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Chapitre 1

Août 2015

Rosalie était tout excitée. Pour la première fois de sa vie, elle avait terriblement hâte de rentrer à la maison.

Elle était partie deux longues semaines loin de sa ville natale, à essayer de se dorer à la plage. Sans succès bien sûr, puisqu’elle avait la peau si laiteuse qu’elle rougissait au moindre faisceau de lumière. Mais elle s’en moquait totalement, bien qu’elle arbore de jolies taches de rousseur sur ses pommettes colorées. Sa longue chevelure rousse tombait en cascade sur ses épaules, cette dernière faisait souvent l’objet de nombreuses railleries à l’école, comme elle en fascinait plus d’un. Ses yeux d’un bleu étonnamment foncé détaillaient le paysage un à un, s’écarquillant à chacune de ses découvertes et brillant quelquefois de larmes lors de ses contemplations émerveillées. Ses lèvres, rondes et roses, suivaient de temps en temps ses prunelles miroitantes et esquissaient un magnifique sourire à mesure qu’elle s’approchait de ce qu’elle considérait comme son foyer.

C’était là-bas où elle avait grandi, auprès de ses parents qu’elle chérissait incroyablement. Ses souvenirs d’enfance avaient toujours été bienheureux à leurs côtés, quand bien même elle avait connu des épisodes quelque peu malencontreux, mais ils n’étaient pas bien importants parmi tout le reste. Ce qui comptait aujourd’hui, c’était qu’elle rentrait des vacances avec eux, reposée et diablement enthousiaste de poser enfin un pied à terre.

« Ma maison, songea-t-elle, ma vie. »

Son cœur s’emballa de liesse lorsqu’elle reconnut les atouts particuliers de son minuscule village, Heliana. Ils y étaient presque ! La commune était si petite qu’elle n’apparaissait sur aucune carte des Etats-Unis, mais elle était de loin la plus magnifique des contrées. La plus douce, la plus frétillante ; enfin…elle exagérait probablement puisqu’elle était beaucoup influencée par son patrimoine, ses souvenirs, ce tout qui faisait d’elle la jeune femme d’aujourd’hui.

Assise sur la banquette arrière de la voiture, Rosalie leva les yeux vers les oiseaux qui voletaient dans le ciel. Certains d’entre eux étaient perchés sur les petits arbres de la ruelle, d’autres se mettaient à boire dans les petites fontaines. Un petit chat tacheté de noir plaqua ses oreilles sur sa tête et se pencha sur ses deux pattes avant, prêt à bondir sur les oisillons. Il manqua de peu sa cible dans un soubresaut et retomba agilement sur ses pattes. La jeune fille sourit en le percevant secouer sa fourrure, il devait être déçu.

—  Rosalie, ma chérie, on arrive bientôt, la prévint sa mère en se tournant vers elle. Prépare-toi à revoir Kiera.

Elle acquiesça à ses paroles, les pensées cette fois-ci dirigées vers sa jeune chienne. Cette dernière devait les attendre impatiemment au niveau de leur paillasson, les oreilles dressées et la langue qui pendouillait dans son halètement. Ils l’avaient adoptée, il y avait deux ans de cela. Depuis son arrivée, elle avait énormément bouleversé leur quotidien, que ce soit pour les promenades, la nourriture, mais surtout pour sa tendre compagnie. Elle était jeune et vive, comme tous les autres canidés de son âge. Elle avait souvent besoin d’exercices, mais elle avait essentiellement besoin d’affection, dû à son triste passé.

Rosalie baissa les yeux en y songeant. Kiera avait été abandonnée par sa mère à peine le sevrage terminé. Ses éleveurs n’arrivaient pas à la vendre à cause de son pelage trop immaculé et son tempérament fougueux, alors ils l’avaient donnée à une association en attendant une adoption. Deux mois plus tard, ses parents l’avaient repérée, ils en étaient tombés sous son charme et lorsqu’ils l’avaient présentée à leur fille, celle-ci s’en était immédiatement attachée. Et depuis, elles ne s’étaient plus jamais quittées.

