—Ils sont là depuis tellement longtemps que plus personne ne fait attention à eux. Moi je dis que c’est juste des pauvres tarés qui n’ont plus rien d’autre dans la vie qu’une croyance un peu dingue et des pseudonymes grecs.La sentence venait de David, grand habitué des jugements catégoriques sur tout et rien. En l’occurrence, il parlait des Putras, secte pseudo pacifiste de Menel Ara dirigée par le mystérieux gourou Suryena. Tellement mystérieux d’ailleurs, que personne n’était réellement sûr qu’il existait.Gaël et Lili avaient invité David, Moussa et Maria à déjeuner avant leur rendez-vous chez le notaire. Ils avaient besoin d’un peu d’évasion, de rire et d’insouciance avant de retourner à la dure réalité. Maria avait évoqué l’enquête qu’elle tentait de mener sur Suryena, et la discussion avait vite tourné autour des Putras et de la façon dont ils étaient perçus.—Ah ça, c’est sûr qu’ils n’ont plus grand-chose dans la vie: la secte leur prend t
Au sud-est de la Basse-Ville de Menel Ara, coincé entre la mer d’Arlet et le désert du Renard, s’étendait un vaste territoire qui abritait, avant la formation de la nouvelle cité, l’aéroport local. Une large étendue plane, riche en bâtiments de toutes sortes et en infrastructures modernes. C’est là, sur cette immense zone sombre et angoissante que le groupe des Martyrs avait élu domicile. Tout l’ancien aéroport leur appartenait. Ils s’étaient organisés en État dans la cité-État, se débrouillaient pour subvenir à leurs besoins–bidouilles commerciales et piraterie à l’appui–et disposaient d’un outil politique des plus simples: F décidait de tout, assisté de son cercle le plus proche.Il était difficile d’établir le nombre exact de membres de ce groupe terroriste, car ils ne résidaient pas tous dans cette zone. De nombreux sympathisants poursuivaient leurs vies banales de Menelarites. Un docker, un infirmier ou un journaliste, n’importe quel partisan p
La sonnerie du réveil n’eut pas l’effet électrochoc attendu. Naïvement, Lili avait espéré que le retour au travail coïnciderait avec une fin propre et nette de sa période de deuil. Mais à peine les premiers effets de la douche matinale ressentis, elle comprit que tout ceci était un peu trop schématique pour être crédible. Non, la sonnerie de son réveil ne suffirait pas. Mais elle irait travailler. Si son moral était très loin du beau fixe, au moins ne serait-elle plus oisive…Gaël dormait encore. Il avait de la chance, lui. Mais elle se dit que retourner au travail lui permettrait d’avoir la tête occupée et l’esprit tourné vers autre chose que la mort de son père et la haine qu’elle éprouvait envers Victor.Gaël et elle avaient pris le parti de ne pas en parler. Après tout, l’héritage matériel de leur père n’avait rien de colossal et représentait largement plus un symbole qu’une aide financière. De toute façon, ils n’en avaient pas besoin. Victor voulait accaparer les bie
Sacha était assis dans un des nombreux bâtiments de l’ancien aéroport de Menel Ara. Sa grande carrure en léger surpoids rentrait péniblement dans les plus petits recoins des locaux désaffectés. Mais il mettait un point d’honneur à essayer, tant bien que mal, de trouver des endroits bien à lui.Depuis le départ de Pierre et l’imminence de l’explosion, il s’était isolé pour ruminer sa rage. Ce n’était pas cela qu’il imaginait. Ce n’était pas pour cela qu’il était là. Si des gens comme Tanya continuaient de pousser F à répéter ce genre d’opérations meurtrières et contre-productives, Sacha devait peser de tout son poids pour y mettre fin. S’attaquer à la population était tellement incompréhensible que ça en devenait grotesque. Mais il savait tout cela, il ne le savait que trop bien.Sacha Planic avait 33 ans et avait rejoint le territoire des Martyrs depuis une petite dizaine d’années, juste après l’attaque de 2069. La vraie raison pour laquelle il était là, seules quelques r
