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La couleur du sang
La couleur du sang
Author: Маргарита Ардо

La couleur du sang

- Au nom de dieu, soit tranquille, ordonne maman et tire le peigne dans mes cheveux.

- Il me fait ma-a-al, - je pleurniche.

- Sois patiente. Sainte Bladine de Lyon souffrait beaucoup plus.

- Mais elle était sainte

Aïe, maman me peigne comme si elle me torture. C'est pas un grand plaisir de regarder le plafond gris et les poutres en bois toute une éternité, même si le soleil danse sous eux, en faisant des taches vives sur les murs.

Enfin maman me tourne, met le bonnet et soupire:

- Tu n'es plus petite. Qu'est-ce que madame Corbier dirait, si elle voyait une telle salisson?

- Excusez-moi, maman, je serai propre, je mâchonne, en pinçant les plies de ma cotte de laine. Puis-je m'en aller donc? Quelle journée est aujourd'hui, quelle journée !

Maman dit sévèrement:

- Clémentine, shut, ça va pas. Je t'interdis de t'approcher de Fourvière. Il y aura trop de peuple: non seulement des honorables messieurs vont s'y rassembler, mais tous les fripons lyonnais vont se balader là-bas. Donc, pour toi cette journée sera rien de plus, un jour comme des autres. C'est compris? Tu vas apporter les bottes à madame Corbier, après tu rentres chez nous tout de suite. Et ne fais pas tes trucs!

Pas de trucs?! Pas possible! Aujourd'hui il y aura une procession solennelle de Saint-Juste. - Je pense. - Le roi lui-même et son frère avec la suite vont y participer — tant de nobles personnes en tas! Quand encore pourrais-je voir le Saint Père aux vêtements sacerdotaux, décorés par des pierres fines? Des évêques, des chevaliers galants, des chevaux couverts par des caparaçons? Mais surtout je voulais voir de mes yeux des dames en toilettes, brodées d'or et d'argent, des cottes hardies des étoffes merveilleuses et des mantels fourrés! Et manquer tout? Écouter l'oreillard Nico et la grosse Jisquette, qui mente toujours?! Pas possible!»

Ah, j'imagine des fils brillants, chatoyants sous le soleil! Merci Dieu, le soleil brille aujourd'hui. Et même s'il pleuvait, je dois voir tout par moi-même! Sainte Bladine me pardonnera. Que mes yeux crèvent!

Quand même je dis à maman humblement:

- Oui, madame. Je vais rentrer tout de suite. Bien sûr. C'est compris.

- Voilà qui va bien, maman me tire par les épaules et m'embrasse. - Prends soin de toi, et le Bon Dieu prendra soin de toi aussi.

En brulant de honte et d'impatience je regarde comment maman enveloppe des bottes à bout pointu en étoffe grise. Les chevilles des bottes sont enroulées par ficelles fines de cuir. C’est bien joli! Un jour mon père coudra les mêmes pour moi. Il m'a promis.

La porte s'ouvre, et le froid me pince le nez. Je marche le long de la pente, en serrant le paquet dans les mains. Ô ciel, et l'hiver n’est pas demain! Que je ne sois pas transie de froid! Au-dessus des toits des maisons il fait clair, pourtant les rayons du soleil ne parviennent pas ici, à l'ombre de la ruelle.

Mais donc, vas-y plus vite!” Je me dis pour me réchauffer.

Le froid gele mes joues, et moi, j'imagine que je vole, en expirant des petites nues blanches de haleine.

«Je suis un dragon. Hourra!»

Je file jusqu'au coin de la ruelle, ensuite à droite et en bas, à la Saône. Je parcours encore le carrefour et la seconde maison...

Je pousse une porte lourde, fais un pas dans la traboule, étroite comme une crypte de pierre. A ma rencontre une vieillarde voûtée avec une clairière noire, baissée sur le visage, clopine, en s'appuyant sur un bâton.

- Arrête-toi, mon enfant.

- Oui, madame.

- Ecoute-moi! Prie bien avant de faire quelque chose dont tu vas regretter…, elle marmonne par sa bouche édentée: - Celle qui rend son âme pour un pierre, va devenir un pierre elle-même! Jurō in verba magistri.

Oh, Bon Dieu… La sorcière!

Les yeux de la viellarde ne sont pas visibles, pourtant il me semble qu'elle va m’ensorceller. Elle tend ses doigts griffus, et je cours à toutes jambes dans la cour. Je tambourine des poings à la porte. Le domestique de madame Corbier me laisse entrer, en grondant:

- Tiens, qu'est-ce qu'il y a? Dis donc. Un feu? Quelqu'un te poursuit?