Leur voiture grise ralentit à l’approche de leur demeure. Rosalie tendit le cou et eut un sourire éclatant en remarquant que celle-ci les attendait fermement sur le rebord de la porte d’entrée. Dean l’avait sortie en sachant pertinemment qu’elle resterait ici, à guetter leur arrivée. La jeune fille se mit à rire lorsque Kiera se mit à aboyer, elle mit un pied à terre une fois que le véhicule s’immobilisa dans l’allée du garage et s’agenouilla pour accueillir sa chienne dans ses bras :

—  Oh, ma Kiera. Tu m’as manqué toi aussi, lui déclara-t-elle, les larmes aux yeux.

Elle la serra dans une douce étreinte, son cœur débordant d’amour. Elle se rendit compte à cet instant à quel point elle lui avait manqué. Elle était tout pour elle : sa confidente, sa meilleure amie, sa petite-sœur. A ses nombreuses peines, elle se trouvait toujours à ses côtés. Grâce à elle, elle se sentait aimée et elle n’était plus jamais seule. Rosalie se mit à rire quand Kiera lui lécha le visage, elle recula en fermant les yeux et lui caressa la tête tandis qu’elle continuait à lui laper la peau.

—  Non, arrête ! Tu es en train de me mouiller !

Elle savait que c’était sa façon de montrer son affection alors elle lui gratouilla les poils en guise de réponse. Celle-ci se laissa tomber à terre et se coucha sur le flanc pour profiter amplement de ses caresses. La jeune fille obtempéra et coula un regard sur son pelage opalin qui s’effritait légèrement sur chacune de ses chatouilles. Elle perdait beaucoup trop de poils, ce qui était une plaie à la maison, encore heureux qu’ils possédaient un bon aspirateur !

Rosalie laissa son attention se perdre dans les yeux bleu azur de l’animal, qui étaient un trait particulier des chiens de traineau. Elle idolâtrait ses iris et sa fourrure neigeuse, mais ce qu’elle enviait par-dessus tout était sa bonté, sa douceur et son agilité.  

Le sourire aux lèvres, la rouquine se redressa et observa Kiera se diriger vers ses parents. Julien Brunel, son père, éclata de rire lorsqu’elle se jeta sur lui. Il manqua de tomber à la renverse, mais fort heureusement pour lui, il se rattrapa à temps sur sa voiture. Il lui gratta derrière son oreille gauche en la sermonnant gentiment avant de se tourner vers l’arrière de son véhicule. Romane Brunel, quant à elle, se courba vers l’animal pour lui frotter les longs poils tandis que le père de famille ouvrit le coffre :

—  Rosie, tu peux m’aider à descendre les valises, s’il te plait ? s’écria-t-il en prenant une dans les mains avant de grimacer : Aie ! Bon sang, mon dos !

Rosalie se précipita vers lui tandis qu’il pestait en se tenant le bas du dos, ce dernier le faisait malheureusement souffrir depuis de nombreuses années, à cause de son travail. Il se plaignait souvent d’avoir mal puisqu’il ne bougeait pratiquement jamais de son bureau. Sa fille attrapa la poignée de son bagage, elle le sortit du coffre tant bien que mal et faillit se ramasser la figure en raison de son poids lourd. Une main s’agrippa à temps sur son bras pour la stabiliser sur le sol, elle n’eut pas besoin de savoir de qui il s’agissait, elle reconnaissait son parfum malgré elle. Elle en fronça aussitôt le nez, agacée : elle n’avait pas besoin d’aide ! Et surtout pas la sienne.

Malgré elle, malgré tout ce qu’elle éprouvait à son égard, de la rage principalement, son palpitant se mit à bondir plus précipitamment dans sa poitrine. Elle était furieuse de sentir à nouveau ses secousses qu’il ne méritait certainement pas.

