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Chapitre 4

Contrairement à Mere, Shanaz se sentait parfaitement à sa place. Quoi de mieux pour une psychologue qu’un endroit aussi déprimant ? Elle avait toujours apprécié son travail aimant aider les personnes à démêler les fils de leurs vies mais elle devait avouer que son cerveau était nettement plus occupé depuis qu’elle était ici. Rien que dans le monde normal des dizaines de personnes l’appelaient pour demander son aide mais à présent Shanaz était persuadée qu’elle n’allait plus jamais supporter de retourner dans le vrai monde.

Pas que Shanaz ne voulait pas voir ses patients guérir. Elle n’avait rien d’autre en tête que les aider. Nous pouvions affirmer sans problème qu’elle était la psychologue la plus acharnée de la cité. Mais disons qu’elle ne regrettait pas chaque matin enfermée dans la cité. Au moins nous ne pouvions pas dire qu’elle n’était pas passionnée par son travail. Même lors de la cérémonie elle ne pouvait s’empêcher de détailler les visages en silence.

Shanaz avait toujours eu du mal à se concentrer sur une seule tâche ou à écouter quelqu’un parler trop longtemps. Ce ne fut donc pas étonnant qu’elle décrocha du discours du Maire après deux minutes. Au vu de sa personnalité, personne de son entourage n’aurait pensé qu’elle serait devenue psychologue. Passer toutes ces heures à écouter quelqu’un parler ? Shanaz en était incapable dans la vie de tous les jours mais quand elle se retrouvait en face de quelqu’un qui avait besoin d’aide tout se calmait dans sa tête. Comme si un brouillard épais se levait et qu’elle pouvait enfin voir. Elle pouvait passer des heures à écouter les patients. Et plus leurs vies étaient tristes plus elle était concentrée.

Elle reconnut certains de ses patients dans la foule et certains lui sourirent tristement. Ils n’avaient pas tous l’air tristes. Shanaz commença à noter leurs expressions remarquant chaque détail : « Il a les yeux grands ouverts. Il a peur. Il ne va pas tenir longtemps à ce rythme. Quand je pense à toutes ces heures de travail qu’il faut recommencer. Quant à lui il a l’air vraiment triste. Il aurait voulu les sauver et s’en veut d’être aussi faible. Elle est indifférente. Elle a enfouie tous ses sentiments et je me demande dans combien d’années va ressortir son traumatisme. »

Vu les conditions de vie de la cité Shanaz n’était pas surprise qu’autant de personnes cherchaient à parler. Elle était d’autant moins surprise que la cité forçait les habitants à parler à une personne diplômée au moins une fois par semaine pour réduire les suicides. Mais ils étaient loin d’être assez de psychologues pour toute la cité. Tout comme les chercheurs, ils travaillaient d’arrache pieds et la grande part de ses collègues se plaignaient de ces conditions inhumaines.

En parlant du loup, Shanaz les croisa après la cérémonie et les suivit à la salle café avant leurs prochains rendez-vous. Comme d’habitude Shanaz ne suivit pas mot à mot. Elle avait du mal à retenir plus de trois mots sur cinq de ce qu’ils disaient mais elle était très forte pour deviner ce qu’ils allaient dire. Ce n’était pas non plus des plus remarquables. Tous les jours leurs conversations se passaient de la même manière : Andrei se plaignait et les filles approuvaient ses dires le nez dans leurs cafés. Pendant qu’ils parlaient Shanaz pensait donc à ses patients et comptait les minutes avant de voir le prochain.

« Vous avez entendu ce qu’on dit ? Apparemment ils ont été tués dans la chambre forte.

-Quoi ? C’est impossible. Où est-ce que tu as entendu ça ?

-J’ai un ami dans la police. D’après lui la porte n’a même pas été forcée.

-Mais alors comment a-t-il pu entrer ? Ne me dis pas que quelqu’un lui a ouvert ? »

Andrei haussa les épaules en grimaçant. En y pensant bien Shanaz ne l’avait jamais vu avec une autre expression qu’une grimace. Elle ne l’avait pas remarqué avant parce que les sourires n’étaient pas des plus courants ici.

« Quelqu’un est peut-être de mèche avec le démon.

-Ne parle pas de malheur ! Qui serait assez fou pour faire ça ?

-Tuer sa propre espèce… Il faudrait être fou pour faire ça.

-Ou vraiment désespéré.

-C’est justement ce que nous essayons d’éviter.

-Mais tu as vu les conditions dans lesquelles ont est sensés sauver ces pauvres innocents ? Personne ne peut faire de progrès ainsi. Le temps que nous ayons enfin mis en place une confiance il y a une nouvelle victime.