- Non, monsieur. Excusez-moi, monsieur. Bonjour. Voici les bottes pour madame, – Je dis, en me souvenant de la politesse.

Il monte l'escalier et retourne vite, j'ai à peine le temps de reprendre mon soufle. J’ai toujours peur.

Le domestique compte des pièces d'une manière grave.

- Et, monsieur, dites-moi, quelle vieillarde vient de vous quitter? Je demande.

- Vieillarde? Il n'y avait aucune vieillarde. Il n'y a que toi, la folle gamine, qui voulait enfoncer notre porte.

- Excusez-moi, monsieur, je dis et puis je jète un coup d'oeil dans la traboule. Personne.

Et si elle m'attende dehors?

Je piétine et décide d'aller à l'escalier. Un grand merci à celui qui a inventé les traboules si habilement: si l’on veut, on passe dans la rue par la traboule, sinon – youp, sur les marches et t’es voilà dans une autre ruelle. En ce cas-là personne me rattrape, même une sorcière sur un balai!

* * *

Je me hâte, en sautant tantôt par ici, tantôt par-là, par-dessus des mares mi-gelées.

Sûrement Nico, Jisquette et Francisque de l'impasse Turquet m'attendent déjà près de la montée du Gourguillon.

Je trouve enfin mes copains parmi les badauds. Oui, j'ai eu raison, mes amis se trémoussent de froid, en enfonçant les mains dans les manches. Chacun veut voir le roi. Il y a trop de gardes plus proche de Fourvière. Ils se promènent aussi, en jouant avec les gourdins – pas pour épouvanter le peuple, mais aussi pour se réchauffer.

- Sainte Blandine! Ohé! Nico, tes oreilles ont bleui! J’exclame en faisant des yeux grands.

- Où?! Quoi?! répond Nico, en saisissant ses oreilles sorties de dessous du chapeau.

- C'est parce que ta mère ne te mettait pas le bonnet quand tu étais un bébé, je rie.

Et Francisque reprend tiut de suite:

- Ha ha ha. Nico-l'âne a gelé ses oreilles.

- Pardi, se vexe Nico.

- Et bien, ne boude pas, je ricane et un moment je dis d’un ton sérieux: - A propos, j'ai vu une sorcière.

- T'blagues, Nico avance une lèvre et rajuste gravement son ceinturon, qu'il porte depuis déjà un mois, fier comme un coq.

Décidément, s'il n'avait pas si grandes oreilles, Nico serait un beau jeune homme: aux yeux noirs, avec des toupets goudronnés. Et moi, je ne suis pas du tout chagrinée, quand maman m’a dit, que mes parents avait tantôt parlé du mariage à les siens. Ils sont aussi cordonniers comme les miens. Ils fоnt des bottes, des chaussures et même des patines ouvertes à la mode, lesquelles mon père injure toujours. Il ne comprend rien! Des patines sont belles, quoique elles ne sont bonnes que pour l'été.

La mère de Nico est une bonne femme, l'amie de maman. Et son père est un vrai boute-en-train. Aussitôt que j'aurai eu douze ans, je vivrai chez eux. Même ma grande-mère qui répand des larmes dans la soupe à chaque mot, dit que j’ai été née une veinarde.

- Tu mens, dit Nico gravement.

- Si. Que mes yeux crèvent! Je mets akimbo, même les pièces ont tinté dans mon aumônière: - J'ai rencontrée la sorcière dans une traboule. Elle était toute noire. Avec un bâton. Elle disait, «juro inverba»... Mes cheveux se sont levés sur ma tête, je te jure! Si le portier pas sorti, rien m'a sauvé.

- Il vaux mieux que tu ailles à l'église. Sur-le-champ, dit Nico.

- Elle n'a rien fait quand même. Elle n'a pas eu du temps, Je dis.

- J'espère, renifle Nico.

- On ne manquera pas le Pape, donc? Et la suite du roi…?

Je m'alarme, et Nico sourit astucieusement:

- Si tu m'taquinais pas, je dirais que j'ai trouvé une belle place, d'où l'on peut voir tout. Et bien, maintenant essaie d'voir quelqu’chose de ta taille – peut-être t'verras des sabots des chevaux.

Je comprends que je me suis moquée de lui à contretemps.

- Ah bon, Nico, je vais plus te taquiner, - Je dis et souris innocemment.

- Promis?

- Sur mon âme! - Je dis, en croissant mes doigts.

* * *

La route est remblayé par la paille jaune. Nico marche devant nous comme un général si vite, que nous le rattrapons à peine. Surtout la grosse Jisquette, elle souffle comme la bouillie dans un pot.

