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Le robot
Le robot
Auteur: Lakhita

Chapitre 1

Je suis incapable d'aimer. Et ce depuis que je suis née. Personne n'est au courant mais moi c'est tout ce que je vois. Les autres me décriraient comme quelqu'un de froid ou de distant. Ils doivent sûrement se dire que je suis introvertie ou solitaire ou même timide. Mais moi je me dis simplement que je suis vide. Je suis incapable d'aimer. C'est dure à comprendre au début mais croyez moi on s'y fait.

Je suis capable d'autres émotions comme par exemple le soulagement, la tristesse, la peur, le bien être ou même la joie. Cependant la plupart du temps c'est juste froid. Un vide total qui occupe mon cœur. Tellement que j'ai développé une habitude où je porte la main à mon cœur parfois dans la journée comme pour vérifier qu'il est toujours là.

Je ne m'étais pas vraiment rendue compte que j'étais différente tant que je n'avais pas commencé à lire des comptes de fée. Pour moi j'étais normale. J'étais comme j'étais depuis toujours mais en voyant les princesses et princes tomber amoureux je me rendis compte que cela me rendait totalement indifférente.

Parler avec des enfants de mon âge plus tard me fit réaliser à quel point le faussé entre nous était profond.

J'étais allée voir des médecins mais j'avais vite abandonné parce que je n'avais pas de réponse satisfaisante. A les écouter les questions que je leur posais relevaient de la fiction et il était impossible que cela arrive dans la vrai vie. Ils me disaient que l'amour était une question de donnant donnant et qu'il était possible qu'il soit plus difficile pour un enfant ayant reçu peu d'amour étant petite de s'aimer et de s'ouvrir aux autres mais que notre capacité à aimer ne pouvait pas être complètement altérée.

Quand j'insistais certains s'énervaient me traitant de têtue mais quelques uns se sont laissés porter par leur imagination et m'ont donnée des hypothèses plus complexes les unes que les autres. J'avais toujours été fascinée par la biologie mais malgré mes bonnes notes je n'étais pas assez avancée dans mes études à 6 ans pour comprendre ce qu'ils racontaient.

Globalement ils parlaient de cocktails d'hormones dans le cerveau responsables du sentiment d'amour et il était question d'inhibition de récepteurs ou d'incompétence. J'avais souvent entendu les mots: Hypothalamus, Hippocampus, Amygdala, Pituitary Gland ou encore Anterior Cingulate en anglais. Je m'étais renseignée et avais découvert que c'étaient des parties du cerveau soit disant impliquées dans le fait de tomber amoureux. Dans ce processus était aussi impliqué le NGF dont j'avais aussi beaucoup entendu parler.

Ces mots inconnus étaient vites devenus comme une berceuse pour moi. Malgré le fait que je ne les comprenais pas, surtout le fait que je ne les comprenais pas, ils me rassuraient ne me laissant pas seule dans les moments d'incompréhension.

Je m'étais vite lassée des explications des scientifiques car ils ne me donnaient pas de pistes pour guérir. J'avais donc fini par accepter mon état. Je n'avais pas de quoi me plaindre. N'ayant jamais été amoureuse j'ignorais ce que je manquais et je n'étais donc pas embêtée plus que cela. J'étais simplement curieuse. Qu'est-ce que cela faisait d'aimer quelqu'un? Aimer au sens large. Parce que je ne pouvais pas aimer au sens large.

Je n'étais pas triste d'être différente. Je n'avais jamais eu de complexe par rapport à mon état mais je me sentais mise à l'écart de ce monde centré autour de l'amour.

Je n'avais jamais eu d'amis tout simplement parce que je n'en avais jamais ressenti le besoin. Enfin d'après mon psychologue c'était surtout parce que je n'arrivais pas à faire de connexions étant différente. Petite cette différence avait entrainé du harcèlement mais j'avais eu le bon réflexe d'en parler à mes professeurs. Je m'étais donc retrouvée à l'écart mais on ne m'avait plus embêtée. A la fac c'était différent. Tout le monde s'en fichait si je m'asseyais seule en amphi. Je me sentais transparente. Comme si je ne faisais plus qu'un avec mon cœur vide.

Ma famille vous demandez? Je ne les ai jamais connus. J'ignore ce qui leur est arrivé. Ne me plaignais pas je n'avais jamais manqué de rien. L'orphelinat avait bien pris soin de moi et m'avait bien élevée. J'avais été inscrite chez une psychologue par la police et je n'avais arrêté d'y aller que récemment. J'étais devenue majeure et je pouvais prendre mes propres décisions. Ma première décision étant majeure après avoir donné mon sang était d'arrêter de parler de moi à une inconnue. Cela ne me faisait pas de bien. Au contraire. Je me sentais disséquée. D'après elle c'était une mauvaise idée. J'avais besoin de me confier apparemment mais je n'en ressentait pas le besoin personnellement. Je n'avais pas à m'ouvrir.

