Durant l’Exposition universelle de 1889, le quartier de Grenelle avait connu un essor considérable grâce à la construction de la galerie des Machines. L’édifice, haut d’une cinquantaine de mètres pour une superficie avoisinant les cinq hectares, symbolise encore en 1900, la richesse de la capitale. C’est une immense nef de verre et d’acier, qui accueille à présent le pavillon français de l’Agriculture et de l’Alimentation. Situé près de la Grande Roue, il promet d’être de nouveau, le lieu le plus visité de ces prochains mois.Tandis que la nuit enveloppe la ville de son manteau noir, alors que les ouvriers se reposent de leurs longues heures de labeur, les élégants se montrent, arpentant ce beau quartier pour collecter les ultimes faits d’actualité de la journée. Il s’agit là de se tenir informé sur des sujets aussi ennuyeux que l’économie et épineux que la politique. Les rues y sont réputées sûres et pourtant, dans l’ombre des immeubles, Il attend. Les rouages de sa pensée méca
Le majordome précède Octave à l’intérieur d’une vaste entrée de marbre blanc au sol zébré de lignes noires. L’endroit est lumineux, surmonté d’immenses verrières où se déversent les rayons du soleil. Les murs sont ornés de grands tableaux d’illustres scientifiques, jouxtant des peintures colorées, véritable éloge à Mère Nature. Cela contraste fortement avec la sobriété du lieu. D’impressionnants plafonniers d’or et de diamants pendent au-dessus de leurs têtes, scintillant sous les rayons du soleil. Ils doivent briller tout autant sous les rayons de la lune, pense Octave. La richesse et la noblesse suintent sur chaque mur, ce qui le met mal à l’aise, peu habitué qu’il est, à évoluer au cœur de pareille démesure dans Paris. Des colonnes supportent la charpente du bâtiment, dignes des demeures grecques qu’il a déjà eu l’occasion de visiter. Au centre de la pièce se trouve un large escalier d’un blanc aveuglant, aux rambardes cuivrées et étincelantes. À plusieurs endroits, Octave a aperçu
—Bon sang, Octave ! Il est bientôt midi ! Midi, vous entendez ! C’est la dernière fois que je tolère un retard pareil ! Que votre père ait été célèbre, je m’en contrefiche ! Vos obligations sont ici, dans ce service, à la Sûreté de Paris ! Le président va défiler, nous devons nous rendre immédiatement à la galerie des machines pour assurer la protection des civils !—Clotaire, attendez !La voix d’Octave est ferme, il ne courbe pas l’échine devant son supérieur, déstabilisé par cette volonté nouvelle.—J’ai à vous parler d’une piste, Clotaire. C’est très important.—À voir votre tête, je doute que vous ayez beaucoup dormi, vos propos méritent-ils que je vous écoute ?—Oui.—Bien, entrez dans mon bureau.Octave s’assoit, mais peine à commencer son monologue savamment préparé, alors en vrac, il avoue tout de ses activités de ces dernières semaines. Ses passages au Moulin Rouge, l’aura oppressante que dég
Dans la bicoque de Griselda, Anastase prend ses quartiers dans une extension magique créée par la sorcière. Les buveurs supportent difficilement les plantes, sensibles à leurs propriétés et leurs enchantements, aussi ne s’attarde-t-il pas dans la pièce principale où règne un joyeux enchevêtrement de pots remplis de monstruosités et de fleurs gémissantes suspendues aux poutres. Lorsqu’il dépasse le feu qui crépite dans l’âtre et le chaudron bouillonnant, le chat bionique de Griselda feule de frayeur et de colère. Il l’observe avec méfiance et dédain sous le regard amusé de sa maîtresse.—Il n’aime pas trop les visiteurs...—Je n’en veux pas à ton familier, je dois certainement avoir une odeur de goule en plus d’une odeur de mort, grimace Anastase.—Suis-moi, j’ai aménagé l’endroit dont tu as besoin.Ils traversent un long corridor démesurément grand pour Anastase, en comparaison de sa maison dans les bois.—Tu vis donc vraiment
