—Mesdames, Messieurs, membres de la Chambre des Familles réunis ici, veuillez observer attention et force de jugement lors de cette session.—Dans l’esprit de Menel Ara.Une des réunions les plus importantes de l’histoire de Menel Ara s’ouvrait sous le regard agacé de la quasi-totalité des membres de la Chambre des Familles. Seul un homme, assis dans un coin en haut de l’amphithéâtre, jubilait intérieurement et priait pour que les rares éléments qu’il avait laissés au hasard se passent comme prévu. Lui seul appréhendait cet instant avec excitation, lorsque ses congénères souhaitaient uniquement regagner leurs pénates et dormir. Oui, seul Victor Dubuisson savait à quel point cette session était importante et combien elle allait marquer l’histoire de la Chambre des Familles. Et probablement de tout Menel Ara…—Chers membres de la Chambre, chers amis, déclara Komniev de son pupitre, je m’excuse platement de vous convoquer une nouvelle fois si tard, m
—J’ai parlé à Youri Komniev. La situation va s’arranger, je te le promets.Suryena ne pensait pas un mot de ce qu’il disait. Mais Delta avait besoin d’être rassuré. La capture d’Alpha l’avait totalement bouleversé, tout comme elle avait bouleversé les projets de Suryena. Mais le mal était fait: les Putras ne seraient plus considérés comme une secte inoffensive, lui-même n’était plus en sécurité au sein du Grand Palais et son plus fidèle lieutenant n’était plus que l’ombre de lui-même depuis que son fils croupissait, à quelques centaines de mètres de là, dans la prison de haute sécurité de la Haute-Ville.Non, Suryena ne pensait pas un mot de ce qu’il disait et, à la vérité, il avait bien d’autres soucis que la perte d’un de ses éléments, si fidèle fût-il. De toute évidence, Alpha allait être exécuté sur la Place de la Justice et ni lui ni son père n’y pourraient grand-chose. Évoquer Komniev dans la discussion rassurerait sans doute son lieutenant, mais c’était
Le 3 décembre 2078, la Chambre des Familles de Menel Ara fut bouleversée par la révélation de son infiltration par un Putra. Cette même nuit, la Chambre des Familles, réunie en session extraordinaire, avait également adopté le projet fou de construction d’un mur pour isoler les Martyrs dans leur territoire. L’ancien aéroport de Simake allait bientôt être cloisonné et une zone sécurisée permettrait de protéger les habitants de la Basse-Ville. L’édifice était d’ailleurs au milieu de toutes les discussions et chacun le décrivait comme «Le Mur». La zone franche, elle, était surnommée «le Non-Droit», en référence à l’impossibilité d’y mettre un pied.Un mois avait passé depuis cette nuit, et le chantier avançait extrêmement vite. Ainsi l’avait voulu James Brandon, trop inquiet pour la sécurité des ouvriers. Ceux-ci, payés une fortune, avaient dû être dotés de primes de risques colossales. Or, après une dizaine de jours de travaux, les Martyrs ne s’étaient pas
Ah, bon sang, ce qu’il les méprisait! Tous ces insectes qui venaient lui demander des comptes. À lui, Youri Komniev, maître incontesté de Menel Ara depuis des années. Certains enfants ou frères de chefs des Sept Familles avaient cru bon de venir râler dans son bureau. Une marque de mépris évidente, en langage politique menelarite.En théorie, lorsqu’une affaire comme l’infiltration des Putras éclatait, la tradition voulait que le chef de la Chambre des Familles reçoive ses six homologues et s’explique directement auprès d’eux. Le reste se poursuivait en interne, où chacun se débrouillait avec les siens. Qu’un membre secondaire des Sept Familles vienne demander des explications en personne était totalement déplacé et montrait bien en quelle estime certains notables tenaient Komniev. Restait, ensuite, à répondre aux questions des pièces rapportées. Formalité dont le chef de la Chambre s’acquittait depuis des jours et des jours… Et il n’en pouvait plus de balader par
