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Chapitre 57

mercredi 29 février 2108

Un cri rauque, mélange de peur et de rage, s’échappe de ma gorge et je me redresse d’un coup. D’un geste vif, j’arrache toutes les électrodes et le capteur avant de sortir en courant de la pièce, mon manteau sous le bras. Je dois fuir cet endroit. Je dois mettre le plus de distance entre lui et moi. Comment... comment ai-je pu me laisser avoir de cette façon ?! Tout tourne autour de moi. J’ai mal au crâne, mal aux tripes et le cœur au bord des lèvres. Impossible d’avancer droit dans ces conditions ; je dois me retenir aux murs pour ne pas tomber.

— Xalyah ?

Je lève la tête. Au bout du couloir de l’hôpital – plongé dans la pénombre –, Thomas marche dans ma direction, l’air inquiet. Soulagée de voir un visage amical, je lâche le vêtement qui m’encombre puis m’élance dans sa direction pour me jeter dans ses bras et enfouir mon visage contre sa poitrine. Je tremble des pieds à la tête. Le jeune homme paraît surpris et met quelques secondes à réagir avant de me serrer contre lui.

— Qu’est-ce qui se passe ? me demande-t-il, tendu comme un arc.

Alors que je réprime un sanglot, une voix m’interpelle :

— Xalyah ! Attends !

Je me sens complètement paniquée. Mes mains s’agrippent avec force sur le manteau de Thomas et je me blottis davantage dans ses bras puissants qui me rassurent. J’ai perdu le contrôle. Totalement. J’ai cru Alexian quand il m’a proposé son aide pour résister au programme Rémanence. Je l’ai cru, et comme une imbécile, j’ai lâché prise. Il en a profité, me montrant son vrai visage. Celui qui m’a livré jour après jour à mon pire cauchemar : Kraeffer.

— Toi ?! crache Thomas à l’attention de mon tortionnaire. Qu’est-ce que tu lui as fait ?

Il m’écarte de lui si brusquement que je vais taper contre le mur le plus proche. Déstabilisée par le flot d’émotions qui me submerge et les images épouvantables qui m’assaillent, je m’écroule au sol.

Les deux hommes s’empoignent violemment. Bientôt Thomas prend le dessus et exécute une clé de bras pour étouffer Alexian. Ce dernier suffoque et je vois son visage changer de couleur. Malgré toute la répulsion que j’éprouve à son égard, je ne peux pas laisser Thomas lui ôter la vie. Je dois intervenir.

— Thomas, arrête ! m’écrié-je.

Mais il ne m’entend pas, consumé par une rage folle. Je me relève alors et viens poser un bras tremblant sur son épaule.

— Lâche-le, Thomas.

Il me repousse et je tombe à la renverse. Furieuse, je me remets sur pieds plus rapidement et me précipite sur lui pour le faire lâcher prise. Nous roulons au sol et son bras vient se plaquer sous ma gorge. Sa poitrine se soulève frénétiquement et ses yeux fauves, qui ont viré au noir, me scrutent attentivement. Peu à peu il prend conscience qu’il est couché sur moi et non sur Alexian. Sa pression se relâche et il s’écarte, l’air hagard.

Tous les trois, nous nous regardons d’un air méfiant et étourdi à la fois.

— Qu’est-ce que ce connard t’a fait ? Je ne t’ai jamais vu dans un état pareil, si ce n’est quand il a enclenché cet appareil audio sur le terrain vague.

— Je…

Ma voix se brise et je me racle la gorge pour poursuivre.

— Pourquoi as-tu réagi comme ça ? m’interrompt alors Alexian en passant une main sur son cou pour évaluer les dégâts.

Je n’ai même pas besoin de fermer les yeux pour revoir la scène avec une extrême précision. Lui, penché au-dessus de moi, un sourire carnassier accroché aux lèvres, me défiant de lui résister. Lui, posant le casque sur ma tête. La douleur. La terreur. Puis, l’autre, armé de sa lame qui m’a charcuté le ventre tant de fois. Trop de fois. J’ai voulu lui faire confiance. J’ai eu tort.

