24—Tu as merdé que veux-tu, tu as merdé! Pourquoi ne pas avoir congédié Cronos au lieu de te ridiculiser de la sorte devant ces imbéciles?Au loin un pan de falaise se brisa pour échouer dans les vagues tumultueuses de la mer déchaînée. Il y avait longtemps que l’âme perdue dont ce souvenir était issu avait été libérée, mais Lucius prenait encore plaisir à semer le trouble dans le paysage trompeusement paradisiaque, surtout lorsque ses nerfs demandaient à se défouler.—Quand je pense que tu me reprochais encore hier d’avoir laissé Harper m’échapper sous un soi-disant faux prétexte, grommela Aldrik en fusillant son ami du regard. Au final nous voilà bien avancés. Ah, ils doivent bien se marrer à nos dépens à l’heure qu’il est!—J’ignore ce qu’il s’est passé, admit l’Ange Noir colérique tout en contemplant des arbres morts flottant sur les vagues agitées voler en éclat contre les parois abruptes de la falaise. J’étais tr
25Cette nuit j’ai fait un rêve étrange.Il s’agissait encore une fois d’un accident de voiture, sauf que celui-ci ne concernait en rien la mort d’Axel, mais plutôt celle de nos parents. Je trouve assez curieux que ce genre d’images se soit inséré dans mon esprit alors que je n’étais même pas présente le jour du drame.Jugée trop petite à cinq ans pour me rendre avec eux au cinéma, j’avais été déposée chez leur amie Emma tandis que papa, maman et Axel s’étaient rendus en voiture au Gaumont du centre commercial le plus proche. Je n’ai aucun souvenir du titre du film ni de ce qu’Emma et moi avons pu faire ce soir-là pour nous divertir. Par contre, je me remémore facilement les gyrophares rouges et bleus apparus par la fenêtre du salon. Emma a été la première à se lever, comprenant d’emblée qu’un drame venait de se produire. Quand j’y repense, Emma a dû faire preuve d’un courage remarquable pour ne pas s’effondrer dans la seconde à la nouvelle de la mort de sa meilleu
26Un mois et demi plus tard«Right here, right now, right here, right now…»Les premières notes de la chanson de Fatboy Slim résonnent dans ma tête sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Si je n’étais pas aussi préoccupée par la situation actuelle, je m’assommerais face à ma futilité:quelle personne saine d’esprit chantonne au lieu de se concentrer sur le chemin qui lui reste à parcourir pour sauver sa vie? Je veux bien admettre que les circonstances imposent un rythme soutenu, mais je me serais volontiers passé de cette petite distraction.J’esquive de justesse un cochon qui fonce dans notre direction, la gueule pleine d’écume et les yeux injectés de sang. J’en frissonne de dégoût. J’ai beau m’être rodée face aux Affres ces dernières semaines, je reste sensible à certains détails.Avec une agilité qui me surprend tous les jours un peu plus, je saute sur le côté en entraînant mon camarade afin de nous sauver d’un
27Je suis dans une supérette au niveau des caisses. Il me faut quelques secondes pour réaliser que le son répétitif provient des produits que je scanne à la chaîne afin de ne pas retarder la file de clients insatisfaits. Je prends sur moi pour ne pas crier lorsque mes yeux se perdent dans les iris assassins de mon client actuel. Lucius. Aujourd’hui ses cheveux sont mi-longs, bruns, et parfaitement lissés. Il me fustige à propos d’un parapluie, mais je ne l’écoute pas. Derrière lui se dresse la rouquine qui hante mes cauchemars. Son regard flamboyant pénètre jusqu’à mon âme, je me ratatine sur place. Ainsi, ces deux individus se connaissent, cela ne m’étonne pas. Le temps de reporter mon attention sur le parapluie et Lucius a disparu.Je me retrouve dans la rue, la pluie tombe et s’infiltre par le col de mon manteau. J’avance sans connaître ma destination. Au loin des phares s’allument. Je presse le pas, mais quelqu’un me rattrape à la dernière minute pour m’éloigner d
