Comme à son habitude, il passait sa frustration sur ce malheureux bout de bois, reclus dans son coin. Sacha était perdu dans ses pensées. Il y avait des jours, comme celui-ci, où il avait envie de tout abandonner. Mais il ne pouvait pas. Il avait une mission à remplir. Et objectivement, les motifs d’espoir ne manquaient pas.Les derniers jours avaient été extrêmement riches avec, en point d’orgue, l’arrivée en grande pompe de ce Gaël, dont tout le monde parlait sans savoir ce qu’il avait de spécial. Jamais F n’était allé accueillir un nouveau comme il l’avait fait. Il avait même insisté pour que les membres les plus éminents des Martyrs l’accompagnent, à commencer par Tanya et lui-même. Depuis, les rumeurs les plus folles circulaient: le frère de F? Un ancien Putra? Un membre des Sept Familles? Pour sa part, Sacha trouvait l’individu parfaitement banal. Lors de sa cérémonie d’intronisation–où il avait eu le privilège d’être seul, et non pas ac
Le ciel était clair et le temps glacial. L’hiver était comme à son habitude arrivé rapidement sur Menel Ara. En quelques semaines à peine, la température avait chuté d’une vingtaine de degrés et flottait nettement sous le zéro. Ici et là, quelques pellicules de neige venaient donner à la cité un aspect mélodramatique, plaisant pour les enfants, déprimant pour les adultes. L’hôpital de la ville enregistrait un taux accru de fractures en tous genres dues à des glissades. Le péroné menait au score, mais les hanches n’étaient pas très loin derrière. Menel Ara se préparait à un hiver rude. Comme tous les ans. Ni plus ni moins.Pour Moussa, cela correspondait à un durcissement assez net de ses conditions de travail. La profession de pêcheur procurait quelques belles journées en été, mais une fois le froid venu, les sorties devenaient périlleuses et douloureuses. Tout dur à cuire qu’il était, Moussa prit tout de même la peine de se resservir un deuxième café avant de partir. Il était d
Maria regarda, anxieuse, l’Hi-Nan qu’elle venait de fermer. Cet Hi-Nan qu’elle n’en pouvait plus de ne pas entendre sonner. Il fallait se rendre à l’évidence: Gaël était parti. Où, elle ne le savait pas, mais probablement ni chez les Putras, ni chez les Martyrs.Mais toute cette réflexion était désormais inutile. Elle s’était juré de ne pas s’apitoyer et d’aller vers l’avant. Une semaine était passée. C’était le délai qu’elle s’était fixé. Elle ne reculerait pas.Il lui avait fallu des heures et des heures d’argumentation avec Mustapha Ibn Bassir, son rédacteur en chef, pour qu’il lui donne son autorisation et sa protection. Depuis près de 20 ans qu’il occupait cette fonction, il en avait appris les moindres failles et risques. Lui-même avait été kidnappé, attaqué et de nombreuses fois menacé. C’était le lot de tout responsable ouvert de La Vigie. La quasi-totalité des journalistes écrivant dans ses pages utilisait des pseudonymes afin d’échapper aux fanatiques. Et
—Et l’autre con, je vais le chercher à coups de pompe ou il se pointe tout seul?F était d’une humeur massacrante, bien que l’horizon se soit légèrement éclairci pour lui. Sans doute s’était-il levé du pied gauche, ou avait-il mal dormi. Cela n’avait pas d’importance. Tanya, elle, faisait le dos rond et attendait Sacha.F était positionné, comme à son habitude, devant la grande baie vitrée de ce qui lui faisait office de bureau. Mains dans le dos, regard lointain, il s’efforçait de paraître le plus sage et impressionnant possible. Même avec Tanya, une de celles qui le connaissaient le mieux parmi les Martyrs.Après une dizaine de minutes, Sacha finit par apparaître. Il ne semblait ni essoufflé ni désolé, preuve de l’importance toute relative qu’il accordait à ce rendez-vous.—Ah Sacha, te voilà! sourit ironiquement F. Ça va? Tu te sens bien? Tu veux un petit café? des gâteaux?—OK, excuse-moi, F. J
