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Chapitre 2

Les yeux de la viellarde ne sont pas visibles, pourtant il me semble qu'elle va m’ensorceller. Elle tend ses doigts griffus, et je cours à toutes jambes dans la cour. Je tambourine des poings à la porte. Le domestique de madame Corbier me laisse entrer, en grondant:

- Tiens, qu'est-ce qu'il y a? Dis donc. Un feu? Quelqu'un te poursuit?

- Non, monsieur. Excusez-moi, monsieur. Bonjour. Voici les bottes pour madame, – Je dis, en me souvenant de la politesse.

Il monte l'escalier et retourne vite, j'ai à peine le temps de reprendre mon soufle. J’ai toujours peur.

Le domestique compte des pièces d'une manière grave.

- Et, monsieur, dites-moi, quelle vieillarde vient de vous quitter? Je demande.

- Vieillarde? Il n'y avait aucune vieillarde. Il n'y a que toi, la folle gamine, qui voulait enfoncer notre porte.

- Excusez-moi, monsieur, je dis et puis je jète un coup d'oeil dans la traboule. Personne.

Et si elle m'attende dehors?

Je piétine et décide d'aller à l'escalier. Un grand merci à celui qui a inventé les traboules si habilement: si l’on veut, on passe dans la rue par la traboule, sinon – youp, sur les marches et t’es voilà dans une autre ruelle. En ce cas-là personne me rattrape, même une sorcière sur un balai!

* * *

Je me hâte, en sautant tantôt par ici, tantôt par-là, par-dessus des mares mi-gelées.

Sûrement Nico, Jisquette et Francisque de l'impasse Turquet m'attendent déjà près de la montée du Gourguillon.

Je trouve enfin mes copains parmi les badauds. Oui, j'ai eu raison, mes amis se trémoussent de froid, en enfonçant les mains dans les manches. Chacun veut voir le roi. Il y a trop de gardes plus proche de Fourvière. Ils se promènent aussi, en jouant avec les gourdins – pas pour épouvanter le peuple, mais aussi pour se réchauffer.

- Sainte Blandine! Ohé! Nico, tes oreilles ont bleui! J’exclame en faisant des yeux grands.

- Où?! Quoi?! répond Nico, en saisissant ses oreilles sorties de dessous du chapeau.

- C'est parce que ta mère ne te mettait pas le bonnet quand tu étais un bébé, je rie.

Et Francisque reprend tiut de suite:

- Ha ha ha. Nico-l'âne a gelé ses oreilles.

- Pardi, se vexe Nico.

- Et bien, ne boude pas, je ricane et un moment je dis d’un ton sérieux: - A propos, j'ai vu une sorcière.

- T'blagues, Nico avance une lèvre et rajuste gravement son ceinturon, qu'il porte depuis déjà un mois, fier comme un coq.

Décidément, s'il n'avait pas si grandes oreilles, Nico serait un beau jeune homme: aux yeux noirs, avec des toupets goudronnés. Et moi, je ne suis pas du tout chagrinée, quand maman m’a dit, que mes parents avait tantôt parlé du mariage à les siens. Ils sont aussi cordonniers comme les miens. Ils fоnt des bottes, des chaussures et même des patines ouvertes à la mode, lesquelles mon père injure toujours. Il ne comprend rien! Des patines sont belles, quoique elles ne sont bonnes que pour l'été.

La mère de Nico est une bonne femme, l'amie de maman. Et son père est un vrai boute-en-train. Aussitôt que j'aurai eu douze ans, je vivrai chez eux. Même ma grande-mère qui répand des larmes dans la soupe à chaque mot, dit que j’ai été née une veinarde.

- Tu mens, dit Nico gravement.

- Si. Que mes yeux crèvent! Je mets akimbo, même les pièces ont tinté dans mon aumônière: - J'ai rencontrée la sorcière dans une traboule. Elle était toute noire. Avec un bâton. Elle disait, «juro inverba»... Mes cheveux se sont levés sur ma tête, je te jure! Si le portier pas sorti, rien m'a sauvé.

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