J’ai tellement dormi que je pourrais arracher mon plâtre et sauter à pieds joints sur mon matelas. J’avalerais bien un bœuf entier également, mais je doute que le moment soit propice pour commander un bon petit plat.—Bien dormi? me lance une voix à laquelle j’étais loin de m’attendre.Ma tête s’incline afin de dévisager le charmant coach sportif assis sans le savoir à côté de mon colocataire.—Enzo? dis-je face à cette apparition aussi imprévisible que déconcertante. Qu’est-ce que tu fais ici?—Je sais que ce n’est pas dans mes habitudes de venir prendre directement des nouvelles à l’infirmerie, mais ça, c’est uniquement parce que tu passes ton temps à dormir.Enzo approche sa chaise de mon lit, puis détaille mon équipier endormi.—Il va bien? s’informe-t-il, soucieux.Qui ne le serait pas à la vue de tout l’attirail médical disposé autour de Lucas?—Apparemment il s’est
—Tu te souviens de ton passé? Pour de vrai? Tu te souviens de tout?—Je me souviens de qui je suis, de quand et de comment je suis mort, et surtout, de pourquoi je suis resté sur Terre malgré tout, confirme-t-il d’un air sombre.—Mais… comment?—Je te raconterai tout une fois que tu auras accepté de m’accompagner quelque part.Je frémis à cette idée, me doutant de la destination choisie par mon colocataire mystérieux.—Euh… Tu veux qu’on se rende sur ta tombe?—Quoi? Non! Je veux te montrer autre chose.—Pas l’endroit où tu es mort, tout de même?—Allyn, est-ce que tu peux juste te mettre un truc sur le dos et me suivre sans discuter? me supplie-t-il, à bout de patience.Il est drôle, considérant qu’il est à peine quatre heures et demie du matin. J’accepte tout de même de bonne grâce, puisque les circonstances l’exigent, et
C’est uniquement après ma cinquième séance de reprise en douceur que j’ai l’impression d’avoir retrouvé mon niveau en musculation. Qu’on se comprenne, je souffre toujours comme si les poids n’étaient pas adaptés et que mes muscles se transformaient petit à petit en billes de plombs, mais ma volonté, doublée par les encouragements de mon coach, parvient à me maintenir en vie sans que je ressente le besoin de quitter la salle de sport en rampant comme une loque.—C’est très bien Allyn, déclare Enzo en reposant la barre du développé couché sur son socle pour me permettre de me relever sans danger. Je pense que la prochaine fois, on pourra augmenter la difficulté.—Oui, parce que pour le moment c’est tellement du réchauffé pour moi, dis-je, essoufflée.Mon coach éclate de rire en retirant les poids de la barre tandis que je grimace devant ma bouteille d’eau presque vide.—Hey, ne te plains pas! C’est toi qui nous as accusés de te ménager,
Je déteste l'expression « la vie continue ». Après tout, la terre ne s'arrête-t-elle pas de tourner quand un malheur nous tombe dessus ou touche l'un de nos proches? N'ai-je pas cru voir la fin arriver quand Axel a quitté ce monde? Ou, plus simplement, quand Emma s'est vue obligée d'être opérée de la vésicule? Mais par-dessus tout, je déteste ceux qui ont la prétention de venir vous donner des ordres ou des conseils sans même que ça les concerne.C'est pour cela que cette mission me reste en travers de la gorge et que je suis Lucas d'un pas lourd et rebelle dans cette ruelle désaffectée. Le décor, avec ses allures dignes d'un Disneyland post-apocalyptique, n'est pas sans me rappeler ma première excursion dans les Affres. Les immeubles modernes sont grisâtres, faute à la poussière et au sable qui ont pris leurs droits sur ce territoire. Ils ne sont pas délabrés et pourtant il s'en dégage un sentiment d'abandon, amplifié par le silence qui règne en maître autour
