Après la tempête vient le beau temps.Assis à la poupe de son bateau, Moussa essayait de relativiser la situation actuelle. Les médias ne parlaient que du désordre incroyable dans lequel s’étaient déroulées les exécutions dans la Haute-Ville. Certains allaient même jusqu’à évoquer un problème de sécurité. Un comble, pensa Moussa, tout en laissant de côté cette idée. La politique ne l’intéressait pas. Pas outre mesure en tous cas. Il s’inquiétait plus volontiers pour ses amis.Gaël avait disparu depuis près d’un mois. Moussa ne voyait que quatre possibilités. Il aurait pu entrer chez les Putras. Mais il connaissait bien son ami et cela lui paraissait peu plausible. Il aimait trop sa liberté de pensée, malgré le mal-être qui était le sien depuis la mort de son père. Il s’était peut-être réfugié chez les Martyrs. C’était un peu plus crédible, mais là encore, il avait du mal à imaginer Gaël une arme à la main, prêt à faire sauter la ville. Il aurait fallu q
Né dans les années 80, Vincent Dionisio s’adonne dès la jeunesse à l’écriture de nouvelles. L’âge avançant, il se diversifie avec des scénarios, des pièces de théâtre et, inévitablement, des romans, jonglant avec les supports suivant l’inspiration du moment. Passionné de cinéma de longue date, de chefs d’œuvres prétentieux comme de navets à 150 millions, il ambitionne, un jour, d’écrire, de réaliser et de jouer dans une saga d’anticipation définitive. Une fois rattrapé par la réalité, il se remet au boulot et se contente de raconter des histoires. Parce que c’est ce qu’il préfère, finalement.
AVANT-PROPOS La barbe est vieillie, La chevelure blanchie, Il voit de face son reflet, Et regrette le temps écoulé. D’un coup de poing rageur, Déterminé, il se ressaisit, Laissant derrière cette peur, Il reprend le chemin du lit. Là, agonisant, un homme délire, Sous l’effet des drogues ingérées, Oracle, il sait que l’attend, bientôt, le pire, Mais son message doit être délivré.
Sa sœur sanglotait sur son épaule, ses convulsions le secouaient, mais lui resta impassible lorsque le cercueil de son père se referma. Balthazar Dubuisson n’était plus, emporté par la maladie. Sa force, son charisme et sa vigoureuse neutralité avaient totalement disparu, ne laissant qu’une dépouille blanchâtre. «Repose en paix», pensa Gaël, tout en laissant échapper une larme.À sa droite, Victor, son frère aîné, ne montrait pas d’émotion. Comme d’habitude, il s’efforçait de paraître à son avantage, mais, en de telles circonstances, son expression dure s’apparentait presque à de la grossièreté. Chacun ressent le décès de son père comme il l’entend, mais Gaël ne put s’empêcher d’éprouver une certaine révolte face au contraste entre sa sœur et son frère.Lili avait fondu en larmes dès l’annonce de la nouvelle, et ses yeux ne s’étaient plus asséchés depuis lors. Des trois, c’était elle qui était restée la plus proche de son père. Plusieurs fois par semaine, elle
«Le Fou prend la Tour en f5. Echec». Elle avait vu un film, une fois, qui disait que, chez les personnes disparues, ce sont les défauts qui nous manquent le plus. Lili réalisait, maintenant que son père était enterré, que sa manière agaçante de la mettre en difficulté sans même regarder l’échiquier était sans aucun doute ce qu’elle regrettait le plus chez lui. Bien sûr, Balthazar Dubuisson avait été un grand maître international et avait même obtenu un match, hélas perdu, pour le titre de champion du monde d’échecs. Il était donc hors de question qu’elle ait une quelconque chance de le battre. Mais sa manie de chantonner ses déplacements dos au jeu, en arrosant ses plantes ou vérifiant l’état de son gratin dans le four, l’avait toujours horripilée. Elle prenait ça pour un manque de considération envers les efforts qu’elle faisait pour s’améliorer. Depuis son enfance, elle n’avait souhaité qu’une chose: rendre son père fier de sa manière de jouer aux échecs. Et fier, i
Il était exténué. Physiquement, psychologiquement, Gaël n’en pouvait plus. Il venait de passer la journée entre succession notariale et administration fiscale, entre registre des décès et assurances. Des chiffres plein la tête, la cervelle en lambeaux, il n’aspirait plus qu’à trouver son canapé, une cigarette ou deux et un peu de sommeil. D’autant que le trajet entre le pilier principal et sa maison n’était pas de tout repos.Avec un sourire triste, il pensa à Lili. Il ignorait totalement dans quel état il allait la retrouver. Qu’elle soit effondrée en larmes sur son lit ou activée énergiquement à la cuisine, rien ne saurait le surprendre. Mais la première hypothèse était la plus probable.Avec une légère appréhension, il poussa la porte d’entrée et murmura le prénom de sa sœur, afin d’être sûr de ne pas la réveiller. Bien lui en prit. Elle dormait sur le canapé et ne broncha pas. Gaël en profita pour glisser sous la douche et à son tour, profiter d’un repos bien mérité.
Youri Komniev écoutait distraitement son secrétaire lui rappeler une énième fois son emploi du temps de la semaine. Son attention se focalisait sur l’horizon qu’il scrutait d’un œil inquiet. Son visage anguleux, sévère, entouré d’une tignasse argentée, faisait face à un panorama qu’il connaissait comme personne. Quelle direction prenait le monde ? Lui, Youri Komniev, homme fort de la Chambre des Familles, personnage le plus puissant de tout Menel Ara, cité prospère aux inégalités flagrantes, se posait des questions existentielles. Il avait aujourd’hui 57 ans et s’efforçait, chaque jour, de ne pas les laisser paraître, en conservant une apparence et une posture irréprochables. Sa silhouette élancée était amplifiée par le long manteau officiel, noir de jais, propre à son rang de cher de la Chambre. Sensible aux détails, il faisait en sorte de toujours s’habiller dans les mêmes tonalités sombres, sans jamais paraître austère. Ainsi, ses gilets, ses cravates arboraient systématiquement des
—Ils sont là depuis tellement longtemps que plus personne ne fait attention à eux. Moi je dis que c’est juste des pauvres tarés qui n’ont plus rien d’autre dans la vie qu’une croyance un peu dingue et des pseudonymes grecs.La sentence venait de David, grand habitué des jugements catégoriques sur tout et rien. En l’occurrence, il parlait des Putras, secte pseudo pacifiste de Menel Ara dirigée par le mystérieux gourou Suryena. Tellement mystérieux d’ailleurs, que personne n’était réellement sûr qu’il existait.Gaël et Lili avaient invité David, Moussa et Maria à déjeuner avant leur rendez-vous chez le notaire. Ils avaient besoin d’un peu d’évasion, de rire et d’insouciance avant de retourner à la dure réalité. Maria avait évoqué l’enquête qu’elle tentait de mener sur Suryena, et la discussion avait vite tourné autour des Putras et de la façon dont ils étaient perçus.—Ah ça, c’est sûr qu’ils n’ont plus grand-chose dans la vie: la secte leur prend t