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Cercle des bêtises - La Bête de Beldecour - Chapitre trois

CHAPITRE TROIS

Éviter Lucas et Gael allait tenir de la gageure ! Saurie frôla un mur et se glissa derrière un groupe d’adolescents pour éviter que les deux jeunes hommes l’aperçoivent. Ils la cherchaient visiblement, Gael avait même eu une prise de bec avec Perséphone en lui sommant carrément de lui dire où se trouvait son invisible cousine. Il lui était tombé dessus à la sortie de l’autobus scolaire. Persy était hors d’elle et ne rêvait plus que de l’enterrer vivant à la place des deux malheureuses dont le meurtrier n’avait pas été retrouvé. Les policiers n’avaient aucune piste exceptée que c’était exactement la même chose qui s’était déroulée cinquante ans plus tôt avec Hélène Maréchal, fille exemplaire d’une famille dont le père était comptable et la mère bien née, héritière d’un entrepreneur de Beldecour. Pierre était le seul descendant des Maréchal, ses parents s’étaient tués dans un accident de voilier quinze ans plus tôt. Il n’avait pas d’enfants, ne s’était jamais marié, il avait tout perdu dans la vie en commençant par sa sœur qu’il adorait.

Lorsque les journalistes l’avaient rencontré pour connaître son opinion sur les derniers incidents de Beldecour, il avait rétorqué avec un regard triste que la tragédie qui avait frappé les siens cinquante ans plus tôt assombrissait aujourd’hui les regards des proches de Marjorie Trudel et de ceux de Zoey St-Jean qui revivaient cette perte un mois après avoir cru qu’elle avait été attaquée par des bêtes sauvages en forêt. Monsieur Pierre, comme les gens le surnommaient, semblait porter le poids de l’humanité sur ses frêles épaules de vieillard. Il avait douze ans au décès de sa sœur, il aurait pu paraître moins vieux car il n’avait que soixante-deux ans, mais les morts autour de lui avaient éteint la lumière dans le reflet de son âme.

Il était le sujet de conversation à l’école secondaire Beauharnois Privilège depuis la découverte des corps. Les gens murmuraient sur son passage et Saurie trouvait cela très triste. Monsieur Pierre méritait de vivre tranquille, pas d’être encore une fois le potin principal des mauvaises langues de Beldecour. Elle avait dû se taper toutes les spéculations les plus idiotes sur le meurtre de Marjorie la veille dans la file d’attente pour les photos des finissants. Un congé de conneries était son plus cher souhait !

Une main masculine jaillit entre deux épaules et tira Saurie hors du bouclier humain qu’elle longeait sans un bruit. Les adolescents se dispersèrent, personne n’allait se frotter à Gael St-Clair et son sale caractère. Saurie lui décocha un coup de pied sur le tibia, il la lâcha pour sacrer et jurer après tous les saints du ciel. La jeune fille fit deux bonds pour s’échapper, mais Lucas la ceintura et l’appuya contre un mur. De loin, on ne voyait que le dos massif de l’étoile montante de l’équipe de football Les Loups de Beldecour. Lucas braqua un regard sévère sur la récalcitrante partenaire de leur trio.

—Tu ne peux pas nous éviter toute ta vie, Saurie.

—Je peux toujours essayer.

—Tu es vraiment une fille énervante, tu le savais ?

Gael boita jusqu’à eux.

—Je vais lui tordre son petit cou de grenouille à cette …

Lucas ne le laissa pas terminer sa phrase.

—Gisèle Malonet n’est pas retournée chez-elle hier soir. Elle est venue prendre des photos de la pratique de football après la séance de torture pour celles des finissants, deux filles parmi les majorettes l’ont déposé devant chez-elle, mais elle n’a jamais franchi le pas de la porte de sa maison. Ses parents ont alerté la police et mon père m’a demandé à ce qu’on te surveille, Saurie. Tu étais présente lorsqu’on a découvert les corps et le tueur en série à une prédilection pour les filles de petites tailles aux longs cheveux.

Saurie lui donna un petit coup de poing sec dans le ventre et il fut surpris qu’elle soit forte malgré sa petite carrure. Il recula un peu et elle se détendit, visiblement se sentir prisonnière la rendait agressive. Gael tira une mèche de cheveux châtain vers lui.

—Tu vois un peu pourquoi Lucas se tracasse pour toi, tête de mule ? Gisèle Malonet habite à quelques maisons de la tienne. C’est écrit M sur sa boîte aux lettres, même concept que les Mannigan. L’assassin a peut-être confondu les demeures. Tant qu’à moi le soir la maison des Malonet m’a l’air aussi lugubre que la tienne.

