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Chapitre 4

Nous avions dû passer pas mal de temps à nous battre avec la duchesse car Missy ne tarda pas à arriver dans la cuisine et en voyant le désordre ses yeux devinrent enragés. Je me levais doucement et commençais à ranger avec l'aide de la duchesse qui était loin d'avoir fini ses perles. Tout comme durant la semaine dernière je l'ignorais et elle ne me parla pas non plus.

J'avais mal partout mais ayant l'habitude cela ne m'empêcha pas de travailler. Je rangeais donc en silence perdu dans mes pensées. J'étais épuisé de toutes ces attaques contre la duchesse et j'étais soulagé d'avoir enfin pu me défouler même si cela s'était révélé être un échec cuisant. J'aurais dû être furieux mais il n'en était rien. J'en avais marre d'être en colère. Je n'allais rien accomplir dans la vie en frappant bêtement dans tous les murs que je croisais.

Me battre contre la duchesse avait eu le don de me faire réaliser cela et je me demandais si elle n'avait pas fais exprès de me provoquer pour que je me défoule enfin et me sente mieux. Je secouais la tête. Elle devait sûrement avoir fait ça purement pour me prouver l'écart de force et pour m'impressionner.

Tandis qu'elle travaillait, la duchesse ne fredonnait plus. Elle devait elle aussi sentir l'après coup de notre bataille et je remarquais même qu'elle avait du mal à utiliser son bras gauche et qu'inconsciemment elle se touchait souvent le poignet. Je souris. Elle n'était pas inhumaine après tout et ressentait la douleur elle aussi.

Cela faisait une semaine que j'étais ici et je voyais bien que je n'étais plus traité comme un esclave mais ce calme me frustrait au plus haut point. Si je n'étais pas son esclave alors pourquoi dont m'avait-elle acheté? Je ne comprenais rien aux motifs de cette femme et cela m'intriguait. Toutes les personnes travaillant dans ce château n'étaient pas ici depuis plus de deux-trois ans à part Missy et ça aussi c'était étrange.

Au marché la duchesse avait eu l'air d'avoir une certaine renommée et tour le monde avait renoncé à m'acheter quand elle était arrivée montrant qu'ils savaient qu'elle était très riche mais aussi que quand elle voulait un esclave elle l'avait. Ce n'était donc pas la première fois qu'elle achetait des esclaves mais où étaient-ils passés?

S'ils étaient eux aussi du personnel dans le château alors je devais les trouver mais passant toute ma vie dans les cuisines ça s'annonçait plus compliqué que prévu. Tout le château devait être au courant qu'Audrey et moi étions des esclaves mais personne n'était venu à notre rencontre. Peut-être étaient-ils aussi très occupés mais j'avais un mauvais pressentiment.

Je décidais de ne pas attendre pour mener mon enquête et prenais Jean à part la seconde où il arriva dans la cuisine mais j'eus à peine le temps de lui dire bonjour que Missy nous assigna à nos tâches respectives et je dus aller travailler. Tant pis j'allais lui demander plus tard.

La duchesse disparut quelques heures après ayant fini ses perles. Elle devait sûrement être entrain de petit-déjeuner. Après ce dernier nous avions en général une petite pause mais cette fois nous devions préparer le bal alors je n'eus pas le temps de parler avec Jean pendant toute la journée.

La duchesse réapparut comme à son habitude le soir venu et passa le balais avant d'aider dans la préparation du bal. Son poignet avait pris une teinte bleue mais ne l'empêcha pas de travailler. Cependant quand Missy remarqua sa blessure elle insista pour qu'elle se fasse bander le poignet. Elle accepta sachant qu'elle ne pouvait pas la raisonner.

Plusieurs personnes se levèrent proposant d'aller lui chercher un bandage mais un certain Maximilien fut l'heureux gagnant. Il coura aussi vite que possible et réapparut en quelques secondes essoufflé. La duchesse le remercia chaleureusement et voulut lui prendre la boîte mais Maximilien insista pour le faire.

Je levais les yeux au ciel exaspéré. En me voyant faire Missy rappela à Maximilien qu'il avait du travail et me demanda à moi d'aider la duchesse. J'ouvrais des yeux ronds tandis que la duchesse levait son regard calme vers moi. Nous nous détaillâmes quelques secondes en silence avant que je ne me décide à m'asseoir en face d'elle.

