piquet à ma droite. Je me penche en avant pour jeter un œil à Simon. Il regarde fixement devant lui, la mâchoire serrée et je n’arrive pas à voir Baptiste qui est à l’autre bout du rang.Le prêtre déblatère tout un tas de conneries que le principal intéressé n’aurait pas franchement apprécié, mais dont les parents ont besoin. Je déteste les églises, et ne parlons pas des hommages funèbres. Entendre le murmure des gens qui commentent l’enterrement de quelqu’un qu’ils ne connaissaient même pas, le placement du produit « Dieu » toutes les cinq minutes alors que nous sommes là pour dire adieu à quelqu’un qu’on aime. Et puis la réverbération fait que je ne comprends pas la moitié de ce qui est dit
SimonUne semaine que je peins sans relâche, la nuit. Le jour, je dors. Je suis complètement décalé, fracassé.J’allume une cigarette et m’affale dans l’unique fauteuil de la pièce qui me sert d’atelier. La lune est haute, c’est une belle nuit. Une belle nuit qu’Erwann ne verra jamais.Je me suis toujours dit que c’était une sacrée connerie, les éloges funèbres. Quand quelqu’un meurt, on ne se souvient que du bon. Il a dû en faire, des erreurs – je l’espère pour lui. C’est comme ça qu’on se construit, il paraît. En apprenant de ses erreurs. On les enregistre, on se les note dans un coin de notre tête pour ne pas recommencer. Je me demande si ce soir du 11 février en est une. Et si c’est le cas, pourquoi n’ai-je donc en tête que l’envie de l’appeler, la voir, la toucher à nouveau? Mes doigts glissent sur le cuir vieilli de l’accoudoir. Depuis que je vis ici, combien d’heures ai-je passées dans cette pièce? Sûrement plus que dans mon lit. Les murs qui éta
CamilleJe laisse Damien, l’inspecteur que je suis pour mon reportage, devant le commissariat et rentre à l’appartement. Il est bien gentil, un peu lourdingue. Il a un problème de vue, il confond systématiquement mes yeux avec mes seins. Pourtant on ne peut pas dire que j’ai été grandement dotée par la nature de ce côté-là. Pierre est en déplacement et ça m’arrange bien. Pas envie de faire des efforts. Puis les journées sur le terrain, ça vous flanque le moral à zéro.L’être humain est étonnant. Un animal n’est pas capable d’aller aussi loin. Les prédateurs mangent les proies, point. D’accord, le chat joue avec la souris avant de la mettre à mort. Mais un chat ne va pas aller filer des croquettes à un chien pour qu’il accepte de lui attraper une souris. Et un autre chat n’ira pas payer le double de croquettes au dit-chien pour qu’il lui amène la tête de la souris sur une pique. Même moi je me perds dans ma comparaison. L’être humain est pervers, c’est tout. Point à la lig