Le peuple arrive. Quelqu'un se bouscule dehors, quelqu'un se montre des fenêtres, les autres grimpent sur les toits et le rempart. On barde comme sur le marché près des Portes de la ville.

Soudain le son des cloches se répand des bains romains par l'air glacé. Tout le monde se tait, mais ensuite on se met à se signer, jeter des chapeaux et hurler:

- Vive le nouveau Pape! Vive Clément le Cinquième!

Les cloches de l'église Saint-Irénée, de Saint-Juste et de Saint-Jean battent tous ensemble. Les clochers du château de l'archevêque de l'autre côté de la Saône leur répondent en bonne harmonie. Oh, Mon Dieu, que c'est beau! Comme si l'air sonne lui-même – dzonne-dzonné – on peut ouvrir la bouche et saisir la sonnerie sur la tongue, comme un cristal de neige.

Nico m'arrache de la foule.

- Alors quoi, tu as pétrifié? On te frappera des pieds, ma petite.

Mais je reponds:

- Je voudrais bien savoir d'où tout le monde sait le nom du Pape? Je n'ai pas entendu dire, qu'il est Clément

- Et moi, d'où je l'sait? Nico dit. - Peut-être, le héraut lisait la bulle.

Nico hausse les épaules et donne un coup de pied à un verrat, qui trotte devant lui.

- Restons ici, se lamente Jisquette, qui est ennuyée de courir.

Je me tourne et tout de suite je vois cette vieillarde-là, toute en noire. Non loin de moi. Elle se tient au milieu de la route, si elle se fiche du roi aussi bien que du Pape, et file quelque chose par ses doigts rebutants.

- Ouille! C'est elle... Vas-y Nico! Je pousse un cri perçant et cours comme un lapin à l'impasse Turquet.

Nous nous glissons dans une fente entre une vieille maison et un mur en bois. Mais Jisquette reste dehors – la paresse a été née avant elle. Francisque gravit le premier sur des poutres. Nous le suivons. Une brindille m'accroche, je déchire la cotte un peu. Oh, non!

Mais en revanche nous nous installons sur une poutre solide. Ravie, j'applaudis: voilà Gourguillon, pavé par une raie droite de la colline, et plus loin je peux voir des toits-toits-toits rouges, roujâtres, presque oranges et la bande verte de la Saône derrière les arbres nues.

- Regarde! Crie Nico.

Son doigt sale montre en haut de la coline, et je vois des moines en soutanes grises apparaissent près des maisons. Les moines marchent cérémonieusement, sans hâte, en chantant des psaumes. S'ils n'ont pas froid? Derrière eux des drapeaux éclatants flottent, des lances de cavalerie brillent. Mon cœur bat.

Le murmure exalté est entendu partout. Mais les gardes se mettent à disperser le bon peuple par des gourdins.

- Gare au roi! Gare à Sa Sainteté! Ah, idiot, où avances-tu sans regarder? Range-toi de côté, bâtard…

Et le monde se glisse dans tous les trous, bien loin des gourdins, presse, crie, jure. Des citadins affluent vers notre mur, comme des ruisseaux printaniers aux grandes crues. Le foule augmente derrière le mur, à côté, en bas… Le mur se penche. Un tas d'imbéciles!

Je me penche pour regarder mieux ce que se passe là-bas, et je sens comme si on m’a donnée une douche de l'eau froide – la terrible vieillarde se balade au tournant dans l'impasse. C'est sûrement elle! Voici la courbe du bâton et la clairière sur tout le visage. Peut-être elle ne m'a pas aperçut? Je me rejete en arrière et chuchote:

- Nico, c'est la sorcière, là-bas

Mais il ne m'entend pas. En se soulevant, lui et Francisque, ils regardent des chevaliers et s'entre'appèllent l'un à l'autre:

- Ouf, je voudrais fouiller des livres d'or, pour qu'il suffise à la cotte de maille, des braies, une épée et un protège-poitrine!

- T'es un sot! Donc tu marcherais à pied? Quel sort de chevalier serais-tu?

- Je trouverais beaucoup d'argent et j’acheterais tout! Même un cheval. Et une selle, couverte de peinture.

- A quoi bon?

- J'irais aux sarrasins – tuer des dragons.

Ma gorge se serre: ah voilà comme il est! On ne nous a marié encore, et lui, il va prendre ses jambes à son cou. Donc, il s'en fiche de toi, Clémentine Bernadette… Voilà qu'un fiancé de rêve!