Je savais bien que si Missy m'avait ordonné de le faire alors je n'allais pas pouvoir m'y soustraire. Je décidais donc d'en finir au plus vite en silence. Je prenais son poignet sans ménagement ce qui la fit sursauter. Je m'arrêtais une seconde avant de reprendre avec plus de douceur. Une fois que j'eus fini j'allais me lever mais la main de la duchesse sur mon bras m'en empêcha.

Je la jaugeais de haut en bas perplexe tandis qu'elle continuait à me transpercer de son regard clair. Je haussais les sourcils en réponse à quoi ses yeux allèrent de ma chaise à moi me faisant comprendre que je devais me rasseoir. Chose que je ne fis pas.

"C'est ton tour d'être soigné."

Je fronçais les sourcils mais elle me regardait avec tant d'insistance que je finis par m'exécuter. La duchesse détailla mes bras ne sachant où commencer. Elle finit par s'attaquer aux blessures petit à petit et une fois qu'elle en eut fini avec mes bras elle approcha sa chaise pour soigner les blessures sur mon visage. Je reculais par réflexe quand ses doigts touchèrent ma joue. En me voyant me reculer ses doigts se figèrent en l'air attendant que je revienne vers elle. Chose que je finis par faire en baissant les yeux. Elle était si proche de moi que je n'osais pas la regarder dans les yeux. Pas que son regard m'intimidait mais simplement parce que je ne trouvais pas cela naturel.

Je ne m'étais pas rendu compte que je m'étais fais tant de bleus et d'égratignures à cause de mes nombreuses chutes. Je m'attendais aussi à ce que les doigts de la duchesse soient glacés mais au contraire ils étaient presque brûlants. Partout où ils passaient mes poils se hérissaient. La duchesse faisait preuve de tellement de douceur que je ne savais plus qui était en face de moi.

Cette personne qui me soignait avec tant d'application ne pouvait pas être celle responsable de mes blessures. Tout comme quand elle faisait les perles, elle se concentrait sur mes plaies et les soignait les unes après les autres avec application. Je voyais du coin de l'œil les regards curieux nous observer. Je me rendais soudain compte de l'incohérence de la scène. La duchesse qui soignait son esclave. Cette duchesse était tellement étrange qu'elle devait sûrement cacher un immense secret. Il ne me restait plus qu'à découvrir lequel.

Tandis que je me disais cela la duchesse finit de me soigner le visage mais ne se leva toujours pas. Quand je me rendis compte qu'elle me fixait je fronçais les sourcils perplexe. La duchesse posa les yeux sur mon t-shirt et je frissonnais ayant l'impression qu'elle était capable de voir à travers.

"Quoi?

-Enlève ton haut."

Des mauvais souvenirs firent immédiatement surface.

"Pourquoi?

-Je veux voir si tu as d'autres blessures.

-Pas besoin."

Elle haussa les épaules n'insistant pas et je me détendais. Je la regardais ranger le matériel avant de se lever pour aller ranger la boîte. En la voyant faire Jean lui proposa naturellement d'aller ranger la boîte mais la duchesse lui fit signe que ce n'était pas nécessaire.

Tout le monde se remit donc à son travail dans la bonne humeur. La duchesse réapparut peu après et se remit elle aussi en action. Quand elle fut assez proche de Mireille cette dernière lui demanda si elle allait bien. La duchesse lui sourit avec douceur touchée par son inquiétude.

En cuisine la duchesse était une tout autre personne. Pas que dans sa manière de s'habiller ou de se comporter mais aussi dans son statut social. Dans la cuisine elle n'était pas une duchesse mais un simple membre du personnel. Les autres étaient certes légèrement impressionnés mais la traitaient quand même comme l'une des leurs. Ils semblaient lui vouer une admiration sans faille que les autres personnes travaillant dans le château n'avaient pas forcément.

Comme me l'avait déjà dis Cédric, la plupart du personnel ne voyait jamais la duchesse. Ils travaillaient et vivaient dans des conditions très favorables alors ils lui étaient reconnaissants mais cela s'arrêtait là. Quelques uns oubliaient même à qui appartenaient les lieux.

La question naturelle qui se posait était qui était vraiment la duchesse. Une femme mystérieuse et froide ou un membre du personnel toujours prêt à aider? Elle avait l'air très forte pour jouer un rôle mais on ne pouvait pas savoir lequel était un rôle et lequel était réellement elle.