—  Ça va aller ? retentit sa voix grave et inquiète.

La jeune fille s’extirpa sèchement de sa prise et le fusilla de regard. Dean se raidit à sa brusquerie soudaine. Elle lui en voulait toujours, ce qui n’était pas étonnant après ce qu’il s’était passé entre eux.

—  Non, c’est bon, rétorqua-t-elle froidement.

Elle fit rouler sa valise sur le bitume et ne lui adressa aucune œillade jusqu’à la porte d’entrée. Elle respira un bon coup en se sachant seule dans le couloir, son cœur battait encore la chamade, comme à chaque fois lorsqu’elle l’apercevait. Elle tenta désespérément d’ignorer ses martèlements, mais c’était trop difficile pour elle. Elle l’aimait toujours et le voir la faisait constamment souffrir. Elle se protégeait en réagissant ainsi avec lui, c’était l’unique moyen pour l’éloigner de son cœur meurtri. Il l’avait si détruit, brisé, piétiné…et elle ne savait que trop bien qu’elle ne s’en remettra jamais.

Rosalie se concentra alors sur ce qui la rassurait : son foyer. Elle respira l’odeur habituelle qui en émanait et reconnut aussitôt la lavande. Elle adorait ce parfum depuis qu’elle était toute petite, ses parents allumaient fréquemment des bougies de cet effluve, si bien qu’à présent la demeure sentait comme telle. Elle foula le parquet qui se mit à grincer au rythme de ses pas et explora des yeux le petit couloir où descendait un escalier en colimaçon. Elle grimpa à l’étage avec sa valise, non sans examiner distraitement les portraits qui défilaient sur les murs à chaque ascension. La majorité d’entre eux représentait son visage d’enfant, jovial et insouciant ; elle posait le plus généralement seule, mais son regard s’attarda plus précisément sur l’un d’entre eux. Elle se tenait aux côtés d’une fille brune et d’un garçon aux cheveux châtain clair ; ils souriaient tous les trois sur le cliché, d’une joie extraordinaire, mais aussi d’une immense ingénuité. Il s’agissait de Sarah Meiller et d’Ethan James, ses meilleurs amis depuis l’école primaire.

Elle effleura silencieusement la bouille rieuse et enfantine du petit garçon de douze ans. C’était fou ce qu’il lui manquait. Ils étaient toujours amis, bien qu’ils gardent de moins en moins de contact en raison de leurs obligations respectives. Ethan avait déménagé de leur petit village, quatre ans plus tôt, avec ses parents pour s’installer à Winchester, dans l’Etat de Virginie. Elle se souvenait de son éclat de tristesse quand il s’apprêtait à partir, il ne s’était jamais bien entendu avec ses parents et quitter ses deux meilleures amies était pour lui un déchirement.

—  J’espère que tu vas bien, murmura-t-elle-même si elle savait très bien que son image ne lui répondrait jamais.

Elle soupira et continua de monter les marches. Quand elle parvint à la porte entrouverte de sa chambre, elle la dégagea d’un geste simple de la main. Son terrier, comme elle aimait tant l’appeler, était resté comme elle l’avait laissé avant son départ. Son lit était défait, la couverture rose trainait encore par terre, son armoire était ouverte, laissant une vue sur ses vêtements mal rangés, et quelques feuilles de dessin jonchaient sur le sol. Rosalie haussa les épaules, elle se fichait pas mal du désordre, elle posa sa valise contre le mur et sauta à pied joint sur son lit.

Elle poussa un cri d’allégresse lorsque son oreiller entra en contact avec son visage, son odeur habituelle emplit ses narines et le drap housse se mit à lui caresser la peau. Rosalie ferma les yeux en se laissant transporter par la joie de se retrouver chez elle. Là-bas, les bungalows étaient loin d’être confortables, surtout leurs matelas bien fermes. Elle, ce qu’elle préférait était la douceur. Elle aimait sentir son corps se mouler sur la couette et s’enrouler dedans, de plus ces derniers portaient son arôme attestant qu’ils étaient bien à elle et à personne d’autre. Rose se mit à humer lentement son oreiller et automatiquement ses rêves reflétèrent sous ses paupières. Ces étranges rêves qu’elle faisait depuis qu’elle avait eu ses dix-huit ans, le mois dernier.   

