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Chapitre 5

Chapitre 5

Dominer les gens, pouvoir en faire ce qu'il voulait, voilà ce qu' Ivan Clotaire aimait. Le fait que je contrecarre  ses projets la seconde fois qu'il s'est pointé en retard ne lui a que très moyennement plû.

— Vous m'avez encore fait attendre docteur, me suis-je permise de lui signifier la main du petit Joël dans la mienne.

Somnolant, le pauvre  enfant se tenait accroché à moi comme un naufragé à une bouée de sauvetage. Ignorant la présence de son fils, Ivan s'est plutôt évertué à me déshabiller du regard.

— Cette tenue ne vous va pas du tout, a t-il lâché sans gêne. 

Surprise, j'ai froncé les sourcils.

— Je vous demande pardon ? 

Intriguée, j'ai tout de suite jeté un coup d'œil à mes vêtements. Pour la journée qui venait de s'achever, j'avais opté pour un look décontracté. Une simple chemise blanche que j'ai sagement fourrée dans un jean.

—Vous n'auriez pas dû mettre ce pantalon, m'a fait remarqué Ivan. Les robes comme celle que vous portiez hier ça, ça vous va mieux.

Avais-je bien entendu ? Ivan sans être habilité à le faire, se permettait de critiquer ma façon de m'habiller. La logique aurait normalement voulu que j'en sois offusquée. Étrangement, ça n'a pas été le cas. Pour la première fois, l'homme pour qui je semblais être totalement invisible jusque-là me faisait une réflexion personnelle. Ce n'était pas tout à fait un compliment. Mais ça en avait l'air en tout cas. 

Ahuri, je l'ai fixé bouche bée. Ainsi, j'ai moi-même  pu remarquer le changement qui s'était opéré chez mon interlocuteur. Ivan Clotaire était particulièrement bien apprêté ce soir. Les cheveux soigneusement coupés, la barbe fraichement rasée, il était élégant dans un costume bien repassé. 

Contrairement aux précédentes fois où je l'avais rencontré, le jeune médecin avait fait un effort vestimentaire. Était-ce à mon intention ? Incertaine, je n'ai plus eu de doute quand je l'ai vu brandir  une bouteille de vin. 

— Pour vous, m'a t-il déclaré en me la tendant. C'est un cadeau pour vous avoir fait attendre hier. Et aujourd'hui aussi.

Je suis restée perplexe. Je n'en revenais pas de tant de surprises. Ivan me faisait-il la cour à sa manière ? M'en rendre compte a eu vite fait de m'attendrir. Cet homme qui paraissait torturé par des démons dont j'ignorais encore  la nature avait pris le soin de se faire tout beau. Pour moi. Rien que pour moi, Ella. Profondément touchée par cette attention, je me suis sentie envahie par un sentiment, une émotion étrange que j'ai eu dû mal à définir. La vérité c'est que cet homme commençait à me plaire. Mais vraiment ! L'enveloppant  d'un regard tendre je me suis saisi de la bouteille.

— M..merci monsieur, enfin docteur !

En silence, Ivan a hoché la tête.

— Venez, nous allons dîner, je vous raccompagne ensuite.

C'était un ordre. C'était un ordre plus qu'une invitation. Mais c'était un ordre auquel j'ai eu du mal à ne pas obéir. 

— Merci pour la proposition, me suis- je excusée embarrassée. Mais ce soir, je suis attendue. Je prendrai donc un taxi.

En face de moi, j'ai vu alors le regard d'Ivan se durcir.

—Pourquoi ? m'a t-il demandé sèchement. Laissez-moi deviner ! C'est à cause du fameux petit ami c'est ça ? Vous allez le rejoindre ?

Mal à l'aise, j'ai acquièscé.

—En effet.

—Je vois, a fait sobrement Ivan.

Le jeune médecin était contrarié. C'était aussi évident qu'un nez en pleine figure. Constater cet état de fait m'a navré. Mais je n'avais pas le choix. Gérard m'attendait. Il s'impatientait même à en juger les nombreux textos dont il inondait ma messagerie. Ce soir, je lui avais promis une soirée toride. Je ne pouvais pas le planter. Pas deux fois de suite. Pas pour le docteur sexy. Redevenu froid, ce dernier a prit congés.

—Bien, bonne soirée à vous.

Se tournant enfin vers son fils, il lui a tendu la main.

—Viens Joël, l'a t-il appelé.

Le regard fixement posé sur le petit garçon qui s'est détaché difficilement de moi pour le rejoindre, Ivan m'a ignoré royalement. De nouveau, j'étais invisible. Curieusement, cette idée m'était insupportable. Alors vers le père et le fils qui sortaient de l'école, j'ai fait un pas, puis deux avant de changer d'avis. Comme un éclair qui m'a frappé, j'ai eu un sursaut de lucidité. Qu'étais-je en train de faire ? me suis-je demandé soudain. Je n'allais  quand même pas courir après cet homme ? Bien sûr que non. D'ailleurs, pourquoi oserais-je faire une telle connerie ? J'étais en couple. J'avais un petit  ami formidable avec lequel je filais le parfait amour. Justement, ce dernier m'attendait. La bouteille de vin dans une main,  j'ai remonté  la hanse de mon sac à main  sur mon épaule. En partant de mon côté, je me suis dépêchée de rejoindre Gérard. 

Quand je l'ai retrouvé  quelques minutes plus tard, ce dernier m'a réservé un des acceuils les plus désagréables qui soit. Mon compagnon m'a fait une scène. Lui qui d'ordinaire était toujours d'un calme olympien était méconnaissable. Il était en colère. Savoir que le docteur Clotaire une fois de plus n'avait pas été ponctuel l'a mis dans tous ses états. J'étais abasourdie. Mais après réflexion, j'ai fini par comprendre sa réaction. Peut être que d'une certaine manière Gérard avait perçu  inconsciemment la menace qui planait sur notre couple en la personne d'Ivan ? A l'époque, je n'ai pas essayé de réfléchir à la question. J'étais si perdue. Gérard, mon compagnon depuis un an, celui que j'avais envisagé jusque-là  comme un mari potentiel semblait subitement fade à mes yeux. Luttant contre cette impression qui ne cessait de s'imposer à moi, je me suis contentée d'écouter son sermon.

— Ça ne peut plus durer Ella, m'a t-il aboyé. Tu dois mettre un terme à cette foutaise.  Cet homme abuse à la fin. 

Las de ses plaintes, j'ai capitulé sans résister.

— C'est vrai.  Tu as raison. Je vais lui parler. 

—Je ne veux pas que tu lui parles. Je veux que tu arrête cette mascarade. Tu sembles peut être l'oublier mais rien ne t'oblige à accepter qu'il se serve ainsi de toi.  Cet homme a les moyens. S'il veut faire garder son fils qu'il embauche une babysitter.

Gérard avait raison. Comme d'habitude. Son analyse de la situation était si logique que je ne pouvais pas continuer à la nier plus longtemps. Alors, je lui ai promis de faire le nécessaire.

— Demain, je lui dirais que j'arrête tout. Ne t'inquiètes pas. 

Debout, les poings sur les hanches, Gérard a eu enfin l'air satisfait.

— Ça vaut mieux comme ça crois-moi, a t-il déclaré en se rapprochant.

Sur son canapé sur lequel je me tenais assise, il m'a rejoint. La respiration soudain trouble, ses mains se sont posées sur moi. J'ai fermé les yeux. Voilà ! L'heure était venue. Je devais sans attendre tenir ma promesse. Étrangement, cette idée ne m'emballait plus autant que la vielle.

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