Mag-log inSÉLIASes mots résonnent dans le silence de la chambre. Ma reine. Ce n'est pas une question, ni une promesse. C'est un fait, énoncé avec la même froide certitude qu'un décret. Le choc me laisse immobile, les bras enserrant encore le vide qu'il a laissé dans le lit. Une reine. Pas par un couronnement, mais par une déclaration. L'ultime provocation.La nouvelle se répand avant même que le Conseil ne se soit réuni. Je la sens, cette rumeur, plus virulente que toutes les autres, se faufiler sous les portes, empoisonner l'air. Quand je sors de mes appartements, les regards ne sont plus seulement hostiles ou craintifs. Ils sont incrédules. Scandalisés. Une étrangère. Une sorcière. Une prostituée de cabaret. Les mots, même non dits, frappent comme des pierres.Corvus me rejoint dans la bibliothèque. Son visage est encore plus impénétrable que d'habitude.—La décision du Roi est... irrévocable, commence-t-il, alignant des parchemins sur la table. Les préparatifs doivent commencer immédiatemen
SÉLIALes jours qui suivent le « toast » de Valerius sont d’un calme funèbre. Le palais marche sur la pointe des pieds. On me salue avec une déférence exagérée, mais les yeux fuient les miens. Je ne suis plus la sorcière, ni même la favorite. Je suis le prétexte. L’étincelle qui a mis le feu à la raison du Roi. Et tout le monde craint d’être le prochain à être consumé.Lucian s’est retranché dans ses appartements. Il ne convoque plus le Conseil. Il donne ses ordres par l’intermédiaire de Corvus, dont l’ombre semble s’être allongée, recouvrant un peu plus le royaume chaque jour. L’exil de Malakias a été orchestré avec une efficacité glaçante. Le Grand Prêtre a été emmené avant l’aube, sans audience, sans adieux. Effacé.Je tente de le voir, Lucian. Je frappe à sa porte. Elle reste close.—Le Roi est occupé, me dit un garde, l’air mal à l’aise.Occupé à quoi? À se perdre ? À devenir le spectre couronné que la cour redoute ?La solitude est un puits sans fond. Je passe mes journées dans
SÉLIALe sang de l’assassin est à peine lavé des dalles, son fantôme encore tiède dans l’air, que la cour se rue pour le festin. La nouvelle de l’attaque manquée s’est répandue plus vite que la peste. Et avec elle, une rumeur plus vicieuse encore : le Roi a perdu la tête. Il est si ensorcelé qu’il égorge ses propres sujets pour protéger la sorcière.Les sourires en coin sont revenus, plus nombreux, plus audacieux. Les regards qui me frôlent dans les couloirs ne sont plus seulement hostiles, ils sont… avides. Comme s’ils guettaient la prochaine faille, le prochain craquement. Je suis devenue le baromètre de la folie de Lucian, et tout le monde attend l’explosion.Lucian, justement, est devenu un étranger. Le meurtre de l’assassin, commis de ses mains, l’a changé. Une froideur nouvelle émane de lui. Il passe ses journées enfermé avec ses généraux et Corvus, à échafauder des plans pour l’exil de Malakias, des plans si complexes et impitoyables qu’ils me glacent le sang. Il ne me parle pl
SÉLIALe poison a changé la chimie de l'air. Chaque souffle est une méfiance. Chaque gobelet de vin, une potentielle agonie. Je vis entourée de fantômes , le spectre d'Elara me suit, silencieux reproche. Corvus a triplé les gardes, fait gouter toute nourriture par un malheureux serviteur dont les mains tremblent, et installé des herbes purificatrices qui brûlent en permanence, emplissant mes appartements d'une fumée âcre qui pique les yeux.Lucian est devenu un orage contenu. Sa fureur est si profonde qu'elle en est devenue silencieuse. Il ne me touche plus avec la même possessivité triomphante, mais avec une urgence presque désespérée, comme s'il cherchait à vérifier que je suis encore chaude, encore vivante. Ses nuits sont peuplées de cauchemars dont il ne parle pas, mais je les sens dans la tension de ses muscles, dans les noms murmurés dans son sommeil agité.— Il ne peut rester impuni, dit-il un matin, les traits tirés, en regardant par la fenêtre les toits du palais. Son regard
SÉLIALa victoire a un goût de cendres. Pendant trois jours, le palais semble retenir son souffle. Les courbettes sont plus profondes, les sourires plus figés. On me nomme maintenant « la Dame Blanche », « l’Élue ». Mais sous les titres flatteurs, je sens le même venin, simplement mieux dissimulé. J’ai gagné ma légitimité sur l’estrade des prêtres, mais je suis plus que jamais un symbole à abattre.Lucian, lui, est transformé. Mon triomphe est le sien, et il en use avec une avidité nouvelle. Je ne suis plus son secret honteux, sa passion coupable. Je suis son trophée, la preuve vivante que sa volonté peut plier même les lois divines. Ses visites dans mes appartements reprennent, empreintes d’une possessivité triomphante. Il me touche comme s’il marquait son territoire, et son désir a la saveur âcre de la revanche.— Tu vois ? me murmure-t-il cette nuit, ses mains parcourant ma peau comme pour s’assurer que je suis bien réelle, bien sienne. Je t’ai sauvée. Rien ne peut plus nous touche
SÉLIALe jour J arrive. La Salle des Couronnes n’a jamais paru si vaste, si froide. Les vitraux colorés jettent des lueurs d’un rouge sang, d’un bleu profond d’outre-tombe. Les bancs sont remplis non pas de courtisans curieux, mais d’hommes et de femmes en robes sacerdotales, visages sévères, regards réprobateurs. L’air est épais d’encens et de haine.Au centre, sur une estrade, trône Malakias. Grand, austère, le visage creusé par le fanatisme. Ses yeux, noirs et perçants, me transpercent dès que j’entre. À ses côtés, les autres grands prêtres, dont Morwenna, une femme au visage ridé comme une vieille pomme, les lèvres pincées.Lucian est assis sur son trône, légèrement en retrait. Il est l’arbitre, le roi, pas le défenseur. Son visage est un masque de granite impénétrable. Seuls ses yeux, quand ils croisent les miens un bref instant, trahissent une lueur d’encouragement fébrile.Je suis vêtue de blanc. Une simple tunique de lin, sans ornement. La couleur de l’innocence. Ou du linceul