Au beau milieu de cette étendue blanche et glaciale qu’était le Territoire des Martyrs, seul un feu brillait. Un tout petit feu, bricolé dans un bidon d’acier, autour duquel deux amis refaisaient connaissance.David et Gaël s’étaient retrouvés autour de cette chaleur de fortune et de quelques cigarettes. Une semaine de présence parmi les Martyrs avait suffi à Gaël pour s’habituer à ce tabac sec et fort. En revanche, il n’avait pas encore pris le temps de parler avec David. Curieux comme l’inactivité rend fainéant et pousse inexorablement à remettre au lendemain la moindre tâche. Gaël n’avait pas fait grand-chose de constructif depuis son admission parmi le groupe terroriste, mis à part se remettre de la rouste administrée par Albrecht. Sa jambe le lançait encore un peu, mais il allait mieux et avait la ferme intention de s’exercer afin de devenir un meilleur combattant.Face à lui se trouvait David, David Cohen, son ami depuis l’école primaire. Il avait encore un peu de m
Comment ne pas s’émouvoir d’une vision pareille? La Haute-Ville de Menel Ara était magnifiée par le léger manteau neigeux qui la recouvrait. Les barrières qui protégeaient les abords de l’immense soucoupe étaient légèrement blanchies et le Parc Bankala ressemblait à un lac immaculé, horizon lointain où l’Homme posait le pied pour la première fois.Les palais des Sept Familles et les grandioses demeures de la Haute-Ville trouvaient là un cadre à leur hauteur. De fait, tous les dignitaires profitaient de l’hiver naissant pour procéder à leurs invitations annuelles. Tradition purement menelarite, tordant le cou à tous les clichés sur le tourisme estival.En effet, comment ne pas être ému par une telle beauté? Il l’ignorait et surtout, Youri Komniev s’en moquait éperdument. Sans douce était-ce le trop grand nombre d’hivers passés ici, ou sa discussion étonnante avec Artémus Bankala. Toujours était-il que la vue qu’il avait de la Haute-Ville à cet instant ne lui in
—Putain, ce n’est pas possible, Karim. Je change de coin à chaque fois, et tu finis toujours par me retrouver. Je suis sûr que même dans la Haute-Ville, tu viendrais me casser les noix…Le jeune homme se frotta l’arrière de la tête et ne sut réellement pas quoi répondre à cela. Il avait l’habitude des accueils grognons de Sacha, mais l’agressivité qu’il venait d’y mettre n’était pas coutumière.—Je ne suis pas venu seul.Derrière lui, emmitouflé dans un épais manteau, Gaël fit son apparition.—C’est moi qui lui ai demandé de m’amener ici. Il m’a prévenu que tu n’aimais pas être dérangé, mais j’ai insisté.Sacha regarda ses deux visiteurs et soupira. Il posa son bâton et rangea son couteau.—OK, excuse-moi Karim. Mais il faudra quand même que tu m’expliques comment tu fais pour me retrouver à chaque coup. Allez, file, laisse-nous seuls.Le gamin s’exécuta, un sourire aux lèvres. Il quitta la pièce en courant, comme
Mercredi était venu et évidemment, Victor était à l’heure au rendez-vous. Victor était toujours ponctuel.Il attendait patiemment au beau milieu de la place Plume, où le dénommé Brinnus avait fixé la rencontre. Ce dernier lui avait ordonné de ne pas être en retard, mais manifestement, avait oublié de s’appliquer la consigne. Victor étudia sa montre une fois de plus, sortit son paquet de cigarettes, puis se ravisa.Ce ne fut que vingt longues minutes plus tard qu’il aperçut une voiture étonnamment modeste pour la Haute-Ville se garer à cinq mètres de lui. La vitre arrière se baissa et un homme caché derrière des lunettes noires superflues lui fit signe de s’approcher. Victor s’exécuta.—Montez de l’autre côté, lui ordonna l’homme qui, d’après son timbre si caractéristique, devait être Brinnus.Encore une fois, Victor obéit sans broncher. Il s’installa à l’arrière de la voiture. À ses côtés se trouvait donc l’homme avec lequel il avait rendez-vous. Sa vo