Il y avait tout d’abord cet homme aux cheveux noirs qui apparaissait curieusement en plein milieu de ses songes. Il était incroyablement beau, du moins c’était ce qu’elle constatait de son physique plutôt avantageux. Il semblait avoir des muscles saillants sous ce tee-shirt sombre, mais son visage…elle ne parvenait jamais à l’apercevoir. Parfois, il lui parlait dans un de ses murmures, il lui disait qu’il souhaitait la sauver, mais de quoi exactement ? Elle ne le savait pas, parce qu’elle se réveillait toujours au moment où elle tentait de s’approcher de lui, et elle ne parvenait jamais, jamais, à le dévisager.

C’en était atrocement frustrant !

Et puis ce n’était pas tout. Elle voyait de plus en plus des renards dans ses rêves. Ils gambadaient de temps à autre avec elle, certains jouaient à ses côtés, mais ils semblaient faux et malins. Elle s’éveillait souvent en sueur lorsque l’un d’entre eux devenait méchant avec elle. Elle ne s’imaginait pas du tout qu’un aussi petit animal pouvait être aussi agressif, elle était persuadée de ne plus avoir de visage lorsqu’elle revenait à elle alors elle se précipitait devant un miroir pour voir si c’était le cas. Mais non, ce n’était qu’un cauchemar. Un affreux cauchemar, mais tout de même !

Rosalie se disait que son cerveau devait débloquer, dérailler. Elle reprenait depuis peu sa passion, le dessin, alors peut-être que son imagination devenait un peu trop affriolante, un peu trop débordante, et puis lorsque sa vie la rattrapait, elle en oubliait quelquefois les détails. Si explications, il y en avait…

Elle fut tentée de faire une sieste parce qu’elle était terriblement fatiguée de sa journée. Passer des heures entières assise à l’arrière d’une voiture était loin d’être amusant, elle avait des courbatures aux jambes et aux fesses, alors elle se permit de fermer un instant les paupières, jusqu’à ce que sa mère la tire de son lit :

—  Rosalie ! Tu n’es pas en train de dormir, j’espère ? Oh mais…c’est quoi ce désordre ? Quelle horreur ! Je viens de marcher sur un mouchoir ! Tu me feras le plaisir de nettoyer tout ça, jeune fille !

Elle leva les yeux au ciel en se redressant puis se pivota vers sa mère qui ordonna à Dean de lui filer ses affaires. Ce dernier acquiesça poliment et attendit qu’elle parte pour s’adresser à elle :

—  Tiens, tu as laissé ça sur la banquette arrière.

Il lui tendit ses croquis froissés, son sac à main et sa veste en jeans. Elle contracta la mâchoire en croisant ses yeux bruns et peinés, puis elle lui arracha des mains ce qu’il tenait en rompant immédiatement le contact. Il soupira quand elle lui tourna le dos. Elle ne lui pardonnera donc jamais ?

—  Hé, je t’ai déjà dit que j’étais désolé.

Elle l’ignora en tassant ses feuilles de dessins entre elles, quand bien même elle imaginait son regard désespéré. Il demeura silencieux en la regardant s’affairer autour de sa chambre, l’arrangeant tant bien que mal. Dean attendait une réponse de sa part. De toute manière, il ne partirait pas tant qu’elle ne lui aurait pas demandé. Il était un peu têtu sur les bords, même s’il savait écouter. Rosalie classa ses croquis dans son bloc note en continuant l’ignorer, ce ne fut que lorsqu’elle fit son lit qu’elle perdit patience :

—  Tu comptes rester planté là encore combien de temps ?

—  Jusqu’à ce que tu me demandes de partir.