Boeuf! Je donne une bonne taloche à ce jocrisse! A ses oreilles d'âne. Sainte Blandine! Maintenant je m'en fiche de la vieillarde, du froid aussi bien que des impertinents hardis qui ont grimpé sur notre mur.

Les moines nous passent. Des chervaliers sévères les suivent. Les chevaux reniflent, en remuant des narines fines, et transposent ses sabots lourds sur le pavé. Oh, les voilà: des casques, des manteaux bleus – je pourrais avancer le bras et les toucher. Mais j'oublie des caparaçons et des étoffes. Je bouille de colère. Je suis furieuse, en répétant: “Je trouverai de l'or moi-même, ou mieux je trouverai des pierres fines, je me marierai un marchand ou le chef des gardes, et toi, sans-le-sou, toi... je ne te laisserai plus mettre ton pied chez moi. Je les trouverai et voilà tout!»

Sans y penser, je crois moi-même, que j'aurai un trésor, quoi qu'il soit un diamant, grand comme mon poing. Que mes yeux crèvent!

* * *

- Le Pape va! Vive Le Saint Pape! On entend crier de la colline.

Le cortège des prêtres en manteaux de velours vermeils et des chapeaux dorés pointus s'approche. Des chevaliers en manteaux noirs et bleus carolent de deux côtés.

Oh, Sainte Blandine, voilà le Pape qui vient en tête du cortège, avec le chapeau le plus haut. Pas de faute, c’est lui! Qui peut se balancer si majestueusement dans le rythme des pas du destrier? Ses toilettes sont luxueuses, même notre archevêque ne porte pas les mêmes vêtements pendant les vacances.

Le Pape sort du côté ombragé de la rue, et le soleil commence à briller sur son sommet éclatant. J’ai vécu ma vie et n’ai pas vu de telle beauté! La tiare blanche en trois étages resplendit par l'or des couronnes divisantes, des pierres multicolores me taquinent par des reflets du soleil. Et tout au-dessus du front du Pape l'enorme gemme de couleur du sang de pigeon luit le plus.

Une marchande hurle hystériquement:

- Béniez, Votre Sainteté!

- Le Pape! Vive le Saint Père! Vive Clément le Cinqième! - On reprit près de moi.

Un braillard crie: «Alléluia!», et la foule tombe en extase heureuse. Et moi, je continue à regarder le diamant – il m'attire, comme si j'étais un rat affamé qui voyait un morceau du fromage.

J'imagine une paire des bras, irréels, transparents. Ils se tendent, se tendent vers le gemme… Boeuf, c’est bien drôle: je sents tout de suite des facettes réelles. Comme je sais inventer des trucs, ah?!

Je louche sur Nico et Francisque: ces hâbleurs blaguent, disent des bêtises. Comme si je ne suis pas là. Zut! Mon jeu est plus drole!

J'imagine encore une fois des bras transparents: touche le pierre, effleure la couronne d'or, l'étoffe de brocart. Et si je... je polisonne et pousse à tour de bras inventés la décoration principale de la tiare? Tout de coup le Pape chancele un peu dans sa selle, comme si l'on avait légèrement bouscoulé...

Ouf, maman me bien fessera pour cette irrévérence à Sa Sainteté, mais comment elle le saurait?

Ayant fait "hum" de réticence, je pousse la couronne par le poing.

Oh-la-la! Le Pape chancele de nouveau. Il fronce ses sourcils, pince ses lèvres.

Ça me fait rire, je tire le pierre vers moi et l'empoigne. Et je sens le gemme dans ma paume transparente tout de suite!

Qu'est-ce qui commence à ce moment-là! Le mur, sur lequel nous nous étions assis, branle, tremble. Je m'attache à la poutre par deux mains. Des pierres, des planches, le poussier se repandent sur le peuple qui sont en bas. Les badauds, qui se trouvent près de nous, tombent à terre, comme des poires mûres d'un arbre. Les chevaux se jetent de tous côtés, écrasant le peuple. La rue se remplit de jurons et des cries, dont les entrailles me refroidissent.

J'en tremble de frayeur!

Défend-moi, Sainte Blandine!” Je murmure. «Qu'est-ce qui se passe?! Non, c'est pas moi qui l'a fait. Pas moi. Je ne le... plus…»

Je ne réussis pas à finir: moi et Nico, nous tombons par terre avec hurlement – sur des corps, sur des manteaux, sur un mélange des mantelets de laine et de fourrures. Un moment après je croule à plat sur un dos, repandu sur des bûchettes. Des larmes tombent de mes yeux.

