Cela faisait maintenant quatre jours que Kalinda avait rejoint le groupe. Ses adversaires conservaient constamment un œil sur elle, mais elle progressait libre de toute entrave. Le sort lié à l’anneau était le meilleur garant de sa bonne conduite. Tant qu’elle le porterait, tous la jugeaient suffisamment intelligente pour ne rien tenter. Ensuite, ils aviseraient.
Consciente que sa soumission endormait leur méfiance, la jeune femme montrait profil bas. L’idée que Némor veillait sur elle de loin la rassurait. La nuit précédente, la chauve-souris s’était assez rapprochée pour qu’elle puisse l’apercevoir. Discrètement, elle avait salué son amie sans que personne ne se doute de rien.
À son grand soulagement, ils avaient fini par sortir de la forêt. Leur voyage se poursuivait depuis sur les premiers contreforts de la Montagne Blanche, à travers une succession de vastes prairies verdoyantes parsemées
Joachim accusa le choc sans rien dire. La Fée de Noël pensait-elle réellement cela de lui ? Son peu d’estime le peinait sincèrement. Il reprit sa route en tentant de faire abstraction du visage hilare de Kalinda. Elle venait indéniablement de marquer un point et il ne tenait pas à valider sa victoire. Il devait se ressaisir. Généralement, il conservait pourtant son sang-froid. Cette longue quête commençait cependant à peser dangereusement sur le masque de nonchalance insensible dont il s’affublait. Silencieux et troublé, Anaël marchait à ses côtés. Cet accrochage semblait avoir effacé en partie sa fatigue. Il avançait en faisant attention où il posait les pieds, mais la fréquence des regards en coin qu’il lui jetait trahissait son état d’esprit. Joachim se crispa. Imaginer que ce gamin pouvait également éprouver de la pitié pour lui était au-dessus de ses forces. — Vous ne devriez pas prendre
Exposant pour la première fois sa fatigue, Joachim s’assit avec lassitude sur un affleurement rocheux avant de s’informer d’un ton irrité : — Tu comptes encore nous faire crapahuter longtemps ? — Mal au pied ? le brocarda son rival. L’arrivée d’Anaël épargna au Mage Blanc de répondre. Harassé, le jeune Fée s’effondra sur le sol au pied du Passeur. — Nous y sommes presque, le conforta Pierre. Mais le soir tombe. S’engager de nuit sur la dernière partie du chemin ne serait pas prudent. Nous repartirons demain matin. En attendant, un peu de nourriture et du repos ne seront pas de trop. Malgré sa fatigue, Anaël se redressa. Comme pour chaque repas, il fit apparaître une nappe couverte des mets les plus fins. Directement issue des cuisines de l’Académie de Magie des Fées, la nourriture dégage
Cette nuit-là, Joachim dormit mal. L’idée que Walina et Aëlwenn lui aient menti durant toutes ces années l’affectait profondément. Se croire seul au monde pendant des siècles, pour découvrir brutalement que tout un pan de l’histoire de sa caste lui demeurait caché, ravivait le soupçon que les Fées n’avaient jamais eu entièrement confiance en lui. Pour qu’aucun rescapé n’ait essayé de le contacter, le même a priori devait d’ailleurs être vrai parmi les Mages Blancs qui avaient échappé à l’attaque de leurs ennemis. Ce constat finissait de le démoraliser et lui ôtait l’envie de connaître l’identité des survivants. Il se sentait complètement rejeté. Quelque part, Kalinda était la seule à avoir montré de la franchise à son égard. Involontairement sans doute, et poussée par le désir de l’atteindre dans son orgueil. Néanmoins, quand elle s’était aperçue de sa surprise, elle n’avait pas cherché à le m
Après avoir marché un long moment, ils parvinrent dans une clairière délimitée par le mur abrupt qui les entourait. L’ouverture d’une immense grotte bâillait largement sur la paroi. Son hall d’entrée était si vaste que le chœur d’une cathédrale aurait pu s’y nicher. Zébré d’énormes veines d’améthystes, il s’enfonçait dans la montagne en conservant des proportions démesurées. En comprenant qu’ils allaient s’engouffrer dans cet endroit, Joachim franchit la distance qu’il s’évertuait de maintenir avec Pierre pour tenter de le raisonner. — Si nous arrivons bien là où je crois, il serait peut-être temps de songer à demander à Anaël de rester dehors, pour garder un œil sur notre prisonnière. Au moins pendant que nous rencontrons la propriétaire des lieux. — Je te rappelle qu’elle a également réclamé à voir Anaël, répondit calmement le Passeur, en poursuivant