28—Je persiste à penser que tu aurais dû prendre le train.Tapotant les doigts sur le volant au rythme de «All good things come to an end», je jette à Maël un regard en coin réprobateur. Ce n’est pas parce que nous avons décidé de mettre l’Organisation entre parenthèses durant mes congés qu’il doit trouver d’autres raisons de s’inquiéter pour ma sécurité.—J’avais envie de conduire.—Ce n’est pas prudent, insiste-t-il. Entre ton manque de sommeil de ces derniers jours et…—Et?—Et tu sais très bien.Je secoue la tête pour éviter de répliquer, décidée depuis la veille au soir à ne laisser aucune pensée noire interférer avec mes vacances tant attendues. Cette résolution m’est apparue alors que je fermais avec difficulté mon sac de voyage sur mon lit. Assis comme à son habitude sur la commode de ma chambre, Maël m’observait avec attention quand on avait cogné à ma porte.—Lucas&
29Lucius était dans une rage noire. Il s’était si souvent connecté à sa nièce ces derniers temps qu’il ne lui avait fallu aucun effort pour sentir qu’Allyn s’était éloignée de l’atmosphère sacrée de l’Organisation. De surcroît, ses dons prodigieux lui avaient indiqué qu’elle conduisait. Pauvre inconsciente! Que n’aurait-il pas fait en cet instant précis pour ne pas avoir donné sa parole à Aldrik! Un magnifique carambolage en pleine autoroute impliquant au minimum deux voitures, un 4x4 familial, et avec un peu de chance, un camion-citerne. Sacrifier autant d’innocents promettait d’être si exquis qu’il était à deux doigts de renier sa promesse. Après tout, quoi de mieux pour se remonter le moral? Un éclair noir zébra le ciel. Signal qu’une âme perdue venait d’apparaître dans les Affres. Cela lui remonta le moral:peut-être qu’il y aurait moyen de s’amuser en fin de compte. Sans hésiter davantage, Lucius se téléporta vers l’o
30—Joyeux Noël! s’exclame Emma en débarquant dans ma chambre avec un gros sourire aux lèvres et un plateau rempli de cookies en forme de bonshommes de neige et de cadeaux colorés.—Emma, on s’est couchées il y a à peine sept heures, me lamenté-je en allumant mon portable.—Ils sont meilleurs quand ils sont chauds! insiste-t-elle en choisissant un des cookies au glaçage le plus réussi pour me le fourrer dans la bouche.Je me redresse de justesse pour éviter au gâteau de s’émietter sur les draps. Je félicite mon hôtesse pour ses dons prodigieux en matière de pâtisserie qu’elle disparaît aussitôt, le minuteur de son four l’alertant au rez-de-chaussée.—Ça valait la peine de me réveiller, grogné-je en me retournant pour contempler la vue depuis la fenêtre donnant sur le jardin.Je réprime un petit cri en croisant le regard de mon colocataire fantomatique. Allongé sur le flanc droit avec sa paume sur l’oreille af
31—Lucas? Qu’est-ce que tu fais là?Alice est apparue sans crier gare dans le dos de mon équipier. Toute belle dans sa robe rouge écarlate, mon amie nous étudie avec intérêt. Sa curiosité cède vite la place à un air catastrophé.—On se voit à la fête! affirme-t-elle avant de claquer la porte au nez d’un Harper interloqué.Dépourvue du moindre signe d’embarras suite à sa conduite déplacée, Alice s’adosse contre un mur pour m’observer de bas en haut, un tic aux lèvres.—La robe, OK nickel, je n’ai rien à dire. Mais Allyn, explique-moi ce qu’il s’est passé avec tes cheveux! J’ai l’impression d’être face à la petite fille du puits dans le film d’horreur de seconde zone que Guillaume m’a fait endurer la semaine dernière.—La robe n’est pas prévue pour ce soir, la recadré-je direct, quant à mes cheveux ils séchaient tranquillement dans ma serviette quand Lucas a débarqué.Je fais mine de cherche