Lucas a pris une avance considérable, mais je le suis facilement à la trace grâce au boucan phénoménal qu’il provoque sur son chemin. « L’ouragan Harper » terrasse tout sur son passage. Qu’il s’agisse des portes qu’il claque ou des employés qu’il bouscule sans aucune considération, rien ne lui résiste. Pour ma part, je ne ralentis pas quand je découvre une pauvre secrétaire à quatre pattes en train de ramasser une multitude de feuilles blanches éparpillées et poursuis ma course vers l’infirmerie. Tous ceux que je croise me foudroient du regard sans que je sache s’ils m’assimilent à mon équipier tout aussi agité ou s’il s’agit de l’odeur pestilentielle que je dégage. Quand je parviens enfin aux portes de l’infirmerie, je suis essoufflée.Mon avancée à travers les diverses salles remplies de Singuliers alités se fait comme dans un rêve et j’oublie vite que j’importune tout le monde avec ma crasse. Je remarque par ailleurs quelques traces vertes sur le lino d’ordinaire impeccable e
Les cinq étapes du deuil. Il semblerait que nous en fassions tous les frais ce soir à différents paliers. Cette observation n’est pas des plus charmantes, mais elle me permet de m’occuper l’esprit assez longtemps pour empêcher mes larmes de ruiner le peu de maquillage que j’ai appliqué sur mes yeux dans le but de me rendre un peu plus présentable pour l’hommage d’Hugo. Isolée dans le fond de la salle, je ne me suis pas encombrée de verre ou de petit-four que je trouve encore plus déplacés que la dernière fois. Ma position stratégique me permet surtout de repérer mes amis de loin et c’est de cette manière que j’en suis arrivée à la conclusion suivante: si la plupart de mes camarades semblent s’être terrés tout comme moi entre le déni et l’incompréhension, certains, comme Alice et Lucas, se démarquent du lot d'une manière assez remarquable.—Tu ne te joins pas à nous?Mes yeux fixent Enzo sans le voir. Je ne l’ai même pas senti approcher.—Te
Plusieurs jours après la mort d’Hugo, une nouvelle routine s’installe. Routine aussi perturbante qu’inattendue et qui a pour conséquence de chambouler tout mon quotidien. Premièrement, mes recherches sur Hemera. Ces dernières n’ayant rien donné avec les documents ridicules de Josias, je suis toujours dans l’attente du moment où Fortin m’accordera une minute pour me signer une autorisation me permettant de me rendre dans les profondeurs des archives. J’ignore si le directeur adjoint craint de me voir déterrer quelques cadavres au passage, mais je n’avais pas rencontré quelqu’un d’aussi imaginatif quand il s’agit de m’éviter au détour d’un couloir depuis les tentatives de Lucas après la fête de l’Organisation.Enfin si, actuellement, je connais quelqu’un d’autre en dehors de Loïc Fortin qui me fuit comme la peste, et elle se prénomme Alice. Mon amie, loin d’être remise de la disparition de son équipier, est passée de la colère pure et dure à mon égard à une technique d’esquive d’a
13 février 2014, dossier 456720DResponsable de l’entretien: Dr Julia Olivia, psychologue de l’Organisation.Agent concerné: Lucas Harper. Enregistrement classé confidentiel, archives de l’Organisation des Singuliers.«—Bonjour Lucas, soyez le bienvenu, commence le Dr Olivia en serrant la main d’Harper.Ce dernier s’installe après hésitation sur le siège que lui désigne la psychologue. Un bref coup d’œil dans l’angle du plafond lui indique qu’ils sont surveillés. Intérieurement, il ne peut s’empêcher de ricaner. Que croient-ils donc tous? Que dans un accès de colère, il risque d’en venir aux mains avec leur cher docteur?Son front se plisse lorsque le Dr Olivia glisse un dictaphone sur son bureau. La lumière verte indique que l’instrument est déjà en train de tout informatiser.—J’espère que vous ne voyez aucun mal à ce que notre conversation soit enregistrée.—Vous pouvez même gard