Madame de Honfleur quitte sa demeure à 23 h. Les rues sont calmes, abandonnées par les touristes qui préfèrent s’entasser dans les lieux de réjouissances nocturnes. Tandis que les hommes organisent des réunions secrètes pour débattre de l’actualité de ces derniers jours, les femmes refont le monde, loin de l’oppression masculine et de la société. Ses parents font partie de ces gens-là, qui sourient le jour et complotent la nuit. Elle n’éprouve aucune difficulté à déjouer l’attention des domestiques, trop occupés eux aussi à commérer, libérés de la vigilance accrue de leurs patrons.Elle dévale une volée de marches avec agilité et souplesse, prenant garde de se dissimuler dans l’ombre des murs. Elle perçoit soudain des chuchotements en provenance de la bibliothèque. Certainement le majordome qu’elle soupçonne de courtiser la dame de compagnie de sa mère. Elle fait demi-tour et longe un grand corridor qui mène à l’escalier de service. Là, elle descend aux cuisines. Plongée dans le
L’héritière de la famille Honfleur descend les marches à la suite de son étrange hôte. Ses mains gantées palpent la paroi humide et rugueuse du mur, seul repère dont elle dispose dans la pénombre angoissante des souterrains parisiens.—Ce chemin rallie-t-il les égouts ? L’odeur est épouvantable…—Je me doutais qu’une fleur aussi délicate que vous serait incommodée par les effluves des bas-fonds. Bienvenue chez nous ! raille-t-il avec un rire guttural.La jeune femme se raidit, elle se sent offusquée et ridicule. Cet Horace n’a pas tort, elle s’apprête à rejoindre une horde de morts-vivants, après tout.—Est-ce encore loin ? se hasarde-t-elle à demander, mes chaussures me font sacrément mal aux pieds…Le buveur lui lance un regard mauvais, il grommelle quelques paroles inaudibles avant de bifurquer dans une galerie qui jouxte l’escalier de pierre sur leur droite. Enfin, pense la journaliste, plus aucune marche pour faire souffrir
Octave ne s’est pas trompé, dans l’ombre de Razbork, de nombreuses portes dérobées permettent aux viles créatures de dissimuler leurs secrets.C’est derrière l’une d’elles que se tient Raïzel, adossée contre le mur, les yeux clos et les sens en alerte. Elle n’est plus la bienvenue en ces lieux, elle le sait. Les scientifiques l’ont utilisée pour mener à bien leurs recherches, elle sent le sortilège que le mage a lancé pour protéger ces murs. Mais c’est une goule, et les membres de son espèce sont peu sensibles à la magie des sorciers, qu’importe leur grade. Par chance, le sort semble la dissimuler de la perception de Griselda. À cette seule pensée, ses lèvres se retroussent sur ses dents d’un blanc immaculé, elle a été trahie. Par elle et par Anastase. Elle sait que ce dernier est un élément faible pour leur opération. Il est fort physiquement, et connaît le corps humain dans ses facettes les plus sombres, mais il a expérimenté l’amour et cette faiblesse-là, est un fléau impossi
Deux jours plus tard.La foule s’amasse sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame. L’œuvre architecturale domine Paris par sa magnificence et sa solennité. Il n’y a pas meilleur endroit dans la capitale pour une déclaration à propos d’intégration et d’acceptation de l’autre.Sur le bas-côté, les roulottes des magiciennes et des diseuses de bonne aventure ont cédé la place au peuple, venu écouter le discours présidentiel sur l’avenir de leur cité. Octave se tient parmi eux, droit, dans une redingote neuve achetée pour l’occasion. Il ajuste son haut-de-forme dont il lisse le bord entre son pouce et son index. Il répète le geste dès que des regards se posent sur lui, trahissant ainsi sa nervosité. Personne ne connaît encore son nom, mais bientôt cela changera et l’attitude des gens aussi.—Ça va bien se passer.La voix chantante de Victorine le fait d’abord sursauter et sans même l’avoir vu, il sourit. Lorsqu’il se tourne v