—  Très bien, alors va-t’en ! Ouste !

Il rejeta sa tête en arrière pour expirer un râle, il s’exclama :

—  Pourquoi est-ce que tu es aussi méprisante, Rose ? Je me suis excusé à ton anniversaire, je n’ai pas arrêté de t’envoyer des messages ces derniers temps pour demander de tes nouvelles et toi, qu’est-ce que tu fais ? Tu m’envoies bouler !

—  Qu’est-ce que tu veux que je te dise, Dean ? Tu m’as profondément blessée ! Tes excuses, tu peux les mettre là où je pense ! Je n’en ai plus rien à faire de toi !

Il fronça les sourcils avant de fermer la porte de la chambre. Il ne voulait pas que les parents de Rosalie entendent ce qu’ils avaient à se dire, de plus que cette dernière haussait méchamment le ton. Il ne manquerait plus qu’ils se ramènent pour ajouter un peu de piment !

—  Dis-le-moi, Rosalie, dis-moi pourquoi est-ce tu m’évites ?!

C’en était trop pour elle. Elle refoula les larmes qui menaçaient de jaillir hors de ses yeux et se mit à lui hurler dessus :

—  Je t’ai dit que je t’aimais et toi, tu m’as jetée ! Tu n’es qu’un connard ! Un putain d’enfoiré qui se tape des filles de droite à gauche sans penser à la petite Rosalie qui traine constamment avec lui. Alors, oui, j’ai peut-être trop tardé pour faire ma déclaration, oui peut-être que tu me considères comme ta sœur, mais je ne méritais certainement pas un aussi grand rejet de ta part ! Ni…ce que tu m’as fait suite à ça !

Cette fois-ci, Rosalie ne pouvait plus retenir ses sanglots. Son corps tremblait face à la douleur qu’elle tentait de dissimuler sous ses sourires forcés, et ce dernier la fixait sans réagir, attendant qu’elle jette son venin, une bonne fois pour toutes.

—  Tu m’as fait du mal, Dean ! Tu…tu m’as brisée ! Je ne sais même pas pour…pourquoi tu as divulgué ma lettre à tout…tout le lycée ! Je ne comprends même pas comment tu as pu devenir aussi c…con ! Ni comment j’ai pu tomber amoureuse de toi !

—  Rose…ce n’était pas moi…je te l’ai déjà dit…c’était Eloïse.

—  Je te l’avais donné en main propre, tu as décidé de la faire lire à ta copine, donc tu es autant responsable qu’elle !

Il s’approcha d’elle pour la prendre dans ses bras. Il s’en voulait énormément. Il n’avait pas réfléchi quand il avait montré sa déclaration d’amour à son ex-petite-amie. Eloïse s’était moquée d’elle : comment pouvait-elle être aussi naïve ? Et puis, qui écrivait encore des lettres à l’heure actuelle ? Il avait haussé les épaules à ce moment-là et s’était dit qu’il lui avouera la vérité en temps voulu, et malheureusement pour la rouquine, il ne partageait pas ses sentiments.

Il était allé la voir au petit matin avant les cours, lui expliquant tout cela, mais la conversation avait fini par s’envenimer. Rosalie n’avait pas accepté son rejet, infiniment plus lorsqu’il lui avait confié qu’elle était comme une sœur pour lui. Ils s’étaient disputés. Violemment. Elle, lui exprimant ses quatre vérités et en le traitant de goujat ; et lui, lui révélant qu’elle était trop dans sa bulle, qu’elle était puérile et qu’il ne fallait pas s’étonner qu’aucun garçon ne l’ait pas encore touchée. Aussitôt ces mots prononcés, Dean s’en voulut amèrement. Ses paroles avaient dépassé sa pensée, mais il était trop tard pour faire marche arrière alors elle le gifla, le regard à la fois empli de haine et de tristesse.

