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Chapitre 2

La petite fille. La fille de la femme qui venait de mourir à mes côtés. La fille de l'homme qui s'était enfermé dans le silence. La fille dont nous n'avions pas retrouvé le corps. Elle était là. Elle était vivante. Mais comment était ce possible? Personne n'avait jamais survécu à une alarme passée en dehors de la chambre forte. Ils s'étaient tous faits tuer par le monstre qui leur avait arrachés le cœur.

Sauf cette petite fille. Son cœur était bel et bien en place et fonctionnel. Ses longs cheveux blonds tombaient sur ses épaules avec douceur et la lumière les faisait briller comme si elle n'était pas entièrement humaine. Le visage de la petite fille était pâle mais elle n'avait pas l'air d'avoir été mal traitée ces derniers jours. Elle se tenait les mains et se contentait de nous fixer calmement comme si elle savait quelque chose.

Elle fut très vite entourée d'adultes qui lui posèrent des centaines de questions. Où était-elle passée? Comment allait-elle? Avait-elle vu le monstre? Comment cela se faisait-il qu'elle était encore en vie? La chose ne l'avait-elle pas attaquée? Mais la petite fille ne dit rien.

Son silence dura si longtemps que les adultes abandonnèrent de lui poser des questions. Ils la placèrent dans l'orphelinat où elle passa ses journées à dessiner. Je n'arrivais pas à la laisser tranquille contrairement aux autres adultes. Je n'avais nullement envie de lui poser des questions. Je ne voulais simplement pas qu'elle reste seule. Je m'étais occupée de sa mère et à présent qu'elle était morte j'avais comme l'impression que cette petite fille était sous ma responsabilité.

J'étais allée lui rendre visite à l'infirmerie dès le début. Je n'avais pas osé entrer lors de ma première visite et avais rebroussé chemin jusqu'à ma chambre au lieux d'entrer. J'étais donc restée allongée sur mon lit à penser à la fille en silence. Mais la deuxième fois je réussis à toquer.

Mon sang se glaça quand je la vis. J'avais moi aussi perdu mes parents. Je savais ce que cela faisait. C'était un traumatisme qui ne se réparait jamais. J'ignorais quoi dire ou quoi faire mais je devais l'aider.

La petite fille leva vers moi ses grands yeux bleus intriguée par le bruit avant de se reconcentrer sur son dessin comme si de rien n'était. J'attendais quelques instants avant de m'asseoir à ses côtés.

«Bonjour... chuchotais-je.»

La petite fille ne répondit pas. Je m'y étais attendue.

«Je m'appelle Loïa.»

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me réponde mais j'avais besoin qu'elle m'entende.

«Je suis désolée pour ce qu'il s'est passé...»

J'avais conscience que c'était pas la meilleure chose à dire mais je voulais qu'elle sache que j'étais là pour elle.

«J'étais proche de ta maman. Je le serai de toi aussi si tu veux bien.»

Sur ce je me tus. Je ne voulais pas l'oppresser. Je regardais ses dessins et fronçais les sourcils. Plusieurs feuilles étaient éparpillées sur la table et elles représentaient toujours la même chose. Une ombre. De la fumée. Quelque chose de sombre qui n'avait pas vraiment ni forme ni consistance. Le dessin aurait dû me faire peur surtout que la chose que la petite fille avait dessiné était sûrement le monstre duquel nous nous cachions mais je n'eus pas peur. Au contraire. Le dessin m'inspira de la confiance et cela me déstabilisa au plus haut point.

La petite fille avait représenté un monstre sans forme avec des expressions humaines. Sur un des dessins la forme souriait. Sur d'autres il était triste. Aucune émotion positive. Simplement des émotions humaines.

Je regardais la petite fille qui était concentrée sur son dessin. Elle était tellement calme que je fus encore plus perturbée. La petite fille devait sûrement exprimer ses sentiments à travers le dessin mais ils n'avaient rien de douloureux ou de traumatique. Le monstre était triste mais pas la petite fille. Elle n'avait pas peur du monstre. Elle l'aimait.

Elle savait réellement quelque chose que nous non. Je revenais donc à chaque fois que j'étais libre pour m'asseoir simplement aux côtés de la petite et pour la regarder dessiner. Je ne disais rien. J'observais simplement ses petites mains tracer encore et encore la même forme imposante. Quand elle fut en manque de noir elle passa au bleu. J'aurais pu lui ramener un autre crayon mais je sentais qu'elle n'allait pas l'accepter et puis je préférais le monstre en bleu.

Un jour je décidais de dessiner aussi. La petite fille me regarda un instant lorsque que je tendais ma main pour prendre un crayon au hasard mais elle se reconcentra très vite sur sa feuille. Je fis de même. J'avais beaucoup dessiné avant de me lancer dans la recherche. Cela faisait longtemps que je n'avais pas pris un crayon de couleur dans mes mains et il me fallut quelques secondes pour m'y habituer. Très vite l'habitude revint et je me lançais.

Je dessinais un vrai monstre. Une forme inhumaine. Quelque chose d'imposant et d'inquiétant. Une forme aux grands yeux jaunes et aux dents pointues. Je m'appliquais et le rendement fut tel que j'avais peur de ma propre œuvre.

Je posais mon crayon et au bout de longues minutes la petite fille lança un regard à mon monstre. Elle ne dit rien et le détailla longtemps.

«Il n'est pas comme ça.»