Saurie ouvrit la bouche et la referme illico. Elle n’avait pas pensé à cela et ignorait que Gisèle était portée disparut. La cloche sonna et Lucas se pencha vers Saurie pour murmurer et n’être entendu que de Gael, l’adolescente et lui :

—Ne quitte pas l’école sans nous, Saurie. Je ne voudrais pas qu’il t’arrive quelque chose.

Elle hocha la tête et ils s’éloignèrent. Les couloirs commençaient à se vider et Saurie se dépêcha de rejoindre son casier pour se précipiter vers sa classe de cours. Elle n’entendit pas le clic clic clic d’un téléphone qui prend plusieurs photos ni ne vit l’ombre qui se glissa hors de l’école avec un sac à dos quand tous les étudiants se dépêchaient de rejoindre leur classe.

*****

Saurie se trouvaient devant les portes centrales lorsque Perséphone et ses copains passèrent devant elle. Persy planta là sa bande pour revenir sur ses pas.

—Ça va ?

—Oui, je pense. Tu savais que Gisèle Malonet est portée disparue depuis hier soir ?

Persy s’humecta les lèvres, mal à l’aise.

—Tu penses que c’est le tueur en série ?

—C’est à quatre maisons de la nôtre, Persy, et il y a un M sur la boîte aux lettres comme la nôtre. Même la poste se trompe parfois et mélange nos courriers.

—Ce ne serait pas ces deux imbéciles qui veulent jouer les héros, qui t’on mis ces idées ridicules en tête ?

Gael et Lucas entourèrent Saurie et Perséphone leva les bras au ciel.

—Je n’en reviens pas ! Le Cercle des bêtises recommence !

Lucas poussa un soupir. La remarque de Perséphone venait d’attirer l’attention sur eux. Il n’aimait pas être le centre d’intérêt en dehors des parties de football.

—Tu veux qu’on te dépose aussi, Perséphone ? Nous allons conduire Saurie pour plus de sécurité.

—C’est ridicule ! Vous pensez vraiment qu’il y a un tueur en série dans le coin et qu’il vous a vu avec les policiers près du tombeau improvisé de Marjorie et de la journaliste ?

Gael allait répondre vertement quelque chose, mais il s’étouffa lorsqu’il aperçut par les grandes fenêtres de l’école Gisèle Malonet. Tout le monde suivit son regard, mais Perséphone fut la seule à ne pas voir la brunette à l’air hagard qui marchait vers l’école, en sens inverse des étudiants, de la boue sur la joue, les cheveux poisseux de terre et son appareil photo à la main. Saurie colla son nez contre le torse de Lucas qui referma les bras sur elle. Gael baissa la tête pour inspirer. Le fantôme traversa les portes sans les voir et continua, elle ne se rendit même pas compte que le Cercle des bêtises s’étaient tassés pour l’éviter. Perséphone pâlit et interrogea le trio perturbé :

—Vous avez vu le fantôme de Gisèle ?

Gael fronça les sourcils et Persy expliqua :

—Je tenais souvent la main de Saurie la nuit avant que l’on trouve le moyen d’éloigner les esprits errants loin de la maison. Elle avait tellement peur d’eux lorsqu’elle était petite. Ils venaient la harceler la nuit et lui demandaient plein de trucs sans sens, elle ne savait pas quoi faire et moi je les engueulais même si je ne les voyais pas. Je sais reconnaître lorsqu’un revenant passe tout près désormais. J’ai froid jusque dans les os.

Elle fit la grimace :

—À voir vos têtes, Gisèle est morte et elle donnait l’impression de sortir de sous la terre.

Leur air terrorisé fut une réponse. Elle se frictionna les bras vigoureusement.

—Je peux me joindre à vous ? Pas trop envie de me rendre seule chez-moi, l’autobus nous dépose à trois maisons de chez-nous habituellement. Presque devant la demeure de Gisèle, en fait.

Gael frissonna :

—Dorénavant, je vous ramasse le matin et je vous dépose le soir. Hors de question que je vous laisse marcher dans la rue toutes les deux tant et aussi longtemps que ce monstre sanguinaire ne sera pas arrêté.

Lucas ébaucha un sourire malgré lui.

—Bienvenue dans le Cercle des bêtises, Persy.