Il avait attendu l’après-midi pour lui présenter ses excuses sauf que le drame arriva : une photo de la lettre en question fut exposée au grand public, et la malheureuse l’avait signée de son nom. Elle se fit harceler jusqu’à la fin de sa scolarité, durant trois longs mois, et elle refusa obstinément de lui adresser la parole, même à son dix-huitième anniversaire où il avait fait des pieds et des mains pour lui faire part de ses regrets.

Jusqu’à aujourd’hui…

Le visage criblé de larmes, Rosalie plaça ses mains sur son torse tandis qu’il s’apprêtait à l’enlacer. Elle le repoussa férocement, l’expression enragée. Dean écarquilla les yeux dans son mouvement, il manqua de se fendre le crâne contre le mur mansardé et se tint au dernier moment grâce au rebord de sa petite fenêtre. Il était sidéré par sa robustesse, quand bien même elle tremblait de rage et tendait les muscles fins dans ses bras. Depuis quand avait-elle appris à maîtriser une aussi grande force ? Cette question resta en suspens parce qu’elle craqua totalement devant lui. Encore une fois. Il lui lança un regard abattu et s’avança jusqu’à elle.

—  Je t’en prie. Je ne veux pas te perdre, la supplia-t-il d’une voix douce.

Elle refusa de le dévisager en couvrant son visage de ses mains, elle recula lorsqu’il tenta de l’approcher de nouveau :

—  Va-t’en ! je ne veux plus jamais te revoir !

—  Rose…

Elle cessa de cacher sa figure pour le fusiller du regard :

—  Ne m’appelle plus comme ça, tu as perdu ce droit ! s’exclama-t-elle avant de lui pointer du doigt la porte de sa chambre, je te demande de partir ! Maintenant !

Il l’observa, ahuri, et abaissa ses bras contre son flanc. Elle avait un air si revêche qu’elle pouvait faire peur à n’importe qui. Ses yeux bleu foncé le foudroyaient intensément, il crut même apercevoir une légère lueur dans ses pupilles sombres, comme si un éclair ambré s’abattait véritablement au cœur de ces dernières. Ses sourcils roux se froncèrent, formant des rides colériques sur son petit front et plissant tout aussi bien son joli nez en trompette. Et sa bouche…elle qui souriait si souvent, se tordait dorénavant en une terrible grimace.

Dean s’avouait vaincu. Il avait perdu son amie pour toujours, rien ne sera plus jamais comme avant. Il baissa la tête et quitta lentement sa chambre. Quand il referma la porte derrière lui, Rosalie ne put s’empêcher de jeter sa trousse de coloriage contre le battant, le choc fit voler en éclat les petits crayons de couleur et elle se mit à pleurer de rage en se laissant tomber à terre.

Elle l’avait aimé, maintenant elle le détestait. Il avait tout fichu en l’air. Elle aussi.

Pourquoi l’amour faisait-il aussi mal ?

La jeune fille réussit à se calmer au bout de plusieurs minutes, et se plongea dans sa passion. Elle laissa son imagination prendre le dessus pour dessiner ce qu’elle voyait depuis des semaines. Son crayon glissa fébrilement sur sa feuille, il colora de temps à autre certains traits en noir et lorsqu’elle le finit en une heure de travail, elle contempla son œuvre en le dressant sous son nez. Il représentait l’homme de ses rêves. Elle lui avait fait des cheveux longs et noirs, des épaules larges, un torse vaillamment musclé, mais un visage gribouillé. C’était ça qu’elle percevait dans les profondeurs de la nuit, et elle ne voulait surtout pas l’oublier.

Rosalie ne descendit pas dîner ce soir, prétextant qu’elle avait trop copieusement mangé au restaurant ce midi. Elle termina sa soirée à ranger sa chambre, non sans tomber sur quelques étonnantes découvertes comme les vieux mouchoirs usagés. Sa mère avait raison, son terrier était devenu un véritable taudis. Non pire que ça : une porcherie.

