Après avoir terminé l’en-cas, je reboote mes systèmes pour être certaine d’être tenue informée des changements de mes constantes. Même si j’ai encore de légers vertiges, je me sens beaucoup mieux. Et j’ai pris une bonne résolution: je vais me servir de ces quelques semaines passées au calme pour redevenir celle que j’étais. Reprendre le sport, la lecture, arrêter l’alcool, aussi. Amusant de voir combien il coule à flots dans une société où nous sommes censés être heureux.J’ai totalement déchanté après la perte de mon travail. Comme s’il n’y avait plus d’espoir. Plus de parents, plus de compagnon, plus de job, que me restait-il? Rien que les meubles de mon appartement et encore… J’ai brûlé tous ceux qui me rappelaient Jaspe. J’ai essayé de rebondir. J’ai passé de nombreux entretiens d’embauche, enduré plusieurs périodes d’essai dans toutes les entreprises possibles et imaginables. Mais tous se confondaient en excuses quand venait sur le tapis la question de la stabil
—À combien évaluez-vous nos chances de survie? s’enquiert Ellis, alors que le cadavre traîne entre nous.Une main sur la bouche, je suis restée assise comme une idiote, incapable de savoir quoi faire. Après s’être suicidée, la jeune femme est tombée de sa chaise face contre terre, attendant qu’on vienne s’occuper de son corps.J’ai fait ce que j’avais à faire, débrouillez-vous bande de débiles. Les doigts de la jeune femme blonde se sont refermés sur mon poignet et quand je m’en rends compte et me tourne vers elle, elle les retire prestement, le rouge aux joues.La sécurité fait son apparition et c’est dans un calme olympien qu’ils nous débarrassent du corps, comme si on leur avait demandé de nettoyer des torchons sales. L’équipe de ménage en profite pour effacer toutes les preuves.La psy observe la scène, avant de ramener tout le monde dans la pièce. Ellis ne la lâche pas des yeux, désireux d’obtenir une réponse. Quant à moi, je n’arriv
—Retournez tous dans vos chambres. Nous viendrons rapidement vous voir.L’ordre de Rey claque et il ne m’en faut pas plus pour faire demi-tour et retourner dans mon cocon. Je n’avais de toute manière aucune envie de faire une«thérapie de groupe»après ce qui vient d’arriver à Hana…Sa vie valait-elle un million de crédits? Et la mienne?L’envie de vomir me reprend quand je repense à son corps tressautant sur le carrelage. Ils vont appeler le peu de famille qu’il lui reste, puis leur expliquer qu’elle est morte… Quels sont leurs mots, déjà? Ah oui,«pour le bien-être des générations futures».Revenue à la case départ, dans ma chambre trop blanche, je me glisse sous le drap d’hôpital. Le lit n’est pas confortable, mais c’est à ce moment-là le dernier de mes soucis, j’ai juste envie de dormir.Avant de m’enfoncer dans le sommeil, je décide malgré tout d’explorer l’application qu’ils viennent
—Comment vous sentez-vous, aujourd’hui? demande le Docteur Healey qui m’a fait l’honneur de venir me voir jusqu’à mon chevet pour constater ma mort.Bon, j’avoue, j’exagère un peu. Les crampes ont continué, le mal de crâne ne s’est pas atténué, mais je n’en suis pas à passer l’arme à gauche.—J’ai connu pire…Même si ma tête menace d’exploser et que j’ai l’impression d’être secouée à chaque fois que je bouge.Ellis s’est éclipsé pour me laisser en compagnie du Doc et de deux infirmiers, qui vérifient (encore) que tout se passe bien en moi. J’ai envie de leur dire de ne pas s’échiner: j’ai fait une recherche sur mon cas, et à part les effets du manque, il n’y a pas grand-chose à signaler.C’est peut-être l’un des bienfaits de ce logiciel. Désengorger les hôpitaux, se contenter d’automédication quand les blessures ne sont pas dangereuses… La certitude, aussi, d’être toujours observé sous toutes les coutures. Grâce à Soulmates, la