—Et donc, tu t’es dit que tu allais prendre ton bâton de pèlerin et guider les brebis égarées menelarites vers le droit chemin de la rédemption, la liberté et l’égalité, pour des lendemains qui ch…Maria était partie dans un de ses monologues grandiloquents. En l’occurrence, elle se moquait ouvertement de Gaël.Celui-ci l’avait invitée à dîner afin de lui parler des réflexions de Sven et de ses propres ambitions. Et Maria avait ri. Elle avait ri parce qu’elle avait longtemps espéré que ce Gaël-là se trouve et se révèle. Mais il était trop tard.—Bon, tu as fini, Maria? l’interrompit-t-il. J’étais sérieux… Enfin, au moins un peu.—Mais qu’est-ce que tu veux que je te dise? répondit la journaliste, le teint et le timbre colorés par le vin. Les lutteurs d’influence et les leaders d’opinion, ce n’est pas ce qui manque ici. Moi-même, à mon échelle, j’essaie. Les Putras et les Martyrs aussi, à leurs façons à eux. Mais la propagande es
La plupart des habitants de la Basse-Ville de Menel Ara avaient une image fantasmagorique de la vie des nantis, au-dessus de leurs têtes. L’immense majorité des pauvres diables restés en bas n’avait jamais eu l’opportunité de monter voir de leurs propres yeux la merveille technologique d’Artémus Bankala. Aussi étaient-ils prêts à croire tout et n’importe quoi sur ce qui s’y déroulait. Certains prétendaient qu’une cascade géante avait été installée, d’autres estimaient qu’on leur mentait sur le nombre exact de résidents de la Haute-Ville et qu’ils n’étaient pas plus de quelques centaines. Mais la rumeur la plus tenace, à laquelle chacun avait fini par porter crédit, disait que la vie s’y déroulait comme dans un paradis terrestre, que la violence n’y existait pas, que la pauvreté non plus, que des sourires béats ornaient chaque visage. Un infime nombre de Bas-Menelarites avait occupé un emploi leur ayant permis d’y accéder et de la voir de leurs yeux. Et ceux-là pouvaient confirmer que l
Il avait prétendu une visite tardive chez son ami Alexandre pour laisser la délégation Luzzi partir devant lui. Il s’installa dans un coin discret, à l’extérieur du Grand Palais. Là, caché par la pénombre, il s’alluma une cigarette, une des dernières libertés avec les conventions qu’il s’accordait. Il était, en effet, fort mal vu de fumer dans la Haute-Ville, sans qu’aucune raison distincte n’ait jamais été apportée à cet état de fait. Victor s’en moquait et estimait être suffisamment respectueux du reste pour s’accorder ce loisir.En l’occurrence, il s’était senti le besoin de marquer une pause avant de se rendre dans le bureau de Komniev. À peine quelques jours plus tôt, il avait été répudié de son statut de conseiller. Et aujourd’hui, alors même que le règne du chef de la Chambre traversait une zone de turbulences, il se voyait convoqué. Pourquoi? Il était difficile d’imaginer que Komniev se sente réellement menacé par la fronde lancée par Bakari Zouma. Il était trop bi
«Le bilan quasiment définitif est donc de 11 morts et de près d’une centaine de blessés. Selon les autorités, il apparaît peu probable de retrouver d’autres survivants.»L’esprit encore embrumé malgré la douche matinale, Gaël écoutait les infos. C’était vendredi. Luigi et Sven avaient eu beau s’accorder pour alléger au maximum son planning de reprise, il n’avait rien fait. Et devait donc tout finir en une journée. Ce ne serait pas un problème pour lui, mais la soirée de la veille lui avait collé un sacré mal de crâne et s’était achevée dans le sang. Ce matin, il se sentait nauséeux, triste et déprimé à l’idée de devoir aller travailler, sérieusement cette fois.Il déposa la tasse à moitié pleine dans l’évier et prit la direction de la chambre de Lili. Ils fonctionnaient ainsi: sa petite sœur commençant légèrement plus tard que lui, il la réveillait en partant. Sauf que, ce matin-là, Lili n’était pas dans sa chambre. Gaël n’y prêta pas plus attention et s