Je devais passer par la gendarmerie pour qu'ils me parlent de mon enfance mais je repoussais la date. J'étais curieuse certes. Mais quelque part je redoutais d'en savoir plus sur mon passé. Quelque chose avait dû se passer. J'avais dû vivre un certain traumatisme vu que je ne me souvenais de rien avant l'orphelinat. Mais je n'arrivais pas à me décider à y aller. On me disait que j'irai quand je serai prête. Sauf que je n'avais pas envie d'être prête. J'avais appris à vivre avec moi même. J'avais mes petites habitudes et mon quotidien. Je ne voulais pas le bouleverser.

J'allais donc continuer à rester chez moi après les cours. A me faire à manger puis à travailler. Et dans mon temps libre j'allais lire, dessiner, faire du piano ou travailler encore plus. Je n'avais pas le temps de m'ennuyer. C'était ironique. Malgré mon incapacité à ressentir certaines émotions j'étais dotée de talents diverses et je pouvais reconnaître la beauté dans l'art. Pas seulement le mien mais l'art en général. Parlant de manière objective je savais que je dessinais bien et je savais que j'avais un don pour la musique.

A l'orphelinat on m'avait souvent dis qu'au lieu de faire des études je devrais me lancer dans l'art ou devenir chanteuse mais cela ne m'avait jamais attirée. Je ne voulais pas être au centre de l'attention. Je ne voulais pas me faire connaître. Je ne voulais pas partager mon art et je ne voulais pas interagir avec mon espèce. En revanche je voulais comprendre ce qui m'arrivait. J'allais donc faire des études.

Sauf que pour faire des études il faut de l'argent j'en suis consciente. J'en avais un peu suite à ma sortie de l'orphelinat et on m'avait aidée pour trouver un appartement mais cela n'allait pas être assez pour toujours. J'ai donc envisagé l'idée de vendre mes œuvres ou de chanter dans des bars. Je me faisais une somme non négligeable et cela me forçait à sortir et à prendre l'air.

J'allais souvent voir des expositions. Des peintures en règle générale. Mes peintures préférées étaient toujours les plus colorées et traitant le thème de l'amour. J'avais essayé de peindre sur ce thème mais je n'arrivais pas à duper mon crayon. Je ne pouvais pas dessiner quelque chose que je ne connaissais pas.

J'étais justement entrain de dévisager une œuvre pleine de couleur en me faisant ces remarques sur ma vie. Il y avait beaucoup de couleurs vives. Du rouge pour la femme et un saumon pour le garçon. Leur baisé ressortait du vert du feuillage. Je vis une valise aux pieds de la fille. Se disaient-ils au revoir? Étaient-ils tristes?

Je secouais la tête et décidais de m'intéresser à d'autres toiles. Pourquoi est-ce que j'aimais me faire souffrir ainsi? Pourquoi est-ce que je voulais savoir à ce point ce que ça faisait d'aimer? Ce n'était pas comme si c'était un besoin naturel. Mais dans tous les livres il y avait de l'Amour. Dans toutes les histoires. J'avais passé de longues heures de ma vie à observer les autres autour de moi et j'en avais conclu que l'Amour était leur raison de vivre. Ils en avaient besoin. Alors pourquoi pas moi?

Les autres passaient leur temps au téléphone avec leurs amis ou dans les bras de leurs copains/copines. Ils pleuraient quand ils n'allaient plus se voir pendant quelques jours et pleuraient aussi quand un être qu'ils aimaient mourrait. Si aimer infiltrait tant de peine alors pourquoi étaient-ils si dépendants?

Même les personnes les plus solitaires avaient quelqu'un qu'ils aimaient. Même les personnes les plus timides aimaient leurs parents. La plupart avaient des amis et une grande famille. Je ne voyais personne vraiment seul. Et même si c'était le cas au fond ils en souffraient et voulaient être aimés. Alors pourquoi pas moi?

Voici une question que je me posais environ cent fois par jours. J'étais le type de personne à appuyer là où elle a mal jusqu'à ce qu'elle n'ait plus mal. Pourquoi? Encore une question sans réponse. J'imagine que c'était comme pour vérifier que j'étais toujours moi. J'étais obligée parce que personne d'autre n'allait vérifier que j'étais encore là. Rien ne me rattachait à ma vie. J'étais une cible parfaite.

Je ne sortis du musée qu'une fois l'heure de fermeture arrivée. Je n'avais pas vu le temps passer et un gardien dû m'interpeller. Je m'excusais et le suivais vers la sortie sans un mot. Je n'avais pas de montre ni de téléphone. Ainsi je perdais très souvent le fil du temps mais je n'étais jamais en retard.

Il faisait noir alors que je rentrais. Je n'avais pas peur. J'avais eu tellement de temps libre que je m'étais inscrite au taekwondo et avais passé mon deuxième Dan en même temps que le Bac. Je savais me défendre. J'aimais me promener la nuit. Tout était calme. Tout était sombre. Comme si l'amour avait disparu du monde. Comme si une fois par jours la Terre décidait de me rejoindre dans ma solitude.