Elle se vautra sur son lit quand elle en eut assez. Elle attrapa nonchalamment son téléphone et vérifia qu’aucune notification n’encombre son écran. Seule sa meilleure amie avait pensé à elle, lui demandant si elle était bien rentrée. Elle lui répondit alors en souriant : « Coucou Sarah, oui je suis arrivée cet après-midi. Et toi, tout va bien ? On peut se voir demain ? Tu me manques ma belle ». Elle verrouilla son portable et le posa sur sa table de chevet. Il fallait qu’elle lui dise que Dean avait encore essayé de se faire pardonner. Sarah était rancunière quand on faisait du mal à ses amis, elle le détestait depuis leur première année au lycée et encore plus lorsque sa déclaration d’amour avait fait le tour parmi les élèves.

 « Si tu veux mon avis, il ne te mérite pas. Si vraiment il te considérait comme sa sœur, pourquoi aurait-il fait ça dans ton dos ? On ne fait pas ça à ses amis, c'est un enfoiré, c'est tout ! lui avait-elle dit quand Rosalie s’était mise à pleurer dans ses bras ».

La rouquine sourit en pensant à sa meilleure amie. Elle avait toujours été là pour elle, elles ne se quittaient jamais depuis la petite enfance et ça lui déchirait le cœur de savoir que dans quelques jours, elle passera son année universitaire loin d’elle. Le Royaume-Uni, ce n’était pas la porte d’à côté.

Tout à coup, Rosalie entendit un bruit sourd à l’extérieur. Elle en fit un bond, se pivotant vers l’origine de l’incroyable tonalité. Que cela pourrait-il bien être ? Dans un mouvement plutôt lent et faisant preuve d’une grande curiosité, elle se redressa et avança avec prudence jusqu’à la fenêtre. Elle guetta son quartier qui s’était assombri à la nuit tombée. La pleine lune resplendissait dans la pénombre, elle était jaune et donnait une impression de grandeur, vu sa proximité actuelle avec la Terre. Les étoiles décoraient le ciel et semblaient tenir compagnie à l’astre lunaire et les lampadaires s’étaient naturellement éveillés à l’appel du crépuscule.

Il n’y avait rien d’anormal, à première vue. Cela devait être son voisin névrosé qui faisait des travaux à une heure tardive. Elle secoua la tête en se disant qu’elle devenait folle et fut tentée de décoller son nez de la vitre, sauf qu’elle aperçut au dernier moment une silhouette en face de sa maison. Rosalie fronça les sourcils, l’ombre fouillait dans une poubelle à la recherche de quelque chose. C’était sûrement un sans-abris qui furetait dans les déchets, alors pourquoi sentait-elle ce mauvais pressentiment tout au fond de sa poitrine ?

Elle eut la réponse au bout de quelques secondes d’observation. L’inconnu était plutôt grand, simplement vêtu d’un tee-shirt à manche courte et d’un jeans troué, mais elle ne s’attendait pas à ce qu’il se tourne brusquement vers la demeure de Rosalie. Prise sur le fait, elle se cacha au plus vite sous la fenêtre en lâchant un cri apeuré. Son cœur se mit à bondir plus fort contre sa cage thoracique, son souffle se mêla dans ses petits hoquets et elle ouvrit en grand la bouche, éberluée. Elle en était sûre, elle l’avait vu de ses propres yeux. Quand la silhouette s’était retournée, ses pupilles avaient scintillé. Aussi soudainement que cela.

Elle était persuadée d’avoir croisé son regard alors qu’il était à des lieux d’ici, ses prunelles étincelantes l’avaient pratiquement aveuglée, elle voyait même des petits points blancs autour d’elle, mais elle n’en restait pas moins estomaquée. Des yeux jaunes comme la lune, des yeux brillants comme les chats la nuit. Ce n’était pas normal. Pas du tout !

Rosalie attendit quelques minutes avant de se décider à épier encore une fois. Elle gonfla ses poumons pour l’emplir de courage et regarda discrètement.

L'homme avait disparu.

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