—Comment trouves-tu ces chaussures, chéri?—Magnifiques, vraiment. Elles font ressortir tes yeux, mon amour.Victor en était aux épreuves imposées. Il savait que la guerre avec Komniev ne serait pas une partie de plaisir, mais il ne se doutait pas que le vieux loup s’attaquerait d’emblée à son talon d’Achille. Il croyait que cette lutte serait longue et âpre, et que le Chef de la Chambre garderait sa carte maîtresse pour la fin. Or, il avait porté sa première banderille sur son mariage, clé de voûte de sa vie dans la Haute-Ville.Quelques minutes à peine après avoir provoqué le plus fin politicien de Menel Ara, il était rentré chez lui et avait dû faire face à une accusation d’adultère. Komniev n’avait pas appuyé le mensonge jusqu’à payer une actrice ou un témoin. Victor n’avait donc eu aucune peine à convaincre Flora que tout ceci n’était qu’une immense calomnie. La crédulité de sa femme et son talent d’orateur permirent au couple de repartir de
Comme à son habitude, il passait sa frustration sur ce malheureux bout de bois, reclus dans son coin. Sacha était perdu dans ses pensées. Il y avait des jours, comme celui-ci, où il avait envie de tout abandonner. Mais il ne pouvait pas. Il avait une mission à remplir. Et objectivement, les motifs d’espoir ne manquaient pas.Les derniers jours avaient été extrêmement riches avec, en point d’orgue, l’arrivée en grande pompe de ce Gaël, dont tout le monde parlait sans savoir ce qu’il avait de spécial. Jamais F n’était allé accueillir un nouveau comme il l’avait fait. Il avait même insisté pour que les membres les plus éminents des Martyrs l’accompagnent, à commencer par Tanya et lui-même. Depuis, les rumeurs les plus folles circulaient: le frère de F? Un ancien Putra? Un membre des Sept Familles? Pour sa part, Sacha trouvait l’individu parfaitement banal. Lors de sa cérémonie d’intronisation–où il avait eu le privilège d’être seul, et non pas ac
Le ciel était clair et le temps glacial. L’hiver était comme à son habitude arrivé rapidement sur Menel Ara. En quelques semaines à peine, la température avait chuté d’une vingtaine de degrés et flottait nettement sous le zéro. Ici et là, quelques pellicules de neige venaient donner à la cité un aspect mélodramatique, plaisant pour les enfants, déprimant pour les adultes. L’hôpital de la ville enregistrait un taux accru de fractures en tous genres dues à des glissades. Le péroné menait au score, mais les hanches n’étaient pas très loin derrière. Menel Ara se préparait à un hiver rude. Comme tous les ans. Ni plus ni moins.Pour Moussa, cela correspondait à un durcissement assez net de ses conditions de travail. La profession de pêcheur procurait quelques belles journées en été, mais une fois le froid venu, les sorties devenaient périlleuses et douloureuses. Tout dur à cuire qu’il était, Moussa prit tout de même la peine de se resservir un deuxième café avant de partir. Il était d
Maria regarda, anxieuse, l’Hi-Nan qu’elle venait de fermer. Cet Hi-Nan qu’elle n’en pouvait plus de ne pas entendre sonner. Il fallait se rendre à l’évidence: Gaël était parti. Où, elle ne le savait pas, mais probablement ni chez les Putras, ni chez les Martyrs.Mais toute cette réflexion était désormais inutile. Elle s’était juré de ne pas s’apitoyer et d’aller vers l’avant. Une semaine était passée. C’était le délai qu’elle s’était fixé. Elle ne reculerait pas.Il lui avait fallu des heures et des heures d’argumentation avec Mustapha Ibn Bassir, son rédacteur en chef, pour qu’il lui donne son autorisation et sa protection. Depuis près de 20 ans qu’il occupait cette fonction, il en avait appris les moindres failles et risques. Lui-même avait été kidnappé, attaqué et de nombreuses fois menacé. C’était le lot de tout responsable ouvert de La Vigie. La quasi-totalité des journalistes écrivant dans ses pages utilisait des pseudonymes afin d’échapper aux fanatiques. Et