Je fus tellement surprise que la petite parle que j'en oubliais de répondre. Je crus que j'avais rêvé et la petite dut se répéter.

«Il n'est pas comme ça.»

Je secouais la tête pour me reprendre.

«Alors comment est-il? demandais-je doucement.»

La petite fille me tendit son dessin le plus récent. Dessus l'ombre arborait un grand sourire digne de bonhommes bâton.

«Il sourit? devinais-je.

-Non.

-Pourquoi? Il n'est pas content?»

La petite rit avec douceur comme si j'avais dit la plus grande des bêtises.

«Il ne peut pas sourire voyons. Il n'a pas de bouche. Et puis il est triste.

-Il est triste? répétais-je surprise.»

La petite fille hocha vigoureusement la tête.

«Pourquoi est-ce qu'il est triste?

-Parce qu'il est seul. Et parce qu'il est obligé d'être seul.

-Ah oui? Il ne peut pas se trouver des amis?

-Non. Il les tut.

-Pourquoi?

-Parce qu'il est obligé.

-Il ne veut pas tuer?

-Il n'est pas méchant. Il est gentil.

-C'est pour ça que tu l'as dessiné entrain de sourire?»

La petite fille hocha la tête.

«Et toi tu es son amie?»

Un sourire se traça sur les lèvres de la petite. Elle hocha la tête doucement, presque imperceptiblement. Je décidais de creuser un peu.

«C'est pour ça qu'il ne t'a pas tuée?»

Le sourire de la petite s'effaça d'un coup et ses yeux redevinrent vides. Je me mordais les lèvres. J'avais envie d'en savoir plus mais je ne savais comment m'y prendre. La fille n'avait pas l'aire très ouverte.

«Il te manque?»

La petite hocha la tête.

«Tu veux retourner avec lui?»

Elle hocha de nouveau la tête.

«Tu veux que je reste dehors avec toi lors de la prochaine alarme?»

La petite ne réagit pas à ma question. J'eus l'impression qu'elle ne m'avait pas entendue mais alors que j'allais me répéter, elle répondit.

«Non.»

Elle marqua une pause avant d'ajouter.

«Merci...»

J'ignorais pourquoi j'avais proposé cela mais je sentais que la petite voulait revoir le monstre. Je sentais qu'il ne lui avait rien fait de mal. Elle n'avait pas peur de lui alors je devais lui faire confiance. Mais je ne pouvais pas la laisser seule dehors. Je voulais qu'elle sache que j'étais prête à l'aider même si elle voulait sortir. Et puis j'étais curieuse. Je voulais voir ce monstre triste.

Rien ne me retenait à l'institut. La recherche ne me passionnait plus. Je n'avais que cette petite fille. Mais si elle me disait qu'elle ne voulait pas rester dehors lors de l'alarme alors il y avait une raison et je devais l'écouter.

«Tu ne peux pas le revoir? devinais-je.»

La petite fille acquiesça tristement. Je n'avais jamais vu une petite fille avec une expression si sérieuse sur le visage. Elle avait l'air plus vieille à cet instant précis. Plus mature.

Je décidais que j'avais posé assez de questions. La petite fille me lança un regard comme pour me remercier de mon silence puis nous nous remîmes à dessiner. Cette fois ci je dessinais un monstre beaucoup plus amical avec toujours une forme imposante mais sans dents pointues ni yeux jaunes. Une fois fini j'offrais mon dessin à la petite qui sembla très heureuse et touchée. Ses yeux se mirent à briller et mon cœur se serra.

Soudain l'alarme retentit. Nous échangeâmes un regard avec la petite avant de nous diriger côte à côte vers la chambre forte. Nous pressions le pas dans le calme et une fois dans la chambre nous nous assîmes contre le mur. La porte allait se fermer quand quelqu'un lança que quelqu'un était au bout du couloir.

Les chercheurs decidèrent que nous avions encore le temps pour attendre l'arrivée de la silhouette. La porte resta donc ouverte et certaines personnes crièrent à la silhouette de se dépêcher. Cette dernière marchait en traînant les pieds et ses mains étaient posées au niveau de son cœur.

Alors que la silhouette se rapprochait, je pouvais distinguer ses traits de plus en plus. Je pus vite voir à quel point le visage de l'inconnue était pâle. Je pouvais vite remarquer ses longs cheveux noirs en bataille tomber en cascades devant ses yeux. Je pouvais distinguer ses traits quand elle fut à quelques mètres de la chambre. Mais je ne pouvais pas voir ses yeux. Ces derniers étaient ouverts sans vraiment avoir de consistance.

Un frisson me parcourut et je me tournais vers la petite. Elle me regarda droit dans les yeux avec calme. J'avais raison. Je me retournais vers l'inconnue. Je n'aurais jamais cru réagir comme cela quand je le verrai. Je pensais que j'allais hurler, pleurer, courir... Mais mon cœur était calme. J'avais compris.

Je ne dis rien. La petite fille non plus. Nous nous contentâmes d'observer les personnes présentes dans le calme. L'inconnue finit par entrer dans la chambre forte et les portes se formèrent derrière elle.

La petite fille et moi nous levâmes en même temps. L'inconnue vit la petite. Pour la première fois ses yeux devinrent plus humains. Des centaines d'émotions passèrent devant ses yeux en l'espace d'une seconde et ces émotions disparurent tout aussi vite qu'elles étaient apparues.

Je pris la main de la petite et ensemble nous attendîmes la fin.

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