Elina— …Une faiblesse.Le mot claque. Comme une gifle. Comme un fouet. Je le sens remonter depuis mes entrailles, frapper contre mon ventre, ricocher dans ma cage thoracique. Ce n’est pas un simple mot. C’est une sentence. Une condamnation prononcée mille fois avant aujourd’hui. Je la reconnais. Il l’a utilisée pour me modeler. Pour m’écraser. Pour faire de moi ce pantin tremblant, silencieux, docile.Mais cette fois, il mord dans du granit.Je n’ai plus douze ans. Je n’ai plus peur.Je n’ai plus besoin de plaire.Aiden s’avance d’un pas, tendu comme une corde prête à rompre. Je le sens prêt à mordre, à tuer. Mais je lève le bras. Mon geste est ferme. Inflexible.— Non. Laisse-moi.Il me regarde. Un instant, son regard flanche. C’est infime. Mais je le vois. Il ne comprend pas. Il ne comprend pas que j’ai besoin de le faire. Que c’est à moi de le briser, lui. Pas physiquement. Mais là où ça fait mal. Là où il a planté ses griffes depuis toujours.Il grogne. Mais il recule.Je m’avanc
ElinaLe feu s’est éteint depuis longtemps, ne laissant derrière lui que des cendres éparses, un goût de fumée sur la langue et une étrange légèreté dans mes côtes. Le soleil s’est levé, haut, pâle, comme s’il hésitait à réchauffer ce coin de terre gorgé de mémoire et de douleur.Nous sommes restés là. À regarder le vide. Aiden, silencieux, à mes côtés. Les autres, en retrait, discrets mais présents.J’allais leur dire qu’on pouvait partir. Qu’on avait terminé. Que je pouvais enfin tourner le dos à cette maison et à tout ce qu’elle contient.Mais je le sens avant de le voir.Le vent change.L’odeur me frappe. Lourde. Fétide. Métallique.Le goût du fer sur la langue. Et cette sensation familière, primitive de danger imminent.Kael et Ezra se redressent immédiatement. Myra se place devant moi, les yeux noirs, les crocs affleurant.Je me tourne.Et je le vois.Mon père.Pas plus grand, pas plus fort qu’avant. Mais son ombre, elle, n’a jamais cessé de s’étendre. Son regard me cloue aussit
ElinaLe moteur ronronne à peine. À l’arrière, le silence est tendu. Je le sens vibrer dans mes côtes, comme un souvenir que je n’arrive pas à exorciser. La ville s’efface peu à peu derrière nous, avalée par la brume matinale, et avec elle, cette illusion de normalité que je m’étais construite. Aiden conduit sans parler. Ses mains sont serrées sur le volant, ses veines saillantes comme si c’était lui, et non moi, qui s’apprêtait à affronter des fantômes.Derrière moi, les deux bêtas Kael et Myra sont silencieux, attentifs. Ils savent. Pas tout, mais assez. Ils sentent la tension dans mon odeur, la peur rentrée que je n’arrive plus à camoufler. À côté d’eux, assis droit, silencieux, son gamma, Ezra, surveille la route. Il ne parle jamais beaucoup, mais son regard me traverse, ancré dans une loyauté sans faille. J’ai refusé qu’ils m’accompagnent jusqu’à la porte. Mais ils ont insisté pour venir jusque-là. Pour m’entourer. Pour me rappeler que je ne suis plus seule.Moi non plus, je n’ai
AidenElle dort contre moi, et pourtant je sens que son cœur veille. Comme si même dans le sommeil, elle restait prête à fuir. Ou à se battre. Ou peut-être juste à se protéger.Ses doigts se crispent parfois contre ma peau. Des micro gestes que d’autres n’auraient pas vus. Moi, si. Parce que j’ai appris à lire Elina comme on lit un champ de bataille : chaque silence, chaque frisson, chaque repli est un territoire à conquérir ou à défendre. Elle n’est pas un mystère. Elle est un cri étouffé. Un feu qu’on croit éteint, mais qui brûle en silence.Je ne dors pas. Pas encore. Il y a quelque chose qui gratte sous la peau. Une peur sans nom. Une pensée sourde qui murmure que rien n’est jamais acquis. Surtout pas elle. Elina est sauvage, pas parce qu’elle aime fuir, mais parce qu’elle a trop longtemps été prise au piège. Et moi… je suis peut-être la cage dorée qu’elle redoute le plus.Je caresse doucement sa nuque. Sa peau est chaude. Son souffle saccadé. Elle rêve peut-être. Ou elle se souvi
ElinaSes bras autour de moi, son souffle contre ma tempe. On n’a pas bougé depuis qu’on s’est retrouvés. Depuis qu’on a cessé de se battre. Pour un instant au moins.Il est là, Aiden. Vraiment là. Et je ne comprends pas comment une étreinte peut faire aussi mal.Peut réchauffer et couper le souffle en même temps.Peut donner envie de s’endormir, et de ne plus jamais fermer les yeux.— Tu ne dors pas, murmure-t-il.Je secoue doucement la tête, le nez enfoui dans le creux de son cou. Il sent la pluie, la nuit, et un peu de moi aussi. Cette fusion étrange, indélébile, comme s’il m’avait toujours portée sur lui. Ou sous la peau.— Moi non plus, souffle-t-il. J’ai peur que tu partes si je ferme les yeux.Je lève les yeux. Je lis cette peur dans ses traits. Pas une peur brute. Une peur muette. Celle qu’on traîne quand on a déjà perdu trop.Celle qu’on ne dit plus à voix haute, parce qu’on n’a plus la force de la voir brisée.— Je suis là, je murmure.Et je suis sincère. Même si je ne sais
AidenElle dort encore.Enfin, je crois.Elle a ce souffle lent, profond. Un bras rejeté sur le drap froissé. Ses cheveux en bataille s’éparpillent sur l’oreiller que je viens à peine de récupérer. Sa jambe nue est en travers de la mienne. Elle est là. Avec moi. Encore.Et pourtant, j’ai déjà le vertige.Parce que je sais.Je sais que ce n’est qu’un sursis. Un entre-deux.Le calme avant la tempête.Le répit avant qu’on recommence à se déchirer.Alors je la regarde. Longtemps. Trop longtemps.J’essaie d’imprimer chaque détail dans ma mémoire. La courbe de ses cils. La pâleur de son épaule. La façon dont sa bouche est à moitié entrouverte. Et plus je la regarde, plus un sentiment me ronge de l’intérieur.Un truc que je ne reconnais pas. Un mélange de possessivité, de peur, de désir. Un truc malsain, brut, impérieux.Je ne veux pas que d’autres la voient.Pas comme ça.Pas même un fragment d’elle.Pas son rire, pas sa peau, pas ses silences.Rien. Rien d’elle ne leur appartient.Je me lè