Le monde ne cessera jamais de me surprendre. Alors qu’elle vient de découvrir le nom de son âme sœur, elle a déjà eu le temps de se ruer sur Google dans l’espoir de trouver de qui il s’agit. Apparemment pas un jeune cadre dynamique, puisqu’elle est montée voir le Docteur Healey pour exiger un remboursement. Remboursement de quoi, d’ailleurs? Non seulement elle a été payée, mais en plus Soulmates n’a pas pour optique de nous mettre avec l’homme de nos rêves, simplement avec celui qui nous conviendra le mieux pour la vie à deux… et possiblement à trois.Tests d’hormones, de personnalité, sportifs, tout y passe. De quoi nous décrypter et être certain que la personne qui partagera notre vie sera capable de nous supporter, de nous soutenir aussi, et de former le couple parfait pour lequel nous scanderons«éternité».Peut-être que ça ne lui plait pas, mais les faits sont les faits. Maintenant, elle est liée à son âme sœur. Libre à elle de ne pas faire sa
<rêve>Le noir de Downside me happe. Je ne sais pas où je suis, juste que j’y suis.Dans les ruelles sombres, les portes claquent, les nuages télescopent la lune, le vent chuchote près des bennes à ordures. Je crois que je suis en train de rêver. Mais si nous savons que nous rêvons, c’est que nous ne rêvons plus, non?Mon champ de vision n’est pas obstrué par iBrain. D’ailleurs les couleurs sont beaucoup plus ternes sans le calibreur automatique. Je pose une main contre le mur et… Oh punaise, ce n’est pas ma main. Elle est beaucoup plus grande, n’a pas ce vernis à ongles bleu que j’apprécie tant. Et surtout, elle semble masculine?J’ai le souffle court, comme si je venais de courir, sauf que je ne m’en souviens pas. Je clopine dans les allées, m’abritant dès qu’un rideau s’ouvre à une fenêtre et que la lumière éclabousse le trottoir. J’ai tellement mal aux pieds que ça ne m’étonnerait pas qu’ils soient en sang.La main qui n’est pas
J’attends devant la salle pour mon rendez-vous avec la psy. C’était le tour de Leïa juste avant moi, et je n’ai pas pu m’empêcher de contempler les tatouages recouvrant son corps. Je ne suis pas une grande fan de ce genre d’artifices, mais j’admets qu’elle ressemble à une œuvre d’art. Elle a poussé le vice si loin qu’elle s’est fait tatouer des holo-tattoo. Les dessins, les couleurs et les arabesques se meuvent au fil de ses émotions tel un film parcourant sa peau. Je n’oserais jamais me faire une chose pareille, mais c’est sublime.—As, vous pouvez entrer, m’indique Rey en me faisant signe.Allez, entre dans la cage aux lions. Plus vite tu y es, plus vite tu en seras ressortie. Je retrouve ma position quasi fœtale dans le grand fauteuil de cuir blanc qui me tend les bras.—Alors, vous avez fait ce que je vous avais demandé? s’enquit-elle en reprenant son bloc-notes resté désespérément vierge lors de la précédente séance.Je ne sais pas si
Son frère?!Ce n’est pas possible. Le monde ne peut pas être monstrueux à ce point. Et ils n’ont rien vu, là-haut? Ils n’ont rien dit?—Je…, balbutie-t-elle, je ne comprends pas…Elle ne pleure pas, seul un trémolo dans la voix trahit sa souffrance. Rien que le regard perdu, vide, l’incompréhension la plus totale. Le choc.Je ne sais pas quoi dire pour soigner la blessure, pour lui remonter le moral. Tout ce que je pourrais dire serait fade et… mensonger. Car je doute qu’on puisse y changer quoi que ce soit. Je lui ouvre les bras, ne sachant pas si elle apprécie le contact physique, mais elle s’y réfugie. Son souffle court ricoche sur ma clavicule alors qu’elle me serre de toutes ses forces. Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu les mots.Et c’est toujours aussi douloureux.—Ça va aller. Je te jure que ça va aller, fais-moi confiance.—Qu’est-ce que je vais faire? Je ne peux pas montrer ça a