— Ton..., bafouillé-je encore sous l’emprise de la peur. Ton sourire avant de me planter l’aiguille dans le bras... Et puis tu m’as demandé de te résister... Je crois qu’on en restera là pour les entraînements.

— Je ne t’ai pas piqué et je n’ai jamais souri, Xalyah.

— Je sais ce que j’ai vu.

— Tu étais déjà dans la simulation à ce moment-là.

Je tourne mon bras pour regarder l’endroit où l’aiguille s’est plantée. Il n’y a rien. Aucune trace. Déstabilisée, je ne sais plus quoi penser.

— De quoi parlez-vous ? intervient Thomas.

— De rien…, expiré-je lentement pour évacuer les derniers lambeaux de la terreur qui s’accrochent encore à mon esprit. Je suis fatiguée. Bonne nuit.

Je ramasse mon manteau et tourne les talons, plantant là les deux hommes sans plus d’explications. Si Alexian a visiblement décidé de ne pas me retenir, Thomas a quant à lui décidé qu’il n’en resterait pas là. Il me rejoint rapidement et nous sortons de l’hôpital sans un mot. Sur le chemin, il s’est rapproché de moi, jusqu’à ce que son flanc touche le mien.

— Ça va ? finit-il par me demander alors que nous empruntons le chemin qui mène aux baraquements.

— Pas vraiment. Mais ça passera. Qu’est-ce que tu faisais dans l’hôpital ?

— Je te cherchais, répond Thomas sans insister davantage pour m’arracher les vers du nez. Et quelqu’un t’a vu entrer dans le bâtiment un peu plus tôt.

— Et pourquoi me cherchais-tu ?

— J’aimerais avoir ton autorisation pour retourner à Vichy.

Je m’arrête et le dévisage dans la pénombre de la nuit. Ses traits se sont de nouveau adoucis, mais je ne peux m’empêcher de frissonner en repensant à la lueur assassine qui lui a traversé le regard quand il m’avait à sa merci.

— Que veux-tu y faire ?

— Refaire un peu le plein de munitions pour mes armes personnelles et me rééquiper en fringues et chaussures.

Je n’ai rien contre, mais là tout de suite, je n’ai pas envie de prendre la moindre décision. Je veux juste me déshabiller, prendre une douche et me glisser dans mes draps pour m’abandonner aux bras de Morphée.

— On en reparlera plus tard.

Il hoche la tête avant de faire un pas de plus dans ma direction. Ses mains attrapent mon visage et il se penche en avant. Croyant qu’il s’apprête à m’embrasser j’esquisse un mouvement de recul, mais il n’en fait rien.

— Si jamais cet enfoiré pose encore une fois la main sur toi, je lui réglerai son compte, que tu sois d’accord ou non, princesse.

Malgré ce petit nom affectif qui ponctue sa phrase, je déglutis.

— Ça n’arrivera pas.

— Je te préviens seulement, que les choses soient claires.

Puis il me lâche et se détourne pour bifurquer dans la ruelle qui mène à son logement. Je me sens soudain bien seule, debout dans le noir, au milieu de l’intersection.

Je repense à cette journée qui aura été chaotique de bout en bout. Je repense aux doigts de Khenzo sur ma peau lors de notre affrontement au corps à corps, à ses lèvres effleurant les miennes avant que je ne le repousse violemment, à toutes les décisions prises concernant la prochaine mission pour chopper cet enfoiré de Kraeffer, à Alexian voulant me proposer son aide pour entraîner mon cerveau à résister aux intrusions indésirables mais qui a finalement fait ressurgir des choses trop difficiles à combattre pour le moment, à Thomas qui s’enflamme en un instant dès qu’il s’agit de me protéger. C’est trop. Trop pour une seule journée. Elle aura eu raison de mes émotions. Alors il est temps qu’elle s’achève. Vraiment.

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