Reclus dans sa cage comme un animal, taché du sang et des sécrétions des deux cadavres à ses côtés, Octave sent son cerveau s’embrumer. Les contours de la goule deviennent flous et ses grognements de rage semblent provenir de loin. Octave se maudit, maugrée, et s’évertue à recouvrer ses esprits, mais le choc, l’effroi et sa blessure à la main le font glisser dans l’inconscience. Il perçoit vaguement les silhouettes qui envahissent la maison et le combat qui fait rage sous ses yeux voilés. Avant qu’il ne perde connaissance, il distingue une jeune femme, une guerrière. Elle est dotée de longs cheveux couleur de rouille et d’une armure recouverte de feuilles. Elle paraît si loin de sa réalité… Elle décoche des flèches avec une rapidité effrayante et l’observe à la dérobée avec un sourire confiant. Puis tout devient noir et il s’effondre.Le lendemain, il se réveille, paniqué. Il constate avec stupeur qu’il se trouve dans son lit, propre et dans son pyjama. Il rougit un instant se d
À la nuit tombée, Octave se rend au Moulin. Il reste assis de longues heures, espérant l’apercevoir dès que le rideau s’entrouvre, mais elle ne danse pas ce soir-là et Octave pressent qu’il ne la verra plus sur scène. Elle doit se douter qu’elle est devenue une cible pour la police. Alors que la nuit s’étire et que la fatigue le gagne, il décide de rejoindre les consommateurs d’opium, dépravés, au pied de l’éléphant. Il en fume peu, seulement de quoi se fondre parmi les autres, et accoste deux jeunes hommes occupés à reluquer les courtisanes avec avidité.—Hé ! Pas vu la danseuse orientale ?—Nan…, se lamente l’un des deux. La rumeur court qu’elle ne travaille plus ici. Elle aurait quitté le cabaret pour de bon… dommage hein ! un sacré morceau !—Oui, dommage…Il ne s’attarde pas davantage, il possède la réponse qu’il recherchait. Il a également la certitude que Raïzel est mêlée à toute cette histoire macabre. Ne reste plus qu’à comprendre
Du reste de sa journée, Octave écume les hôpitaux susceptibles de posséder des poches de sang. Grâce à l’appui du gouvernement, personne ne lui oppose de refus. Maintenir captifs des buveurs assoiffés est une folie et tous les habitants semblent en avoir conscience. Seul Clotaire s’en fiche royalement. Les véhicules se succèdent devant le Vélodrome et les poches sont distribuées par les Féeriques, éprouvant des difficultés à maintenir une séparation solide entre la piste et les gradins.—Octave !Clotaire s’avance droit vers lui et l’auxiliaire s’apprête à encaisser remarques et insultes, mais son chef lui ordonne seulement de rentrer chez lui. Les interrogatoires n’ont pour l’instant rien donné de concluant, mais même ceux qui disposent d’un alibi solide ne sont pas relâchés. Bientôt, songe Octave, la rébellion naîtra dans les gradins. Une alliance entre buveurs peut défaire un sort magique.Octave quitte l’endroit, désemparé. Il hèle un fiacre qui le condui
Dans un nuage de vapeur, Octave quitte la chaude humidité de sa modeste salle de bains. La serviette nouée autour de la taille et les cheveux encore mouillés, il se dirige vers le salon pour se préparer un café avant d’aller s’habiller. Son cœur manque un battement et il pousse un cri de surprise lorsqu’il la voit, tranquillement installée sur une chaise.—Morwenna ? Mais… que faites-vous là ? Comment êtes-vous entrée ?—J’avais à vous parler. Et la porte n’était pas verrouillée.Octave devient cramoisi, gêné de se montrer ainsi dénudé. La jeune elfe ne rougit même pas, amusée de la honte de ce beau garçon. Elle est fascinée par ses yeux. Sa timidité couplée à une détermination naissante, cette envie de lutter malgré la peur qui le tiraille. Elle aime ses cheveux couleur noisette aux mèches un peu folles, et le voir ainsi lui prouve qu’il possède l’endurance nécessaire pour mener à bien cette mission. Sa peau blanche et imberbe lui paraît douce et Morwe