Je trouvais les personnes mystérieuses et hypocrites comme elle pires que le reste des humains sur cette Terre. Au moins ceux qui m'avaient frappé et enfermé n'avaient jamais fais semblant d'être de bonnes personnes. Je ne pouvais pas faire confiance à la duchesse. Elle semblait être une personne des plus réfléchies. Elle avait sûrement quelque chose de prévu pour moi. Mais quoi?

Cependant la duchesse ne semblait pas non plus être le genre de personne à raconter des mensonges. Ses phrases étaient courtes mais toujours crues et honnêtes. Elle ne devait pas éprouver la nécessité de mentir. Elle n'en avait pas besoin pour arriver à ses fins. Devais-je donc la faire parler?

Après tout il fallait garder ses ennemis près de soit et j'allais apprendre beaucoup plus vite son secret en la suivant qu'en posant des questions à Jean qui semblait d'ailleurs beaucoup aimait la duchesse.

Je secouais la tête. Décidément je n'arrêtais pas de changer d'avis. Il y a même pas 24 heures je lui avais sauté dessus pour la tuer et voilà que je voulais lui parler pour en savoir plus sur elle. Ce deuxième plan semblait bien plus intéressant que le premier. La duchesse m'était bien plus utile vivante. Je devais simplement faire attention à ne pas la laisser me manipuler. Je devais toujours être deux pas devant elle. J'allais découvrir son secret et savoir où étaient les autres esclaves.

Une fois notre travail fini la duchesse se volatilisa et je m'approchais de Jean pour lui proposer de faire le chemin vers nos chambres ensemble. Ce dernier sembla très heureux de cette proposition. Cédric avait lui aussi pris l'habitude de venir me chercher après le travail et cette fois encore m'attendait devant la porte. Je n'avais plus besoin de son aide pour trouver ma chambre ou celle d'Audrey mais j'appréciais sa compagnie.

Cédric et Jean se saluèrent chaleureusement se connaissant déjà. Cédric étant chargé de l'organisation dans le château devait connaître pas mal de personnes et cela jouait en ma faveur. Cédric lui-même devait être très heureux de son poste se rapprochant plus que les autres de la duchesse en organisant ses réceptions etc.

Je décidais de lancer la conversation de la duchesse indirectement:

"Je ne pensais pas que les bals demandaient tant de travail. La duchesse en organise souvent?"

Cédric hocha la tête.

"La duchesse est connue pour organiser les bals les plus majestueux du pays. Après le roi bien sûr. D'accoutumée elle en organise un tous les trois mois.

-Ça fait beaucoup.

-Les autres membres de la noblesse attendent ces événements de pied ferme.

-Et qu'est-ce qui se passe au juste à un bal?

-Il y a de la musique, beaucoup de nourriture. Les invités dansent et mangent toute la nuit.

-Ça a l'air assez ennuyant."

Cédric secoua vigoureusement la tête tandis que Jean riait.

"Tu verras une fois sur place. Tu souhaiteras que ça ne s'arrête jamais.

-Parce qu'on a le droit de participer ?

-Les bals de la duchesse sont les seuls où même les servants sont invités. Littéralement tout le monde peut venir. Au début ça a choqué mais de toute façon aucun membre de la noblesse ne voulait ramener son personnel donc c'était comme si cette règle n'existait pas. Ils ont même très vite fini par l'oublier éblouis par la beauté des lieux. Le personnel de ce château est donc le seul à assister aux bals. Ça fait deux ans que j'ai la chance de participer aux bals personnellement et rien que pour ça je ne vais jamais démissionner."

Je me demandais pourquoi la duchesse avait mis en place cette règle mais ne posais pas la question. Je me doutais déjà de ce que les garçons allaient répondre. L'un était ébloui par la froideur de la duchesse et l'autre au contraire par sa chaleur.

"Je ne suis pas spécialement pressé de participer à un bal mais au moins je pourrai mieux faire la connaissance des personnes vivants dans ce château.

-Je te présenterai tout le monde si tu veux. La duchesse nous fournit même des vêtements pour ces occasions mais tu n'auras pas de mal à nous dissocier des nobles.

-Je me demandais...

-Oui?

-Est-ce que tu connais d'autres personnes comme Audrey et moi? J'aimerais bien les rencontrer et savoir comment ils ont fais pour oublier leur passé."