Le groupe venait de prendre congé de Sylfinata, et les bruits de pas martelaient de nouveau l’immensité du couloir qui menait vers la sortie. La largeur de la galerie rocheuse leur permettait de progresser de front, mais Joachim restait en arrière. Officiellement, il conservait un œil sur Kalinda. Officieusement, il se remettait de sa confrontation avec la dragonne, et il n’était d’humeur à essuyer ni les commentaires de Pierre ni ceux de Kalinda. Que Sylfinata ait réussi à percer ses défenses le perturbait. À présent, elle savait pratiquement tout de lui. Il y avait si longtemps qu’il camouflait ses blessures, qu’il ne tenait pas à ce qu’Aëlwenn apprenne que certaines demeuraient toujours aussi vives. Son seul espoir résidait dans la discrétion de la dragonne, éventualité peu crédible connaissant les trésors de persuasion de la Fée de Noël. Joachim rongeait également son frein pour ne pas rap
Voletant au-dessus des arbres, Némor les guidait. L’épaisseur de la végétation interdisait de progresser en ligne droite, et Joachim peinait à se frayer un chemin avec ses entraves. Il redoutait de tomber sur une créature agressive sans pouvoir se défendre. Ils traversèrent heureusement la jungle sans encombre. Après une marche éprouvante, le terre-plein rocheux qui délimitait l’accès à la première grotte apparut entre les branchages. L’impression de Joachim d’être livré délibérément se renforça. Sylfinata ne pouvait ignorer ce qui se passait, et cette idée le minait. Il se sentait rejeté de Féérie, tout comme lorsqu’il avait appris le mensonge concernant la disparition des Mages Blancs. Affecté, il monta la rampe de pierre d’une démarche raide. Dotée d’un dispositif lumineux, Némor le devança pour éclairer la galerie qui s’ouvrait dans la roche. Joachim savait qu’Anaël et Pierre peineraient davantage pou
L’image de la Montagne Blanche les avait longtemps accompagnés, de moins en moins distincte, de plus en plus petite. À présent, elle avait totalement disparu. Cela faisait dix jours qu’ils marchaient, dont trois qu’ils foulaient le territoire des Ombres Noires. Joachim allait devant, suivant docilement les directives de Kalinda. Au début, la jeune femme ne relâchait que rarement sa surveillance. Malgré le sort relié à ses entraves, elle redoutait l’esprit retors de son prisonnier. Savoir qu’il était responsable de l’échec de l’invasion de Féérie par les siens l’armait de méfiance. Elle éprouvait une immense fierté de l’avoir capturé, mais elle n’était pas suffisamment orgueilleuse pour ne pas se douter que les circonstances l’avaient grandement aidée. Bien qu’affichant l’air nonchalant d’un beau parleur friand de mondanités, Joachim était loin d’être un adversaire inoffensif. Néanmoins, à aucun moment depuis son interve
Devant lui, Némor terminait de dégager un passage qui menait à une croûte de boue sèche plantée de troncs dépourvus de branchages. Oubliant un instant l’enjeu de la discussion, Joachim regagna la terre ferme en poussant un soupir de plaisir. Faute de trouver un sol solide, ils crapahutaient sans discontinuer dans les marais depuis le matin. Ses poignets liés le pénalisaient et il commençait sérieusement à ressentir la fatigue. Une fois sur la butte, décidé à obtenir une réponse avant de poursuivre ses efforts, il se retourna pour faire face à Kalinda : — Si tu m’avais laissé filer tout droit, nous aurions touché l’un de ses îlots bien plus rapidement. Cela t’amuse peut-être de m’obliger à avancer à l’aveugle, mais je suis fatigué. Alors, il serait sans doute temps de me dire exactement ce qu’il y a dans l’eau. Parce que sans cela, je ne ferai pas un pas de plus.