Née en Bretagne, Camille Salomon est autrice de romans jeunesse, de romans de l’imaginaire, de nouvelles et de contes. C’est sur les falaises, au son des vagues qui s’écrasent contre les rochers qu’elle puise son inspiration. Fille du vent en proie aux monstres dissimulés dans les méandres de son esprit, elle voue son admiration sans bornes aux contrées fantasques, aux récits oniriques et horrifiques. Camille est également correctrice et se délecte des univers proposés par les autres auteurs, qu’elle prend plaisir à sublimer.« Ce sont là les secrets de la ville. Certains seront un jour dévoilés, d’autres jamais. Mais la ville garde toujours son visage impassible. Elle ne se soucie pas plus des œuvres du démon que de celles de Dieu ou de l’homme. La ville s’y connaît en ténèbres et les ténèbres lui suffisent. »Salem, Stephen KingAu cœur de la Ville Lumière, dans la pénombre d’une rue privée d’é
Son écharpe en laine remontée sur son nez, Octave longe la Seine d’un pas vif. Dans le froid mordant du mois d’avril, l’aube s’étire lentement au-dessus de la capitale, faisant miroiter ses rayons de lumière colorés à la surface des eaux sombres du fleuve.La ville s’éveille et la brume matinale se dissout avec paresse au gré des minutes écoulées. Octave a été prévenu aux aurores que sa présence était requise au plus tôt. Un coursier avait tambouriné à sa porte et, les paupières encore lourdes de sommeil, il avait parcouru la missive de son supérieur. Sa lecture avait eu tôt fait de le réveiller: un meurtre s’était déroulé durant la nuit, une prostituée. En temps normal, Octave aurait été surpris que la mort d’une catin interpelle ainsi son chef, dénué d’empathie et de pitié. Mais l’ouverture de l’Exposition universelle approchait à grands pas. Clotaire de Belleville, qui dirigeait d’une main de fer la Sûreté générale au sein des locaux de la préfecture de police, avait l’
À la préfecture, Octave descend au sous-sol, berceau de la Sûreté générale, pour y retrouver le calme relatif de son bureau. Malgré les dossiers qui s’entassent, malgré les enquêtes non résolues qui s’accumulent, les agents de ce service restent des parias. Leurs effectifs, trop modestes, ne sont pas près d’être revus à la hausse. Les petits meurtres de la capitale ne préoccupent personne. Seule la sécurité des bourgeois intéresse le gouvernement et les forces de police. Mais les enquêtes dont ils font l’objet ne sont souvent liées qu’à des affaires de vol ou d’escroquerie, des foutaises, pense Octave, alors que des malheureux terminent leurs jours dans la Seine et ne sont jamais repêchés. Il n’ose imaginer le jardin de cadavres qui doit tapisser le fond du fleuve.Lorsqu’il arrive, la voix tonitruante de Clotaire fait trembler les murs. Tête baissée, ses collègues font mine de crouler sous le travail pour éviter ses injures et sa colère. Octave soupire, las de cet affreux perso
Le fiacre le dépose boulevard de Clichy, au pied de la butte Montmartre, devant le Moulin Rouge. Premier bâtiment électrifié de la capitale, le cabaret en est devenu un emblème. Plaisir et Beauté s’y côtoient, regroupant les personnalités aisées et d’autres, plus modestes. Les soirées y sont arrosées de champagne et les spectacles sont des plus divertissants et affriolants. Octave a toujours refusé d’y mettre un pied. C’est pour lui le lieu de débauche le plus sournois de la ville, et la cause d’un grand nombre d’affaires criminelles. Le cabaret a contribué à la renommée de Paris comme «Capitale de l’opium». L’éléphant qui trône dans ses jardins renferme sur un pied d’égalité la luxure et la maladie. Autrefois sculpture de plâtre, c’est dorénavant une création faite d’un métal solide et cuivré, rutilant sous les reflets des lumières artificielles.Octave a toujours fui ce monde-là, peut-être parce que l’hyper sexualisation le terrifie, lui qui n’a jamais connu la ten