Une ombre passa devant les yeux de Cédric et Jean baissa la tête.

"Je comprends parfaitement et j'aimerais pouvoir t'aider mais malheureusement du peu de temps que j'ai été là, la duchesse n'a acheté que vous et trois autres personnes il y a plus d'un an. Depuis ils sont tous les trois partis du château.

-Comment ça partis?

-Ils sont restés un an puis ils ont décidé de partir vivre autre part. La duchesse a respecté leur choix et les a laissés faire. Je n'ai pas de nouvelle d'eux depuis."

Je fronçais les sourcils. Quel genre de duchesse laissait ses esclaves partir? Quelque chose n'allait pas mais Cédric et Jean ne semblaient pas le voir. Ils avaient dû mettre cette décision sur le fait que la duchesse les laissait libres de leurs choix et ne s'étaient pas posés de questions.

"Ils sont partis au bout d'un an? Et les autres esclaves que la duchesse a achetés?"

Cédric secoua la tête.

"Je n'en sais rien. Ils ne sont pas là non plus. Ils ont dû partir aussi avant mon arrivée."

Jean exprima son idée avec autant de douceur que possible.

"Je peux comprendre qu'ils veuillent partir d'ici. Peut-être que ça leur rappelle de mauvais souvenirs.

-Oui mais ils n'auraient jamais une meilleure place qu'ici."

Jean acquiesça. J'arborais un petit sourire faisant mine d'être moi aussi d'accord. Cet endroit sonnait trop beau pour être vrai.

"Et toi tu travailles ici depuis combien de temps, Jean? demandais-je.

-Depuis six mois bientôt sept. Je voulais apprendre à cuisiner pour ouvrir mon propre restaurant mais je n'avais pas assez d'argent pour entrer dans une école. Quand j'ai vu qu'on recrutait ici je me suis dis que c'était le destin."

Je lui souris. Jean se tourna vers Cédric.

"Et toi? Qu'est-ce qui t'as poussé à venir travailler ici?"

Cédric haussa les épaules.

"Tout comme la plupart des gens j'ai vu une annonce comme quoi ils recrutaient du personnel. Je ne savais pas vraiment quoi faire de ma vie alors je me suis dis que j'allais me lancer et quon verrait bien si ça allait me plaire. Mon père a été très énervé quand je lui annoncé que je ne serai pas avocat comme il le voulait."

Jean pinça les lèvres surpris de ne pas être au courant de cette information.

"Je n'ai jamais rien entendu au sujet de ta famille."

Cédric haussa les épaules de nouveau.

"Je n'en parle pas. On a coupé les ponts il y a deux ans. Tout le monde dans ma famille est avocat sans exception. J'ai brisé quelque chose de sacré aux yeux de mon père."

Il se tut un moment.

"Mais je ne regrette pas."

Jean sourit à Cédric avec une douceur extrême.

"Un jour ton père te pardonnera."

Nous fîmes le reste du chemin en silence et je passais voir Audrey avant de retourner dans ma chambre. Cette dernière était en bien meilleure forme qu'à notre rencontre. Ses joues s'étaient remplies et ses cernes avaient disparues. Son bien-être se voyait jusque dans son sourire qui était légèrement plus large que d'habitude. Elle avait cependant toujours du mal à marcher alors je l'aidais à se rasseoir après qu'elle m'ait laissé entrer.

"Tu as l'air fatigué."

Je souris.

"On travaille jour et nuit pour préparer ce stupide bal.

-Un bal?

-Tu n'en as pas entendue parler? Ça me surprend. Le château ne parle que de ça en ce moment."

Audrey secoua la tête. Maintenant que je la voyais enfin heureuse j'avais le sentiment étouffant que je ne pouvais pas me confier à elle au sujet de mes doutes ou de la disparition des esclaves. Je refusais de briser ce bonheur si récent soit-il. Être insouciant nous rendait souvent heureux mais je ne faisais pas parti de ceux qui aimaient ne pas savoir. Je refusais d'être heureux si cela voulait dire être aveugle. Mais Audrey avait besoin d'une seule chose là tout de suite et ce n'était pas la vérité. De l'espoir. Ses yeux criaient d'espoir que cette nouvelle vie soit bien réelle. Alors j'allais la laisser espérer.

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