Oh, ça fait mal! Si mal

Je tourne ma tête et je me glace d'effroi: juste devant mon nez je vois un os ensanglanté sortit d'un riche manteau de velours d’un monsieur. Tout le monde gémissent et crient autour de moi, les gens essayent de se tirer de dessous de l'éboulement et foulent sur ceux qui se trouvent plus bas. Tout près j'entends des sabots claquants. Je me tire, ayant peur d'être écrasée comme le malandrin qui tantôt a échappé des gardes sur la place du marché. Mon Dieu! Un étalon blanc comme la neige fait un écart et, ayant laissé le cavalier en manteau rouge fourru, part brusquement. Le prêtre se flanque par terre sourdement et perd son chapeau haut.

Les larmes m'obscurcissent la vue, mais je peux discerner un détail, qui rebondit de la tiare et roule vers moi avec ressort, comme une balle de bilboquet. Une boulette grande comme un œuf de poule s'arrête, embourbée dans une flaque du sang non loin du chevalier en manteau de velours.

Que mes yeux crèvent! C'est le diamant du Pape!

Ma tête devient tout vide, je tends ma main et entasse le gemme dans ma paume. D'un côté il est froid, avec des facettes; de l'autre – il est poisseux de sang. Le froid difflue dans ma poitrine. Je mets le diamant dans la poche de mon tablier, avale de l'air une fois, l'autre... J'essayes de le faire encore une fois, mais ne peux pas. Tout devient noir, et j'entends l'écho de la sonnerie des cloches de loin…

* * *

«Sainte Blandine, qu'il 'est sombre! Est-ce que mes yeux ont vraiment crevé?» – Je pense. La lumière jaune me pique désagréablement à travers des cils entrouverts. Je clignote vite, passe ma main au visage. Où suis-je? Il est molle, chaud. Une étoffe blanche tombe par des rides du ciel… C'est le Paradis? Mais si! C'est notre baldaquin! Et voilà le matelas de laine sous la main, et voici la couverture. Je suis chez nous.

Les évenements derniers jaillissent par un éclat dans ma mémoire et me font sursauter: et Nico, qu'est-ce qu'il y a avec lui?! Qu'est-ce qu'il y a avec Francisque et Jisquette?! Je tire le baldachin, sorts ma tête et recule brusquementune figure courbée étage sur la chaise, comme une corneille sur une tour. Ses doigts osseux passent le parchemin, éclairé par un chandelle terne, comme s'ils poursuivent des lettres-chenilles minces. La clairière noire… C'est elle!

Le cri échappe de ma gorge. Maman et mes sœurs entrent en courant dans la chambre. En me cachant derrière l'oreiller, je crie d'une voix glapissante et secoue mon doigt, indiquant la vieillarde. Mais elle ne se jete de s‘echapper de mes parents, elle détourne les pans de la verrière par ses mains désechées et s'approche de moi. Sur le visage argileux, sillonné de rides, comme un masque, des yeux noirs spirituels me regardent fixement. Ils sont calmes, tout à fait jeunes. Ils attendent.

Maman apparaît près de la vileillarde et m'embrasse.

- Quel bonheur! Bon Dieux t’a retournée! Clémentine, calme-toi… Calme-toi, mon trésor!

- C'est la sorcière… dis-je d'une voix enrouée.

- Mais non, ma petite! C'est madame Pascal, la bonne tante du docteur. Nous ne te sauverions pas sans elle. Tu étais en défaillance un jour et une nuit. Mais Bon Dieu nous a pardonnés! Merci à lui, à la Sainte Vierge et à tous les anges!

Je regarde maman, touchée jusqu'aux larmes, des minois curieux des sœurs derrière ses épaules, le visage défiguré par des ans de la vileillarde et je continue à trembler. Quelque chose ne va pas ici! Du tout! Que mes yeux crèvent!

La vieillarde froufroute par ses lèvres secs:

- N'inqiètez-vous pas, madame Sotis, tout s'arrangera. La fille s'est sauvée par miracle, mais elle a peur. C'est la peur qui s'en va comme ça. Je jure, que c'est très bien. La fille va crier, pleurer, et ensuite tout s'arrangera.

- Nico…? Où est Nico? Je marmonne.

Le visage de maman devient sombre.

- Nous allons nous prier qu'il se rétablisse. Bon Dieu l'aidera… C'est bien, que Francisque et Jisquette vous ont retirés des débris. Francisque n'a reçu que des bleux, et ta copine n’a eu que de peur. Pourtant beaucoup de nobles messieurs y ont péri. Même le cousin du roi. Mais tu est vivante, mon enfant! Bon Dieu nous aime plus.