Elle lui tira la langue. Ils s’engouffrèrent deux minutes plus tard dans la Camaro noire de Gael sans échanger une parole.

*****

Le père de Lucas avait la même idée que son fils. Le tueur en série aurait-il le culot d’enterrer Gisèle Malonet vivante au même endroit que les deux autres ? Les chiens policiers et une escouade complète d’hommes et de femmes fouillèrent les lieux, en vain. Impossible de trouver Gisèle. Une semaine s’écoula après sa disparition, puis deux et finalement trois. Lorsque cela fit deux mois après le premier meurtre, on ne parlait déjà plus de ce tueur qui avait dû quitter les environs de la petite ville tranquille de Beldecour. Gael et Lucas finirent par conclurent que les cousines Mannigan n’étaient plus en danger et les filles reprirent l’autobus matin et soir pour l’école. L’automne allait se terminer sous peu, les drames du début d’année scolaire n’intéressaient plus personne, sauf la dame blanche hantant le domaine des Murray que ces morts avaient perturbé.

*****

Lucas fit sursauter Saurie et Perséphone en s’appuyant sur le casier de la plus courte des deux Mannigan.

—Vous serez à la soirée d’Halloween de Patrick Champlain ?

Saurie pâlit et Perséphone tourna une boucle rouge (elle changeait de couleur au gré des saisons) entre ses doigts.

—Je pensais que j’avais été clair que nous n’étions pas tes amies, Mathis.

Gael saisit brusquement Persy par la taille, la souleva du sol pour la déposer plus loin et ainsi s’appuyer près de Saurie.

—Quand il dit vous, Persy, c’est pour être polie. Alors, tu viens à la soirée ce soir, Saurie ?

L’intéressée plissa le nez, dédaigneuse.

—L’Halloween est la fête des morts, alors vous imaginez que je ne place jamais le nez dehors ce soir-là.

Lucas lui dédia un sourire jovial :

—Justement, on aimerait ne pas être les seuls perturbés.

Jada Kerridan la petite-amie, et ex-petite-amie selon son humeur, de Gael s’immisça dans le groupe.

—Gael, tu fais quoi ?

—Je demandais à Saurie si elle venait à la fête de Patrick Champlain ce soir ?

Jada braqua un regard méprisant sur la jeune fille qui lui allait à peine au nez.

—Ce qu’on s’en fout de cette larve.

Gael ouvrit la bouche et la referma aussitôt, et bien malgré lui, lorsque Persy saisit Jada par les cheveux et la tira vers l’arrière.

—Dégage, la conne.

Jada se massa le cuir chevelu, les dents serrées.

—Mikelson, tu vas me payer ça.

Saurie passa sous le bras de sa cousine qui faisait un geste de la main fort peu sympathique à Jada et se planta devant la brunette trop maquillée et aux vêtements moulants.

—Mikelson c’est ma cousine et ces deux gars-là ce sont mes amis même si je ne comprends pas pourquoi. Tu veux ton petit jouet personnel, tu le prendras quand j’en aurai fini avec lui. Autrement, dégage, Jada. Ta vue m’horripile.

Jada dévisagea, ulcérée, la petite chose qu’elle pensait être effacée et insignifiante. Saurie lui tourna le dos pour retourner à son casier, mais s’arrêta brusquement pour l’interroger avec une mine ingénue :

—Oh, j’y pense, tu sais ce que veut dire horripile ? Je n’ai pas utilisé un vocabulaire trop recherché pour toi, j’espère ?

Jada serra les poings. Elle bouillait de rage, mais elle passa aux larmes lorsqu’elle croisa le regard amusé de son copain des six derniers mois.

—Je te déteste, Gael !

Il ne chercha même pas à la rattraper et ramena son attention sur Saurie.

—Tu sais te défendre, la grenouille.

Elle leva les yeux au ciel. Lucas ignora son ami d’enfance et agrippa Saurie par les épaules pour qu’elle lui fasse face.

—Alors, tu veux bien être traumatisée avec nous au party de Patrick ?

—Est-ce que vous ne pourriez pas éviter un traumatisme ?

—Tu veux dire ?

—Vous pourriez venir chez-moi au lieu d’un party où il y aura plein de fantômes ?

Perséphone se tapa le front de sa main.

—Ben oui, le soir où oncle Bernard et tante Mesra ne sont pas là, tu invites deux garçons à la maison. Moi, je vais au cimetière avec mes copains et si j’ai de la chance l’un d’eux tombera dans une fosse fraîchement faites et hurlera de terreur.