-Une seule ? Plutôt des dizaines. A cette vitesse on ne va pas survivre longtemps.

-Mais pour en revenir sur la cérémonie, ton ami policier est sûr de son info ?

-Cent pourcent. Il a vu la porte de ses propres yeux.

-Elle a dû mal être fermée.

-Rassure toi comme tu le peux.

-On ne pourra jamais le savoir de toute façon. Tout le monde est mort dans la chambre forte.

-J’espère juste que la rumeur ne va pas se rependre.

-Tu rigoles ? Bien sûr qu’elle va se répandre. Un quart de la cité est déjà au courant.

-Ce n’est pas pour rien qu’ils ont voulu garder ça secret. Si les habitants venaient à l’apprendre ce serait la panique totale. Ils n’auraient plus confiance dans leur seule source de sécurité. Je n’ose même pas imaginer le carnage.

-J’espère qu’ils vont quand même trouver une explication au plus vite. Si les chambres fortes ne marchent pas alors autant rester dans les couloirs à attendre.

-Ne dis pas ça. Ca vaut toujours le coup de se battre pour vivre.

-Laisse moi tranquille. Je ne suis pas ton patient.

-Ca ne veut pas dire que tu ne peux pas avoir besoin de parler.

-Je vais très bien. Je ne suis pas comme les suicidaires.

-Ne les appelle pas comme ça.

-Comment ?

-Tu le dis comme s’ils étaient une nuisance.

-Ne le sont-ils pas ?

-Comment est-ce que tu peux dire ça ? N’es-tu pas le mieux placé pour comprendre ce qu’ils ressentent ? Ne peux-tu pas te mettre à leur place deux secondes et comprendre toute la douleur qui les pousse à agir ? »

Andrei haussa les épaules lasse.

« Sans eux nous serions beaucoup plus tranquilles. Je suis sûr que Shanaz est d’accord avec moi. »

En entendant son prénom la jeune femme revint d’un coup dans la conversation. Elle avait beau ne rien avoir écouté elle savait parfaitement ce qu’avait demandé Andrei. Tous les regards se tournèrent vers elle attendant son avis sur la question et elle haussa les épaules à son tour.

« Andrei supporte visiblement la situation en prenant du recul sur la vie et en faisant comme si les suicidaires comme il dit n’étaient pas des personnes entières. Peut-être que ça rend la tâches plus facile pour lui et dans ce cas je n’ai rien à ajouter. Il fait comme il peut. Comme nous tous. »

Ils ne semblèrent pas convaincus par sa réponse mais Shanaz s’en fichait. Elle n’était pas ici pour les satisfaire. Elle était ici pour comprendre et aider et malgré les airs froids d’Andrei, contrairement à lui elle ne mettait de côté personne.

Une fois son avis partagé les autres l’ignorèrent de nouveau et Shanaz se perdit dans ses pensées très vite.

« Il ne faudrait tout de même pas mettre toutes les pensées avec des pensées suicidaires dans le même panier. Ceux qui veulent quand même guérir et demandent notre aide méritent toute notre énergie. Mais ceux qui se laissent manger par le démon sont hors d’atteinte. Ils me font peur. »

En entendant cela Shanaz ouvrit de grand yeux :

« Parce que tu as le droit de trier qui est-ce que tu sauves ?

-Non, bien sûr que non. Si je le pouvais j’aiderais tout le monde mais la secte qui a voué un culte au démon ou ceux qui se mettent debout au bord des bâtiments me font peur. »

Shanaz n’était pas d’accord. Les personnes qui se laissaient manger par le monstre étaient désespérées et elle se serait battue de toutes ses forces pour les sauver. Nettement plus que pour des personnes moins sombres. Après Shanaz était peut-être différente. Elle aimait la noirceur. Mais elle ne fit pas part de cette pensée aux autres. A la place elle sourit :

« J’aime bien la secte du vertige.

-Ah oui ? Pourquoi ?

-Ils font passer un message fort d’envie de vivre. Les autres devraient prendre exemple sur eux. »

Shanaz n’avait encore jamais parlé à un membre de la secte du vertige. On les appelait comme cela parce qu’on les voyait souvent debout tout en haut des bâtiments. Au début les habitants avaient cru qu’ils étaient des suicidaires comme les autres mais très vite ils furent perturbés en voyant qu’ils ne sautaient jamais. Ils se contentaient de se tenir au bord du gouffre pendant de longues minutes avant de repartir chez eux. Si proches de la mort et pourtant triomphants. Shanaz trouvait cela magnifique.

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