- C'est pas moi qui l'a fait… Pas moi... Peut-être... Je sanglote.

- Bien sûr, pas toi, ma petite, maman dit, en me consolant: - Le mur y était vieux. La foule de peuple appuyait sur ce mur, il s'est fendu doncPas de secrets.

- Il vaux mieux que la fille reste. Je vais lui donner de la tisane et changer son bandage. Et puis il faut qu'elle dorme, prononçe la vieillarde d'une voix froufroutante.

- Que Bon Dieu vous bénisse! Dit maman, touche la main de la vieillarde avec reconnaissance et se dirige vers la porte, en poussant les gamines devant elle.

- Maman, ne me quittez pas! - J’implore.

Mais maman sourit et ferme la porte. La vileillarde passe à la table sous la petite fenêtre, en illuminant la chambre par une bougie.

Et voilà, maintenant je reste seule avec la sorcière… Aide-moi, Sainte Blandine! Qui sait, peut-être elle va me transformer en un rat ? Et puis personne ne se souviendra qu'il était une fois Clémentine Bernadette Sotis, qu'elle avait des longues boucles blondes et, comme on disait, le plus beau minois dans le quartier. Et à la place de mon joli nez il y aurait une humide baie et la moustache… Oh, Mon Dieu!

Je rampe en profondeur du lit, essayant d'inventer, comment m'enfuir, et tout à coup je me souviens de mon trésor, mon petit bijoux. Mais oui, c'est mon bijoux qu'elle chasse!

Je saute sur l'escalier tout de suite. Pousse un cri, boite du pied. Je suis étourdie. Mais je fais un pas et me trouve près du coffre. Mes vêtements sont ici. Ma main glisse dans la poche du tablier et parmi des biscottes et des vétilles différantes tâte des facettes froides. Mes doigts se serrent au poing, en saisissant le diamant. Je ne le renderai pas! C'est mon trésor, mon petit bijoux!

- Est-ce qu'il l'a coûté, ce rubis? Froufroute la vieillarde derrière moi.

Je me tourne, en cachant mes mains derrière mon dos.

- Quel rubis?

- Celui, que tu serres dans ta main, rouge comme le sang, d'où tu l'a pris.

- Comment vous le savez, où je l'a pris?

- Je sais beaucoup, répond la vileillarde. - Les vrais magiciens savent toujours beaucoup. Et toi, tu ne sait rien, tu ne fais que de la sorcellerie stupide. Mais on t'a prévenu d'avance: pense tout d'abord.

Je frissonne et crie:

- Je ne faisais aucune sorcellerie. Je jouais.

- Il est aussi bien dangereux de jouer avec de la poudre et de la flamme. Surtout s'il y a beaucoup de peuple autour de toi – ce jeu-là peut arracher des bras-jambes, détruire des murs

- C'est pas vrai! Je n'ai qu'imaginé!

Tout à coup la chambre devient petite et étroite, quelque chose me serre contre le mur, la flamme de la bougie grandit comme un brasier sur la paume de la vileillarde. Je commence à m’étouffer, il me semble que je vais m'enflammer tout de suite. Ma langue se colle au palais. Mais tout ça disparaît dans un seconde.

- Tu vois, moi, je ne l'ai qu'imaginé aussi, remarque la vieillarde. - Si j'étais de la même genre de coquine, comme toi, votre maison flamberait déjà de la cave jusqu'au toit de chaume. Veux-tu, que je te le montre, comment ça peut être?

- N-n-non, ne l' faites pas.

- D'accord. Tu auras douze bientôt. Ton essence se réveille. Ton essence féminine, ton essence d'une sorcière.

La vieillarde me lance un regard étincelant.

- On va voir, si tu apportes du bien ou du mal. Mais pour une personne comme toi ce rubis ne fait pas un simple trésor. Si tu vas servir le peuple, il te donnera de la puissance. Et si tu vas ourdir des intrigues, tu ne t'en trouvera pas de bien. Il te sechera, boira ta vie et passera a quelqu'un d'autre… C'est moi qui te le dis!

Je me fige, en sentant à travers ma chemise le froid du mur de bois. Mes yeux et mon nez démangent. «Je ne veux pas devenir sorcière, je ne veux rien décider, je veux sauter dans les rues avec Jisquette et taquiner Nico”. Je tends mon petit bijoux sur la paume à la vieillarde:

- Tenez.

- Mais non. Tu as pris le pierre toi-même, maintenant c'est toi qui dois arranger tout. Un objet volé me vaut rien.