Saurie battit des cils.

—Tu ne veux pas passer la soirée à la Mannigan avec ta cousine et ses deux meilleurs amis sangsues ?

Persy ébaucha un lent sourire.

—À la Mannigan ?

—À la Mannigan.

Lucas grimaça en s’adressant à Gael par-dessus la tête de Saurie.

—T’es certain qu’un party avec plein de fantômes autour ne serait pas moins dangereux ?

Gael passa une main nerveuse dans ses cheveux.

—Je préfère qu’on soit tous les trois lorsqu’il y a plein de revenants. Je n’ai jamais aimé l’Halloween à cause de tous ces morts que personnes ne voient.

Lucas grommela :

—Alors, va pour une soirée à la Mannigan, même si je doute que je vais aimer cela.

Persy posa le coude sur l’épaule de Gael avec un air enchanté. Elle avait presque sa grandeur avec les hauts talons de ses bottes gothiques.

—Oh, vous allez aimer ! Il faut vous déguiser, sinon ce ne serait pas l’Halloween, la fête des morts.

Saurie ne dit rien, mais Gael surprit son petit sourire en coin. Il se dégagea, Persy faillit tomber dans le mouvement, et il enfonça les mains dans les poches de son jeans.

—Je ne suis pas ton accotoir, Persy.

Ils s’éloignèrent chacun en sens inverse lorsque la cloche sonna, histoire d’informer leurs bandes respectives qu’ils ne se sentaient vraiment pas bien et ne sortiraient pas en ce soir mémorable. Saurie fut la seule qui ne mentit à personne, car elle n’avait pas d’amis à part eux.

*****

Ce fut Perséphone qui ouvrit la porte à vingt heures pile. Elle avait deux lulus qui lui donnaient un air gamin avec ses cheveux rouges qui lui tombaient ordinairement sur les épaules. Elle portait une robe de petite fille du genre Alice au pays des merveilles, mais rouge ornée de boucles blanches, courte à mi-cuisse avec jupon blanc et une crinoline rouge vif, ainsi que de hautes bottes rouges aux lacets blancs. Gael pouffa de rire et s’inclina. Il était déguisé en chapelier fou et aurait pu faire concurrence à Johnny Deep dans le film de Tim Burton de 2010. Perséphone trouva cela très drôle. Elle appuya sur la sonnette pour qu’ils puissent entendre le bruit étrange d’outre-tombe que cela faisait et éclata de rire devant la mine craintive de Lucas.

—T’inquiète, Dracula, tu ne passeras pas les prochaines heures aux portes de l’Enfer !

Elle ferma derrière-eux.

—L’aîné des six Mannigan se nomme Bernard, c’est lui le chef de maison, mais il ne veut pas qu’on fasse réparer quoi que ce soit par des étrangers. Il veut tout faire lui-même, sauf qu’il ne le fait jamais. Le toit coule, la cave prend l’eau, les fenêtres font passer l’air, la tuyauterie de la cuisine est bouchée une fois sur deux, etc., etc. La sonnette de l’entrée c’est le cadet de ses soucis, mais on a l’impression d’être dans la maison de la famille Adams quand on l’entend.

Elle pouffa de rire lorsqu’ils s’arrêtèrent à l’entrée du salon, surpris.

—Bienvenue à une soirée à la Mannigan !

La grande pièce était éclairée par des bougies, des chandeliers et des pots transparents où on aurait cru voir des lucioles. Le courant avait été fermé partout sauf dans l’entrée de la demeure. Saurie jaillit alors de la pièce adjacente qui était la salle à manger dans un mouvement de tissus diaphanes avec deux grandes ailes vertes dans son dos dont les paillettes accrochaient des éclats de lumière. Gael siffla pour montrer son admiration et elle rougit. Lucas s’inclina :

—Vous êtes magnifique petite fée.

Il se redressa et montra ses faux crocs.

—On pourrait vous croquer toute crue.

Elle balaya l’air de sa main.

—Sottise, Dracula. Je goûte le citron et le fenouil, alors pas bonne du tout à manger pour des carnivores.

Gael s’avança pour toucher une aile, impressionné par le déguisement.

—Vraiment beau. Si je te pousse du toit, tu pourras t’envoler ?

Saurie lui donna un coup de poing dans l’estomac et il crampa, le souffle court :

—C’est pas supposé être doux et gentils les fées ?

Persy haussa les épaules avec un sourire aguicheur en se hissant sur un petit bureau ancien.