Je vivais en colocation avec quatre personnes. Je ne les avais jamais vus. Nous n'avions pas les mêmes horaires. Nous avions échangé des mails afin de nous mettre d'accord sur les payements etc. Mais c'était la seule interaction que j'avais eu avec eux. Parfois je les entendais rire ou parler et il arrivait même que j'entende l'eau de la douche couler mais j'ignorais à quoi ils ressemblaient.

J'allais directement dans ma chambre. Je n'avais pas faim. Il était trop tard pour que je joue du piano et j'étais fatiguée alors je décidais de m'asseoir sur mon lit et d'allumer la télé. Je ne regardais jamais la télé. Parfois je l'allumais en arrière plan mais rien de plus. Je mettais une chaîne au piff. Les infos.

Il ne s'était rien passé d'intéressant aujourd'hui. La présentatrice parlait des élections qui arrivaient à grand pas ainsi que d'un incendie causé par des jeunes. Ces derniers avaient été arrêtés sans problème par les robots et avaient été mis en garde à vue. Je levais les yeux au ciel. Pourquoi est-ce que des personnes faisaient des choses comme cela? Ils avaient mis le feu à une maison. Quelqu'un aurait pu être blessé. Je ne comprenais pas mon espèce.

Les robots qui les avaient arrêtés en un temps record avaient été récompensés en direct à la télé. Pour une raison particulière j'étais intriguée par ces robots à l'aspect humain. Ils étaient fais de métal et de lignes de code et pourtant ils étaient autonomes et avaient des visages quelconques de citoyens. Si je n'avais pas choisis d'étudier la biologie j'aurais adoré travailler dans l'entreprise qui les fabriquait.

Je me souvenais encore de leur premier jour de service. Quelques uns avaient été placés dans des équipes pour une durée test de quelques semaines mais très vite ils s'étaient montrés beaucoup plus efficaces qu'un humain et avaient vite pris tous les postes envoyant pas mal de personnes au chômage dans les pays qui pouvaient se le permettre financièrement parlant.

Je m'étais demandée si j'étais un robot mais je m'étais souvent coupée sans faire exprès. Je n'étais pas en métal c'était sûr.

Je décidais de me coucher sentant mes yeux se fermer mais le sommeil disparut la seconde où je posais ma tête sur mon coussin. Je restais de longues heures à attendre le sommeil sans succès. Je me levais donc et attrapais mon manteau. Cela m'arrivait de temps en temps et l'air frais m'aidait toujours. L'air du soir m'apaisait. Il était pure et doux.

Je fis quelques tours de mon voisinage avec des pas lents. Ce soir je décidais de me promener plus longtemps que d'habitude. J'allais tout droit sans but précis les pensées vides et le regard vagabond. Je me rendis compte que je passais à côté du laboratoire qui avait créé les robots en premier lieu alors je ralentis encore plus le pas.

L'intérieur était toujours éclairé. J'avais l'impression qu'ils travaillaient jour et nuit ici. J'essayais de regarder à l'intérieur mais la vitre ne me permettait pas d'avoir une vue nette. Je continuais donc ma promenade en paix. Toujours tout droit. J'arrivais à la porte d'entrée du laboratoire. Soudain j'entendis un bruit de moteur. Je tournais la tête vers la source du bruit.

Une moto passa à une vitesse fulgurante et mon cœur se serra. Je l'aurais reconnu entre mille. J'avais entendu tellement d'histoires à son sujet qu'il n'y avait pas de doute possible. Personne n'avait jamais vu son visage il portait tout le temps son casque. Il ne s'arrêtait jamais et ne faisait que rouler à toute allure. S'il s'arrêtait quand même et croisait le chemin de quelqu'un alors cette personne allait être fortement amochée.

Un bruit courait au sujet de la couleur de ses gants mais j'ignorais si c'était vrai. Apparemment s'il portait des gants bleus alors il était dans une très mauvaise humeur et il ne fallait pas croiser son regard car il allait s'arrêter. Le seul problème était que je ne l'avais encore jamais vu porter d'autre couleur. Peut-être qu'il était tout le temps de mauvaise humeur.

Ce que j'avais vu n'était pas des plus pertinents car je n'avais croisé sa route que trois fois de ma vie en comptant cette dernière. A chaque fois il n'avait fais que passer à toute vitesse et mon cœur s'était contenté d'arrêter de battre par peur qu'il ne s'arrête.

Je secouais la tête. Je devais arrêter de croire à tout ce que les autres disaient. Peut-être que c'était simplement un jeune père de famille se dépêchant de rentrer pour retrouver ses enfants à la maison. Ou peut-être que comme moi il n'arrivait pas à dormir et prenait l'air. Quoi qu'il ne pouvait pas sentir beaucoup d'air frais à travers son casque.

Malgré mes tentatives de rationalisation je décidais de faire demi tour et de rentrer chez moi.

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