Ayant relevé le bâton, la vieillarde se dirige vers la porte et dit:

- Tu n'as plus besoin de mon aide. Mais quand tu voudras apprendre la magie et la sagesse, quand tu voudras savoir que faire avec ton don, cherche-moi derrière Les Portes de la ville, au bois. Et sois plus prudente, que l'on ne te brûle avant que tu n'as ni intelligence, ni ruse.

* * *

Je pleure toute la nuit. Donc, si c'est possible de ne pas pleurer? Combien je vivais, j'avais peur des sorcières, et maintenant je suis salie de même saindoux… Et quoi, est-ce que je dois bouillir des potions puantes? Voler sur un balai dans la nuit au clair de lune et traire des vaches pour qu'elles crèvent? Non, je ne le veux pas!

Je pense de tout et décide vers le matin – je ne va pas devenir sorcière pour rien au monde! Que mes yeux crèvent!

* * *

Tout le monde dorment encore, et moi, je me faufile par le toit chez Nico. Il se coushe derrière un paravent, tout aux bandages. Pale, comme un drap. On ne voit que son nez et ses oreilles. Il me fait peine à le voir comme ça. J'ai le cœur gros. Je me tâche de ne réveiller personne, même soupire plus doucement.

D'accord, j'essayerai pour la première et la dernière fois”. - Je pense. « On peut le faire une fois, et après personne ne pourra dire que je fasse des sorcelleries pour rien au monde!»

Je tire le rubis, m’installe au chevet et, sans fermer mes yeux, j'imagine que Nico se couche maintenant sain, bronzé, comme en été, que ses joues sont rouges, comme s’il est monté en courant au Fourvière. Et pourquoi Nico dorme? Et bon, il a couru trop et il s’est couché sous un chêne pour se reposer, et ensuite il sursautera et courira après moi à la poursuite. Il me saisira sans faute. Et je rigolerai ses oreilles, et lui, il rougira encore plus.

J'imagine tout ça si precisement que j'ai chaud, comme si j’ai couru pour de vrai. Je regarde Nico – son teint rendit un peu plus rosé.

- Ah, Sainte Blandine! Donc, aide-lui, ah? Soit qu'il aille aux chevaliers, pourvu qu'il soit gai et ne meure pas!

Nico bouge et ouvre un œil.

- Ch-chut, tu me vois en rêve, - je chuchote et me glisse dehors.

Je retourne chez nous par la même voie – par le toit. Papa et maman ronflent, mes sœurs clappent et mon frère renifle. Seulement les apprentis de papa font de bruit sur la mansarde. Donc, pourquoi ils ne dorment pas si tôt?Je me presse dans la rue.

La ville se réveille à contre-coeur. Voilà le boulanger qui ouvre la fenêtre de sa boutique, voici une femme au nez bleuâtre qui porte une oie dans son panier au marché.

L'aube grise se fraye un passage à travers des nuages et, comme si un juif chenu au chapeau jaune, défit sa barbe argentée sur le ciel. Il fait sombre, mais plus chaud que ce jour-là. Tantôt l'hiver a décidé de ne pas arriver avant son heure, effrayé des cris sur le Gouguillon, il a échappé aux monts.

A l'idée de peuple tué et blessé je sens mal dans mon ventre, ma tête bourdonne. Quand même la vieillarde mentit – je n'ai pas pu le faire! Je ne suis pas mauvaise, je ne suis qu'une fillette. Je n'aurai même pas un vrai marriage. Moi et Nico, nous n'irons coucher dans un lit que dans un couple d'années, peut-être plus tard – c'est comme nos parents le diront. Est-ce qu'il y a dans le monde des sorcières, comme moi?

Malgré toutes mes pensées j'ai peur de m'approcher de l'impasse Turquet. Mais je le sais sûrement – il me faut aller à la place, où j'ai pris le rubis maudit. Pour quel raison? Je ne le sais pas encore.

Quand j'atteins clopin-clopant la place terrible, il est difficile à la reconnaître. Le peuple va et vient, comme si rien ne s'est passé la veille. Le pavé est couvert par la paille – on ne peut pas deviner où le sang a afflué dans les mares. Il n'y a ni débris, ni morceaux. A la place du mur détruit des maçons travaillent. Ils ont déjà posé quelques rangées de pierres.

Je m' en approche en frissonnant.

- Oh! Clémentine! Crie un gars bien bâti, celui qui portait des pierres.

Il chuchote quelque chose à son chef et court à moi.

- Salut, Francisque ! - Je réponds. - Je vourdrai te remercier. Maman m'a raconté tout ce que vous avaient fait pour nous.