—J’sais pas, tu en connais beaucoup de fées, toi ?

Gael lorgna sur ses jambes gainées d’un filet rouge qu’elle croisa devant elle. Lucas lui donna une tape derrière la tête et il en perdit son chapeau haut de forme. Saurie les ignora et retourna à la salle à manger. Elle revint dans la seconde avec un plateau. Lucas s’avança vers elle :

—Qu’est-ce que c’est ?

—Du cidre confectionné par mon oncle. Des dés, des feuilles et un crayon.

Il fronça les sourcils :

—Le cidre, je comprends, mais le reste ça sert à quoi ?

Saurie leva la tête pour croiser son regard et lui dédia un grand sourire joyeux.

—Pour une soirée à la Mannigan !

Gael jeta un coup d’œil à Persy qui semblait rigoler de la situation.

—J’ai l’impression, Mathis, que nous sommes tombés dans un piège.

Lucas acquiesça, mais les filles les invitèrent à s’asseoir par terre, sur des coussins installés autour de la vieille table du salon en bois. À leur grande surprise, une soirée à la Mannigan c’était une soirée de jeux de société en commençant par une partie de Yahtzee !

*****

Lucas et Persy étaient très compétitifs, Gael jouait pour le plaisir sans se casser la tête et Saurie perdait constamment en grommelant qu’elle n’avait pas de chance. Ils s’amusaient et rigolaient, ce qui comptait le plus à leurs yeux en ce soir des morts. Lucas remporta une partie de « Pige dans le lac » et hurla sa joie comme un loup. Persy pouffa de rire.

—T’es un vampire, pas un loup-garou !

Lucas mima une version vampire/loup-garou et ils se tordirent tous, hilares. Saurie se leva pour amener dans la cuisine les assiettes sales de leur encas guacamole et salsa avec croustilles au blé. Un fracas de vaisselles les fit sursauter et ils s’élancèrent vers le bruit.

Saurie était debout devant la fenêtre, qui se trouvait au-dessus du lavabo et du comptoir. À l’extérieur une femme aux longs cheveux noirs vêtue d’une robe blanche cognait de ses ongles sur la vitre. Des débris de verre étaient répandus autour de la jeune fille. Gael évita de regarder la femme qui devait avoir des jambes extrêmement longues pour se trouver à hauteur de la taille lorsque l’ouverture était à au moins huit pieds du sol. Il attrapa Saurie par les hanches, la souleva pour la passer à Lucas qui la déposa loin des éclats qui pourraient transpercer ses petites ballerines. Perséphone attrapa le balai et le porte-poussière dans une armoire.

—Laisse-moi deviner. Tu as vu un fantôme dehors ? J’ai des frissons, le mort doit être encore là.

Saurie hocha la tête, toujours sous le choc.

—Je l’ai déjà vu quelque part.

Lucas grimaça à la remarque de Gael.

—C’est une dame blanche, un spectre qui hante la cour ou les jardins d’une demeure, parfois les routes aussi. C’est un mythe aperçu souvent en Europe et en Amérique du Nord.

Gael se tourna à demi vers lui, tout en gardant un œil sur la revenante qui continuait à cogner sur la fenêtre.

—Mythe ? Pour le moment, ça m’a l’air bien réel et elle veut nous dire quelque chose.

Persy cessa de nettoyer les dégâts.

—Tu veux dire qu’elle essaie de parler ?

Lucas expliqua :

—Elle cogne sur la vitre.

Perséphone se redressa avec le porte-poussière dans les mains.

—Des mouvements aléatoires, non répétées ou comme du morse de manière constante et répétée au même endroit ?

Saurie ouvrit la bouche de stupeur.

—Elle cogne toujours à la même place. Vous comptez les coups ?

Gael s’approcha de la fenêtre et fit signe à la dame blanche de continuer. Elle gardait son air perdu sur ses traits cadavériques, mais s’activa davantage. Gael imita sur le comptoir le bruit sur les carreaux. Persy sortie son téléphone des poches dissimulées de sa robe et les enregistra. Après deux minutes de ce manège, le fantôme cessa et continua sa ronde sans but précis dans le jardin. Gael se hissa sur le comptoir pour jeter un coup d’œil dans la nuit obscure.

—Elle est partie. À part une dizaine de revenants qui déambulent dans la cour comme s’ils jouaient à un jeu, je ne vois pas de dame blanche.

Saurie lui fit signe de descendre d’un air écœuré :

—N’attire pas leur attention. Ils jouent au criquet sans équipement. Ils sont bizarres depuis que tante Mesra les a chassés de la maison.