Francisque rougit et mate le chapeau dans ses mains:

- Allons donc… Tu aussi… Le même

Tiens, qu'il est étrange! Pourtant il ne rougit pas du tout, quand il se moque des oreilles de Nico. Et bien.

Francisque dit:

- Nous bâtissons le mur nouveau. L'archevêque a ordonné de le bâtir à tout jamais. Et de le faire jusqu'au froid. Il sera solide, fort. Au lieu de celui-là, le pourri.

Je me mordis la lèvre:

- Est-ce que c'est vrai que beaucoup de peuple périt ici?

- Une douzaine. Même le duc de Bretagne fut ecrasé. Et il y a eu beaucoup de blessés. Comment Nico va-t-il?

«C'est pas ma faute. C'est la faute du mur vieux», - Je répéte en moi-même et réponds tristement: - Il ne se lève pas encore.

Donc, Francisque décide de me détourner et dit:

- Sais-tu, pourquoi les débris ont été démêlés si vite? Il y avait tant de volontiers! On dit, qu'un rubis sans prix est tombé de la tiare du Pape. C'est pourquoi tout les gens aident, que le diable les emporte! Mais on n'a rien trouvé pour le moment. Même nos travailleurs regardent sous leurs pieds attentivement! Tiens, peut-être je le trouverai et je serai riche.

- Tu n'en a pas besoin, - Je réponds. - Le trésor comme ça n'emporte que des malheurs.

Je regarde le mortier gris, qu'un des maçons mêle, et j'ai une idée.

- C'est quoi ça? Je demande.

- Le chaux spécial. Nous posons des pierres sur ce chaux.

- Puis-je poser un petit pierre? C'est moi qui est tombée ici. Et Nico. Peut-être il recouvra plus vite à cause de ça?

- Tu vas te barbouiller.

- C'est rien.

- Attend.

Francisque s'approche au courant du chef, parle un peu et me brandille:

- Viens ici!

Les maçons me regardent avec sympathie, pendant que je tire le pierre et le pose, m'applaudissent avec l'approbation, quand je le mastique grassement au-dessus par le mortier ainsi qu'il se plonge solidement dans le mur neuf. Néanmoins, ils n'aperçoient rien, quand je trempe le rubis dans le moritier et le pose au milieu du rang sous un autre pierre. Simplement ils ne peuvent pas apercevoir mon petit truc, parce que j'imagine un oiseau rouge volant dans le ciel – tout le monde lèvent leurs têtes tout de suite. Ah, quel beau oiseau je peux imaginer! Que mes yeux crèvent!

Contente, j'essuye mes mains à un chiffon. Voilà tout! Je ne serai plus sorcière! Nico se guerira! Et j'en aurai aucun besoin de rubis. Quoique je sais bien que mon petit bijoux se trouvait entre deux pierres, en un aune de droite, en septième rang de la terre...

* * *

Le guide annonce:

- Messieurs! Nous tournons sur la montée du Gourgillon. C'est une des plus vieilles rues de Lyon, elle a plus de mille ans. Et quoique le Gourgillon n'est que huit mètres de largeur, il était une des artères principales, menant de la quai de la Saône aux reliques de la ville médievalle – aux temples Saint-Irénée, Saint-Juste et, si l'on tourne à droite, vers le Forum ancien roman – le berceau de Lyon.

Le vent d'avril tiraille des marquises de toile au-dessus des fenêtres d'une librairie sur une petite place. Les touristes sont de bonne humeur, ils lèvent leurs têtes, en examinant des maisons des tons pastel, effilées au soleil, photographient passionnément.

Le groupe de touristes entre l'impasse ombreux. Après le café «Théatre» aux de grandes fenêtres d'arc il y a un mur ancien, survecu des ciècles. Des faisceaux du verdure se frayent un passage parmi des pierres mangés par le temps. Le guide ralentit le pas et raconte:

- Ici le Gourgillon se lie avec l'impasse Turquet. Le 14 novembre 1305, après le couronnement du Pape Clément le Cinqième, le protégé du roi français Philippe le Bel, à cette place-là le mur est tombé sur la procession solennelle sous la pression de la foule. Deux jours après la tragedie on a bâti un nouveau mur d’après l'ordre de l'archevêque. C'est ce mur que vous voyez maintenant. Parmi les victimes il y avaient des courtiers du roi, aussi bien que des simples citadins. Même le Saint Pape a souffert ici. Il est connu, qu'un rubis légendaire en taille d'un œuf de poule est tombé de sa tiare. Dès ce temps-là les amateurs des trésors examinent ici chaque fente. Ils cherchent, mais sans succès pour le moment...

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