Persy acquiesça :

—Ils jouaient à cache-cache avant qu’on les jette dehors et terrorisaient Saurie constamment en sortant de nulle part.

Lucas préféra ne pas poser de questions et termina de nettoyer et de ranger, pendant que les autres se rendaient au salon pour écouter l’enregistrement. Lorsqu’il les rejoignit, ses amis faisaient jouer le message codé pour la troisième fois.

—Je ne sais pas ce que ça veut dire.

—Moi non plus, Saurie.

Lucas acquiesça à la remarque de Persy, mais s’arrêta brusquement dans le mouvement pour demander :

—Fais-le reculer encore.

La rouquine artificielle s’activa. Gael était avachi sur le plancher, des coussins derrière la tête.

—On dirait une chanson.

Lucas cogna du poing sur la table du salon, les faisant tous sursauter.

—C’est ça ! C’est « Céline » une des chansons les plus populaires en 1966. C’est cette musique qui aurait inspiré la mère de Céline Dion de la nommer ainsi.

Perséphone réfléchit à voix haute.

—Oui, c’est vrai. C’est la musique d’Hugues Aufray, mon père l’adorait. Ça fait cinquante ans de cela si c’était en 1966.

Saurie poussa un petit cri en faisant un lien.

—La dame blanche, je sais qui elle est !

Gael s’assit.

—Moi aussi.

Lucas et Persy les dévisagèrent. Gael expliqua :

—Je me disais qu’elle était familière et c’est parce que j’ai vu sa photo récemment lorsque les médias ont ramené sur le sujet la mort d’Hélène Maréchal suite aux meurtres de Marjorie Trudel et de la journaliste. Ça fait cinquante ans qu’Hélène a été assassinée, vous vous rappelez ?

Ils furent debout tous les quatre dans la seconde. Saurie s’affola la première.

—C’était Hélène Maréchal et elle voulait nous dire quelque chose.

Persy se mordit les lèvres, songeuse.

—Si c’est le même tueur, elle doit savoir qui il est et voulait peut-être nous conduire jusqu’à lui.

Lucas grimaça comme s’il venait de boire quelque chose d’amer.

—T’es folle ! Je ne vais pas suivre un fantôme pour trouver un meurtrier !

Saurie était déjà près de la porte d’entrée.

—Moi oui ! C’est peut-être quelqu’un de Beldecour et pas un étranger de passage comme le supposait les médias.

Gael la retint d’ouvrir le battant en s’y appuyant.

—Vous savez ce que raconte la chanson Céline ?

Ils firent tous non de la tête. Gael chercha sur son téléphone, trouva la mélodie et activa le vidéo en disant :

—Écoutez bien les paroles.

Ils portèrent une attention presque religieuse aux lyriques de la musique. Lorsque ce fut terminé, Gael rangea son téléphone dans les poches de sa veste rapiécée de Chapelier fou.

—C’est son frère qui lui parle, qui lui dit qu’ils resteront toujours avec elle, la sœur qui a sacrifié son bonheur personnel pour veiller sur sa famille.

Lucas se balança sur ses talons d’avant en arrière.

—Tu veux dire que son message peut avoir un rapport avec son frère Pierre ?

Gael les observa à tour de rôle.

—Vous ne comprenez pas que c’est peut-être Pierre Maréchal qui a tué sa sœur autrefois car la fille modèle qui gardait sa famille soudée voulait peut-être fuir avec un bon à rien ? Il l’a gardé à Beldecour malgré elle.

Persy maugréa :

—Ou bien elle voulait nous dire que son frère était en danger.

Saurie soupira :

—C’était peut-être simplement pour qu’on comprenne qui elle est et son meurtre il y a cinquante ans.

Gael secoua la tête.

—Je doute qu’elle voulait qu’on fasse seulement ce lien là car elle aurait pu nous cogner contre la vitre l’air de n’importe quelle autre chanson populaire de l’époque. Je pense qu’elle l’a choisi pour une raison spécifique dans l’espoir qu’on intervienne et qu’on retrouve le corps de Gisèle Malonet.

Ils s’éloignèrent tous de l’entrée et retournèrent au salon. Le reste de la soirée se déroula sur des spéculations et des déductions pour finir par décider de surveiller étroitement Pierre Maréchal, tout en faisant une recherche approfondit sur le drame s’étant déroulé cinquante ans plus tôt à Beldecour.

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